Violences policières en France: la vidéo, arme de contradiction massive

Des CRS font face à des manifestants, avec la Grande Arche de la Défense en arrière-plan, à la fin d'une marche commémorative pour un adolescent abattu par un policier, dans la banlieue parisienne de Nanterre, le 29 juin 2023. (Photo Zakaria ABDELKAFI / AFP)
Des CRS font face à des manifestants, avec la Grande Arche de la Défense en arrière-plan, à la fin d'une marche commémorative pour un adolescent abattu par un policier, dans la banlieue parisienne de Nanterre, le 29 juin 2023. (Photo Zakaria ABDELKAFI / AFP)
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Publié le Vendredi 30 juin 2023

Violences policières en France: la vidéo, arme de contradiction massive

  • Diffusées moins de deux heures après le tir qui a atteint Nahel au thorax, les images du contrôle routier de mardi à Nanterre ont choqué jusqu'au sommet de l'Etat, changé le cours de l'enquête et engendré trois nuits consécutives d'émeutes dans le pays
  • Depuis des années, la France s'inscrit dans la pratique américaine du «copwatch» (filmer la police pour faire connaître des dérives)

PARIS : Avant le décès de Nahel, 17 ans, mardi, près de Paris, plusieurs affaires de violences policières ont éclaté en France grâce à des vidéos, souvent d'amateurs, contredisant les déclarations des policiers et décuplant le retentissement de ces dossiers.

Diffusées moins de deux heures après le tir qui a atteint Nahel au thorax, les images du contrôle routier de mardi à Nanterre ont choqué jusqu'au sommet de l'Etat, changé le cours de l'enquête et engendré trois nuits consécutives d'émeutes dans le pays.

Virale et rapidement authentifiée, la vidéo montre le policier situé sur le côté du véhicule conduit par Nahel faire feu lorsqu'il redémarre, alors que des sources policières avaient d'abord affirmé que l'adolescent avait foncé sur les forces de l'ordre.

Dix jours plus tôt, suscitant un écho bien moindre, Alhoussein Camara était tué lors d'un contrôle routier à Saint-Yrieix (Charente).

Il aurait lui aussi tenté d'échapper à une interpellation. Mais à ce stade, aucune vidéo n'est apparue publiquement. D'après le Parquet, il n'y a pas d'images de la caméra piéton du policier, «faute de charge suffisante».

A quelques jours de distance, ce double exemple vient illustrer l'importance de la preuve vidéo dans ces dossiers.

Si l'affaire récente la plus emblématique a éclaté aux Etats-Unis, avec l'agonie de George Floyd sous le poids d'un policier en 2020 à Minneapolis, les écrans français ont eux aussi été saturés d'images vidéo, comme lors du mouvement de contestation sociale des «gilets jaunes» en 2018-2019.

- «Copwatch» -

Depuis des années, la France s'inscrit dans la pratique américaine du «copwatch» (filmer la police pour faire connaître des dérives).

Dès 2008, le futur réalisateur Ladj Ly avait filmé la violente arrestation d'un jeune, chez lui à Montfermeil, dans le département le plus pauvre de la France métropolitaine, la Seine-Saint-Denis, entraînant la condamnation des policiers. Ce fait divers a nourri, des années plus tard, le scénario de son film multiprimé «Les Misérables».

Depuis, des collectifs militants, comme «Urgence notre police assassine», appellent à faire de ce geste un réflexe. La vidéo «est la seule arme citoyenne, sinon il n'y a jamais de poursuite», expliquait à l'AFP en 2020 sa figure, Amal Bentounsi.

La patronne de la police des polices, Agnès Thibault-Lecuivre, tempère toutefois. «Dire que s'il n'y a pas d'images, c'est la version policière qui est écoutée est faux et totalement réducteur», a-t-elle assuré vendredi dans l'hebdomadaire L'Obs. Ça peut «accélérer une enquête, mais ce n'est jamais l'alpha et l'oméga».

