Les Israéliens doivent reconnaître les citoyens palestiniens en tant que partenaires égaux

La violence au sein de la population palestinienne d’Israël est une bombe à retardement sociale et politique (Photo, AFP).
La violence au sein de la population palestinienne d’Israël est une bombe à retardement sociale et politique (Photo, AFP).
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Publié le Samedi 01 juillet 2023

Les Israéliens doivent reconnaître les citoyens palestiniens en tant que partenaires égaux

Les Israéliens doivent reconnaître les citoyens palestiniens en tant que partenaires égaux
  • Ce n’est qu’en s’attaquant à la négligence des administrations israéliennes successives, qui dure depuis plusieurs décennies que l’on pourrait espérer s’éloigner de ce gouffre meurtrier
  • Bien que les citoyens palestiniens d’Israël jouissent en principe de droits égaux, ils sont victimes de discrimination dans de nombreux domaines

À travers une démarche inhabituelle, la radio publique israélienne a commencé la semaine dernière son bulletin d’information de midi en lisant les noms des cent trois citoyens palestiniens d’Israël qui ont déjà été assassinés cette année, alors que l’on assiste à une flambée de la criminalité et de la violence. Bien qu’effrayante, la démarche qui consiste à mentionner les noms des victimes de ce carnage quasi quotidien, qui pourrait devenir tout à fait incontrôlable, est marquante.

Que ces morts soient le résultat de guerres de gangs ou de violences domestiques, les autorités semblent avoir perdu le contrôle de la situation. Une comparaison met en lumière la gravité de la situation: en 2022, cent six citoyens palestiniens d’Israël ont été tués. Les chiffres précédents sur les homicides au sein de la communauté sont choquants en eux-mêmes, mais ce qui se passe actuellement n’est rien de moins qu’une épidémie mortelle qui nécessite une réponse immédiate, coordonnée et déterminée de la part des autorités.

L’application de la loi est une première étape et une condition nécessaire, mais non suffisante. Ce n’est qu’en s’attaquant à la négligence des administrations israéliennes successives, qui dure depuis plusieurs décennies – en grande partie en raison au racisme sociétal et institutionnel contre la grande minorité palestinienne, qui représente 20% de la population du pays – que l’on pourrait espérer s’éloigner de ce gouffre meurtrier.

La flambée de la violence meurtrière est largement attribuée à une augmentation générale de la criminalité, mais elle n’épargne pas les victimes innocentes. Elles représentent peut-être un cinquième de la population, mais une proportion disproportionnée de 76% des personnes assassinées jusqu’à présent cette année sont des citoyens palestiniens d’Israël, alors que le taux d’élucidation de ces crimes et la traduction de leurs coupables en justice ne représentent que 25%, ce qui est nettement inférieur à celui des Juifs d’Israël.

Bien que les citoyens palestiniens d’Israël jouissent en principe de droits égaux, ils sont victimes de discrimination dans de nombreux domaines. Un rapport publié en mars par le Council on Foreign Relations souligne que «presque toutes les villes arabes ont un niveau de vie inférieur à celles qui comptent une majorité de Juifs». Des études menées à travers le monde ont prouvé à maintes reprises la forte corrélation entre les inégalités, la pauvreté et la densité de population. Ces trois facteurs sont particulièrement élevés dans la plupart des villes et des villages palestiniens en Israël, ce qui implique des taux élevés de crimes violents.

Cependant, l’augmentation spectaculaire des homicides et des autres crimes violents a des origines à la fois à long et court terme. Certains experts affirment que les pressions exercées l’année dernière par les forces de l’ordre sur les principales familles criminelles ont conduit à des scissions, ce qui a entraîné de violentes rivalités, mais cela ne constitue qu’une explication très partielle. Pendant trop longtemps, la politique gouvernementale n’a pas donné la priorité au développement de capacités de lutte contre le crime en termes de prévention et d’appréhension de la même manière qu’elle l’a fait au sein de la société juive. Ainsi, les criminels ont pu amasser des armes et des munitions. Certaines d’entre elles ont été achetées illégalement en Israël et d’autres ont été introduites en contrebande à partir de la Cisjordanie et de la Jordanie. Pour les criminels avérés ou potentiels, le fait de savoir qu’ils peuvent facilement acquérir des armes sans risquer réellement d’être arrêtés, et encore moins traduits en justice, est une invitation à la violence.

