PARIS : Avant le décès de Nahel, 17 ans, mardi, près de Paris, plusieurs affaires de violences policières ont éclaté en France grâce à des vidéos, souvent d'amateurs, contredisant les déclarations des policiers et décuplant le retentissement de ces dossiers.
Diffusées moins de deux heures après le tir qui a atteint Nahel au thorax, les images du contrôle routier de mardi à Nanterre ont choqué jusqu'au sommet de l'Etat, changé le cours de l'enquête et engendré trois nuits consécutives d'émeutes dans le pays.
Virale et rapidement authentifiée, la vidéo montre le policier situé sur le côté du véhicule conduit par Nahel faire feu lorsqu'il redémarre, alors que des sources policières avaient d'abord affirmé que l'adolescent avait foncé sur les forces de l'ordre.
Dix jours plus tôt, suscitant un écho bien moindre, Alhoussein Camara était tué lors d'un contrôle routier à Saint-Yrieix (Charente).
Il aurait lui aussi tenté d'échapper à une interpellation. Mais à ce stade, aucune vidéo n'est apparue publiquement. D'après le Parquet, il n'y a pas d'images de la caméra piéton du policier, «faute de charge suffisante».
A quelques jours de distance, ce double exemple vient illustrer l'importance de la preuve vidéo dans ces dossiers.
Si l'affaire récente la plus emblématique a éclaté aux Etats-Unis, avec l'agonie de George Floyd sous le poids d'un policier en 2020 à Minneapolis, les écrans français ont eux aussi été saturés d'images vidéo, comme lors du mouvement de contestation sociale des «gilets jaunes» en 2018-2019.
- «Copwatch» -
Depuis des années, la France s'inscrit dans la pratique américaine du «copwatch» (filmer la police pour faire connaître des dérives).
Dès 2008, le futur réalisateur Ladj Ly avait filmé la violente arrestation d'un jeune, chez lui à Montfermeil, dans le département le plus pauvre de la France métropolitaine, la Seine-Saint-Denis, entraînant la condamnation des policiers. Ce fait divers a nourri, des années plus tard, le scénario de son film multiprimé «Les Misérables».
Depuis, des collectifs militants, comme «Urgence notre police assassine», appellent à faire de ce geste un réflexe. La vidéo «est la seule arme citoyenne, sinon il n'y a jamais de poursuite», expliquait à l'AFP en 2020 sa figure, Amal Bentounsi.
La patronne de la police des polices, Agnès Thibault-Lecuivre, tempère toutefois. «Dire que s'il n'y a pas d'images, c'est la version policière qui est écoutée est faux et totalement réducteur», a-t-elle assuré vendredi dans l'hebdomadaire L'Obs. Ça peut «accélérer une enquête, mais ce n'est jamais l'alpha et l'oméga».
«Il y a une centralité de la preuve vidéo» en la matière, constate un juge d'instruction parisien. Dans ces dossiers, «la matière première, désormais, c'est la vidéo de quidams, d'amateurs, de badauds ou de journalistes», ajoute-t-il.
La mort d'un livreur, Cédric Chouviat, à Paris lors d'un contrôle routier houleux en janvier 2020, a ainsi été documentée grâce à un appel à témoignages, qui avait montré l'«étranglement arrière» ayant amené cet homme au sol avant sa mort, une technique absente du compte rendu initial d'intervention.
- «Plus de discussions» -
D'autres vidéos, à l'origine plus inattendues, ont aussi changé le cours de dossiers.
Michel Zecler, producteur de musique noir tabassé par des policiers en novembre 2020 à Paris, a d'abord été visé par une enquête pour rébellion et violences volontaires.
Mais les images de vidéosurveillance privée de la scène, diffusées par Loopsider dans le tweet le plus partagé en France en 2020, ont permis de classer la procédure et d'incriminer quatre policiers.
Pour le producteur, interrogé jeudi par Mediapart, «Nahel aurait été encore plus sali et sa famille aurait encore plus souffert» sans la vidéo de sa mort. «On aurait fait de cette victime le parfait voyou.»
Si cette vidéo est si virale, c'est parce que l'«on voit le feu sortir de l'arme» du policier, remarque l'avocat Me Arié Alimi, spécialisé dans les affaires de violences policières. «Il n'y a plus de discussions possible.»
«Avec cette vidéo, on a vu ce qu'on ne voit pas d'habitude», a commenté mercredi Assa Traoré auprès du magazine Les Inrocks, une militante antiraciste française engagée dans la lutte contre les violences policières.
La mort en 2016 de son frère, Adama Traoré, 24 ans, à la suite de son interpellation par des gendarmes, n'a été documentée par aucune image.
Ce dossier, devenu l'incarnation française des violences des forces de l'ordre, témoigne de la difficulté de se passer d'images. L'enquête, qui peine à s'achever, repose uniquement depuis sept ans sur des témoignages contradictoires et des batailles d'expertises médicales.