«Il y a une centralité de la preuve vidéo» en la matière, constate un juge d'instruction parisien. Dans ces dossiers, «la matière première, désormais, c'est la vidéo de quidams, d'amateurs, de badauds ou de journalistes», ajoute-t-il.

La mort d'un livreur, Cédric Chouviat, à Paris lors d'un contrôle routier houleux en janvier 2020, a ainsi été documentée grâce à un appel à témoignages, qui avait montré l'«étranglement arrière» ayant amené cet homme au sol avant sa mort, une technique absente du compte rendu initial d'intervention.

- «Plus de discussions» -

D'autres vidéos, à l'origine plus inattendues, ont aussi changé le cours de dossiers.

Michel Zecler, producteur de musique noir tabassé par des policiers en novembre 2020 à Paris, a d'abord été visé par une enquête pour rébellion et violences volontaires.

Mais les images de vidéosurveillance privée de la scène, diffusées par Loopsider dans le tweet le plus partagé en France en 2020, ont permis de classer la procédure et d'incriminer quatre policiers.

Pour le producteur, interrogé jeudi par Mediapart, «Nahel aurait été encore plus sali et sa famille aurait encore plus souffert» sans la vidéo de sa mort. «On aurait fait de cette victime le parfait voyou.»

Si cette vidéo est si virale, c'est parce que l'«on voit le feu sortir de l'arme» du policier, remarque l'avocat Me Arié Alimi, spécialisé dans les affaires de violences policières. «Il n'y a plus de discussions possible.»

«Avec cette vidéo, on a vu ce qu'on ne voit pas d'habitude», a commenté mercredi Assa Traoré auprès du magazine Les Inrocks, une militante antiraciste française engagée dans la lutte contre les violences policières.

La mort en 2016 de son frère, Adama Traoré, 24 ans, à la suite de son interpellation par des gendarmes, n'a été documentée par aucune image.

Ce dossier, devenu l'incarnation française des violences des forces de l'ordre, témoigne de la difficulté de se passer d'images. L'enquête, qui peine à s'achever, repose uniquement depuis sept ans sur des témoignages contradictoires et des batailles d'expertises médicales.


Après les tensions, Paris et Alger entament un nouveau chapitre

Lors d'un appel téléphonique récent, les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune sont convenus de relancer les échanges bilatéraux et de jeter les bases de cette reprise. (AFP)
Lors d'un appel téléphonique récent, les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune sont convenus de relancer les échanges bilatéraux et de jeter les bases de cette reprise. (AFP)
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  • Lors d'un appel téléphonique récent, les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune ont décidé de relancer les échanges bilatéraux
  • L'échange téléphonique a permis de formaliser une feuille de route ambitieuse et pragmatique

Après avoir frôlé la rupture, un nouveau chapitre s'ouvre dans les relations entre la France et l'Algérie.

Lors d'un appel téléphonique récent, les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune sont convenus de relancer les échanges bilatéraux et de jeter les bases de cette reprise.

Le communiqué publié par le palais de l'Élysée fait suite à plusieurs signes récents de rapprochement, notamment l'entretien accordé par Tebboune aux journalistes des médias publics algériens, où il a exprimé sa volonté de renouer le dialogue avec son homologue français et de mettre fin à ce qu'il a qualifié de «période d'incompréhension» entre leurs deux pays.

L'échange téléphonique a permis de formaliser une feuille de route ambitieuse et pragmatique, centrée sur trois axes prioritaires: la coopération sécuritaire, la gestion des flux migratoires et les questions mémorielles.

Le communiqué conjoint, publié à l’issue de cet échange, souligne la volonté des deux chefs d’État de dépasser les crises récentes pour amorcer une relation apaisée et mutuellement bénéfique.

Premier résultat concret dans le cadre de cette volonté affichée, le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot se rend à Alger le 6 avril pour des entretiens avec son homologue algérien Ahmed Attal.

Les ministres devront détailler un programme de travail ambitieux et en décliner les modalités opérationnelles et le calendrier de mise en œuvre.

La coopération sécuritaire doit reprendre sans délai, notamment pour lutter contre le terrorisme au Sahel et sécuriser les frontières de la région.