La plupart des meurtres sont liés à un effondrement général de l’ordre public dont le gouvernement doit assumer la responsabilité.

Yossi Mekelberg

Alors que des causes sociales internes contribuent à ce taux élevé d’homicides – par exemple, les crimes d’honneur, comme le cas de Sarit Ahmed, 18 ans, qui a été abattue il y a deux semaines après avoir reçu des menaces de sa famille en raison de son orientation sexuelle –, la plupart des meurtres sont davantage liés à un effondrement général de l’ordre public dont le gouvernement doit assumer la responsabilité.

Ce n’est pas une coïncidence si la recrudescence des meurtres des citoyens palestiniens d’Israël se produit depuis la prestation de serment du gouvernement le plus à l’extrême droite dans l’histoire du pays. Nul n’ignore que les Palestiniens sont victimes de discrimination et de négligence pour des raisons idéologiques depuis la création d’Israël. Les personnes racistes influentes ne s’en soucient que très peu tant que les tueries restent des incidents intra-arabes. Ce sont les violences qui ont éclaté au sein de la population palestinienne lors du printemps 2021, dont certaines étaient dirigées contre leurs voisins juifs dans les villes mixtes, qui ont servi de signal d’alarme pour les autorités. Elles ont rappelé que l’accumulation d’armes et de munitions, associée à un ressentiment de plusieurs décennies envers l’État, représente un problème pour l’ensemble des Israéliens.

Certains progrès ont été réalisés dans la lutte contre les crimes violents parmi les citoyens palestiniens d’Israël pendant le mandat très court du gouvernement de Naftali Bennett-Yaïr Lapid, en 2021-2022. C’était en grande partie le résultat de la participation, pour la première fois dans l’histoire du pays, d’un parti palestinien à un gouvernement de coalition. Cela a conduit à un bref changement d’attitude face à cette situation désastreuse ainsi qu’au niveau de l’allocation des ressources. Cependant, les mêmes personnes qui ont appelé sans relâche à ne pas augmenter ces budgets – et qui, dans leur fanatisme, ont évoqué l’allocation comme un acheminement d’argent vers le Hamas et le terrorisme – sont désormais au pouvoir, notamment le Premier ministre, Benjamin Netanyahou, et le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir.

Selon les auteurs d’une analyse publiée le mois dernier par l’Institut d’études sur la sécurité nationale, un groupe de réflexion israélien, la principale cause de la récente augmentation de la criminalité réside dans le fait «que l’État a relâché ses efforts depuis que le gouvernement actuel a pris ses fonctions pour lutter contre la criminalité dans le secteur arabe». Pour la grande majorité des Palestiniens qui respectent les lois en Israël, le message est que les autorités les abandonnent une fois de plus et renoncent à leur responsabilité de les protéger contre toute forme de violence criminelle. Ils ont peur pour leur avenir et sont méfiants quant aux véritables intentions des instances dirigeantes nationales. Par ailleurs, ils sont réticents, voire effrayés, à l’idée de coopérer avec la police.

Pourtant, à la lumière de ces circonstances, la solution la plus créative que Ben-Gvir et sa bande de conseillers ultranationalistes ont pu trouver est d’impliquer activement le Shin Bet, l’organe de sécurité intérieure, qui, pour la plupart des Palestiniens, est source d’oppression. 

Ni le Shin Bet ni les citoyens palestiniens d’Israël ne voudraient qu’une telle démarche se concrétise, puisqu’elle rappelle des régimes dictatoriaux et que, au-delà de la prévention de la violence criminelle, elle pourrait également être détournée à des fins politiques.

La violence au sein de la population palestinienne d’Israël est une bombe à retardement sociale et politique. Résoudre le problème nécessite avant tout un changement radical de perception de la part de la majorité juive – un changement selon lequel les citoyens palestiniens seraient traités de la même manière et auraient tous les droits et privilèges qui accompagnent la citoyenneté, y compris les mêmes possibilités de développement social et économique que le reste de la population. Mais, avant tout, leur vie doit être protégée.


 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.

Twitter: @Ymekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com