La gestion des migrations irrégulières et la question des réadmissions de ressortissants algériens en situation irrégulière en France sont au cœur des discussions. 

Cette dynamique s’inscrit dans la continuité de l’engagement du président français, exprimé dès le début de son premier mandat et même avant, lors de sa campagne électorale en Algérie, où il avait qualifié la colonisation de «crime contre l’humanité».

Plus tard et dès son élection en 2017, Macron a affiché sa volonté de regarder «la vérité en face». Sa première visite officielle en Algérie marquait la priorité qu’il entend donner à la relation franco-algérienne, en posant les bases d’un dialogue sincère et apaisé. 

Cet engagement a été réaffirmé par la déclaration d’Alger en août 2022, qui prévoyait la mise en place d’une «commission mixte des historiens» chargée d’examiner les archives et de favoriser une meilleure compréhension mutuelle.

Les enjeux de ce rapprochement, dont l’objectif est la poursuite du travail de refondation des relations bilatérales, dépassent le cadre strictement bilatéral et s’inscrivent dans un contexte géopolitique et sécuritaire complexe.

La coopération entre Paris et Alger est essentielle pour répondre aux défis régionaux, notamment dans le Sahel, où le terrorisme et l’instabilité menacent la sécurité de l’Afrique du Nord et de l’Europe. 

La France et l’Algérie partagent un intérêt commun pour la lutte contre les groupes armés et leur coopération stratégique revêt une importance capitale pour stabiliser la région.

La gestion des flux migratoires reste un point de tension récurrent, car si la France souhaite des mécanismes de réadmission efficaces, l’Algérie demande le respect de la dignité et des droits de ses ressortissants. 

Malgré la volonté de réconciliation affichée, le dossier mémoriel reste un obstacle majeur.

La question des excuses officielles pour les crimes coloniaux demeure sensible. Si Emmanuel Macron a reconnu des «crimes contre l’humanité» en 2017, les demandes d’excuses formelles de l’Algérie n’ont pas encore été pleinement satisfaites. 

Les travaux de la commission mixte des historiens, lancés à l’été 2022, doivent permettre d’approfondir la recherche sur cette période sombre et de poser les bases d’un dialogue apaisé.

Malgré les gestes d’ouverture, les relations entre Paris et Alger restent fragiles, en partie en raison d’une méfiance réciproque, alimentée par des perceptions contradictoires des enjeux bilatéraux.

L’un des points de friction les plus marquants est la question du Sahara occidental. La position française, perçue comme favorable au Maroc, a suscité des crispations du côté algérien, allant jusqu’au rappel de l’ambassadeur d’Algérie en France. 

Pour Alger, le soutien implicite de Paris au plan d’autonomie marocain est perçu comme un alignement qui remet en cause l’équilibre diplomatique régional.

Bien que la France ait tenté de clarifier sa position, en affirmant vouloir accompagner une dynamique internationale de sortie de crise, ce dossier demeure une source de tension. 

Au-delà des relations diplomatiques, les opinions publiques des deux pays jouent un rôle crucial dans l’évolution du partenariat.

En Algérie, une partie de la population reste méfiante vis-à-vis des intentions françaises, nourrie par un sentiment de souveraineté exacerbée et par la mémoire toujours vive des exactions coloniales. 

En France, la question algérienne suscite également des clivages politiques. Certains considèrent les gestes mémoriels comme une forme de repentance excessive, tandis que d’autres appellent à une reconnaissance plus franche des torts commis pendant la colonisation. 

La relance des relations entre la France et l’Algérie repose sur un équilibre délicat entre la reconnaissance du passé, la gestion des défis actuels et la mise en œuvre d’une coopération tournée vers l’avenir. 

Malgré la volonté politique manifeste, la concrétisation de ce partenariat dépendra de la capacité des deux dirigeants à dépasser les clivages historiques et à impulser une dynamique durable.


Paris entend résoudre les tensions avec Alger « sans aucune faiblesse »

le chef de la diplomatie française, chef de la diplomatie française (Photo AFP)
le chef de la diplomatie française, chef de la diplomatie française (Photo AFP)
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  • Le chef de la diplomatie française a assuré mardi que Paris entendait résoudre les tensions avec Alger « avec exigence et sans aucune faiblesse ».
  • « L'échange entre le président de la République (Emmanuel Macron, ndlr) et son homologue algérien (Abdelmadjid Tebboune) a ouvert un espace diplomatique qui peut nous permettre d'avancer vers une résolution de la crise », a-t-il ajouté.

PARIS : Le chef de la diplomatie française a assuré mardi que Paris entendait résoudre les tensions avec Alger « avec exigence et sans aucune faiblesse ». Il s'exprimait au lendemain d'un entretien entre les présidents français et algérien, qui visait à renouer le dialogue après huit mois de crise diplomatique sans précédent.

« Les tensions entre la France et l'Algérie, dont nous ne sommes pas à l'origine, ne sont dans l'intérêt de personne, ni de la France, ni de l'Algérie. Nous voulons les résoudre avec exigence et sans aucune faiblesse », a déclaré Jle chef de la diplomatie française devant l'Assemblée nationale, soulignant que « le dialogue et la fermeté ne sont en aucun cas contradictoires ».

« L'échange entre le président de la République (Emmanuel Macron, ndlr) et son homologue algérien (Abdelmadjid Tebboune) a ouvert un espace diplomatique qui peut nous permettre d'avancer vers une résolution de la crise », a-t-il ajouté.

Les Français « ont droit à des résultats, notamment en matière de coopération migratoire, de coopération en matière de renseignement, de lutte contre le terrorisme et au sujet bien évidemment de la détention sans fondement de notre compatriote Boualem Sansal », a affirmé le ministre en référence à l'écrivain franco-algérien condamné jeudi à cinq ans de prison ferme par un tribunal algérien. 


Algérie: Macron réunit ses ministres-clés au lendemain de la relance du dialogue

Emmanuel Macron, président français (Photo AFP)
Emmanuel Macron, président français (Photo AFP)
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  • Emmanuel Macron  réunit mardi plusieurs ministres en première ligne dans les relations avec l'Algérie, dont Bruno Retailleau, Gérald Darmanin et Jean-Noël Barrot, au lendemain de l'appel avec son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune
  • Le président français a décidé, à la suite de ce coup de fil, de dépêcher le 6 avril à Alger le chef de la diplomatie française Jean-Noël Barrot afin de « donner rapidement » un nouvel élan aux relations bilatérales.

PARIS : Emmanuel Macron  réunit mardi à 18H00 plusieurs ministres en première ligne dans les relations avec l'Algérie, dont Bruno Retailleau, Gérald Darmanin et Jean-Noël Barrot, au lendemain de l'appel avec son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune pour relancer le dialogue, a appris l'AFP de sources au sein de l'exécutif.

Le président français a décidé, à la suite de ce coup de fil, de dépêcher le 6 avril à Alger le chef de la diplomatie française Jean-Noël Barrot afin de « donner rapidement » un nouvel élan aux relations bilatérales après des mois de crise, selon le communiqué conjoint publié lundi soir.

Le ministre français de la Justice, Gérald Darmanin, effectuera de même une visite prochainement pour relancer la coopération judiciaire.

Le communiqué ne mentionne pas en revanche le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, figure du parti de droite Les Républicains, partisan d'une ligne dure à l'égard de l'Algérie ces derniers mois, notamment pour obtenir une nette augmentation des réadmissions par le pays de ressortissants algériens que la France souhaite expulser.

Bruno Retailleau sera présent à cette réunion à l'Élysée, avec ses deux collègues Barrot et Darmanin, ainsi que la ministre de la Culture, Rachida Dati, et celui de l'Économie, Éric Lombard, ont rapporté des sources au sein de l'exécutif.

 Dans l'entourage du ministre de l'Intérieur, on affirme à l'AFP que si la relance des relations décidée par les deux présidents devait bien aboutir à une reprise des réadmissions, ce serait à mettre au crédit de la « riposte graduée » et du « rapport de force » prônés par Bruno Retailleau.