«Pour Nahel»: Nanterre plongée dans le chaos des émeutes

Une jeune fille prend un selfie devant des poubelles en feu lors d'une manifestation à Paris le 29 juin 2023, au lendemain du meurtre d'un garçon de 17 ans, Nahel M., à Nanterre par un policier. (Photo Fiachra GIBBONS / AFP)
Une jeune fille prend un selfie devant des poubelles en feu lors d'une manifestation à Paris le 29 juin 2023, au lendemain du meurtre d'un garçon de 17 ans, Nahel M., à Nanterre par un policier. (Photo Fiachra GIBBONS / AFP)
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Publié le Jeudi 29 juin 2023

«Pour Nahel»: Nanterre plongée dans le chaos des émeutes

  • A l'intérieur du quartier, où flotte une âcre odeur de brûlé, plusieurs centaines de jeunes émeutiers affrontent la police à coups de pétards et de feux d'artifices
  • Les forces de l'ordre restent prudemment à distance, répondant essentiellement par des grenades lacrymogènes et quelques charges qui suffisent pour que s'égaillent brièvement les émeutiers

NANTERRE: "Ils reculent! On y va les gars, on avance, à mort les keufs!": jusqu'à tard dans la nuit de mercredi à jeudi, des centaines d'émeutiers ont de nouveau affronté à Nanterre les forces de l'ordre, affirmant être "là pour Nahel", 17 ans, tué par un policier après un refus d'obtempérer.

Avant 22 heures et le coucher du soleil, la situation était calme sur Nanterre. En cette fête musulmane de l'Aïd-el-Kébir, hommes et femmes de tous âges circulaient tranquillement en tenue d'apparat dans le chef-lieu des Hauts-de-Seine.

Avant d'être remplacés à la tombée de la nuit par des jeunes vêtus de noir, le visage caché par une cagoule ou une écharpe. C'est dans le quartier du Vieux-Pont que les premières échauffourées ont éclaté, au moins deux voitures étant incendiées avant un rapide retour au calme.

Mais le coeur des émeutes se trouvait dans le quartier Pablo-Picasso, un ensemble de ruelles sinueuses s'entrelaçant autour des célèbres "tours Nuage", immeubles des années 1970 conçus par l'architecte Emile Aillaud.

Mort de Nahel: la mairie de Mons-en-Baroeul partiellement incendiée

La mairie de Mons-en-Baroeul (Nord), près de Lille, a été en partie incendiée dans la nuit de mercredi à jeudi dans le cadre des violences qui ont éclaté en France après la mort de Nahel, 17 ans, tué par un policier, a annoncé le maire de la ville à l'AFP.

Selon le maire Rudy Elegeest, "une cinquantaine d'individus cagoulés" ont tiré contre la mairie à coup de mortier d'artifice aux alentours de 23H30. Les tirs se sont "achevés difficilement vers 4H30".

"Ils sont rentrés (dans la mairie) et ils ont mis le feu à plusieurs endroits", a-t-il poursuivi. "On a échappé au pire, parce qu’il y avait trois agents à l’intérieur" qui "se sont cachés pour échapper à la fois a cette violence terrible et aux flammes".

Les assaillants "se sont ensuite attaqués à une très grosse salle des fêtes, située en face de l’Hôtel de ville", puis "une autre salle encore à côté".

"Ils ont mis le feu à tout", a constaté M. Elegeest, qui juge "les dégâts matériels absolument considérables."

"Le rez-de-chaussée de la mairie est totalement ravagé", a-t-il dit, évoquant également des incendies de voitures dans sa ville.

Un total de 150 personnes ont été interpellées dans la nuit de mercredi à jeudi, nouvelle nuit de violences après la mort du jeune Nahel, tué par un policier lors d'un contrôle routier, a précisé un peu plus tôt le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin.

Une âcre odeur de brûlé

Poubelles et mobilier urbain brûlent sur la chaussée, dont s'échappe une épaisse fumée noire. Des groupes de jeunes bien organisés surveillent les entrées du quartier, sillonnées par des scooters aux plaques d'immatriculation camouflées à la recherche des forces de l'ordre.

A l'intérieur du quartier, où flotte une âcre odeur de brûlé, plusieurs centaines de jeunes émeutiers affrontent la police à coups de pétards et de feux d'artifices.

Les forces de l'ordre restent prudemment à distance, répondant essentiellement par des grenades lacrymogènes et quelques charges qui suffisent pour que s'égaillent brièvement les émeutiers.

C'est avenue Pablo-Picasso, l'artère qui traverse le quartier, que les affrontements sont le plus intenses. Quadrillée par les forces de l'ordre, la rue laisse voir sept voitures carbonisées finissant de brûler.

Sitôt l'ordre de repli donné, plusieurs centaines de jeunes réinvestissent la rue, montant promptement une barricade de fortune avec des barrières de chantiers. Deux nouvelles voitures sont incendiées.

«On est là toute l'année»

Autour de chaque scène d'émeute, le même tableau: des riverains venus filmer avec leur téléphone portable et commenter la scène en direct, sans y participer ni la condamner.

Les photographes et vidéo-journalistes ne sont pas les bienvenus et des jeunes ont demandé avec insistance à des journalistes de l'AFP ayant une caméra de quitter le quartier.

Dans la commune avoisinante de Puteaux, au pied du quartier d'affaires de la Défense, un groupe d'une douzaine de jeunes, profitant de la pagaille, a aussi violemment attaqué et frappé au visage un homme qui passait avec sa femme, le laissant en sang, mais conscient.

Jeu du chat et de la souris

Les journalistes de presse écrite, eux, sont tolérés après contrôle de leur carte de presse. "Vous êtes juste de passage. Nous, on est là toute l'année", glisse un jeune, avant d'affirmer: "Cette nuit, on est là pour Nahel".

Sur un mur, un immense tag annonce "27.06.2023 Début de la guerre !!! Un bon flic est un flic mort" puis "Justice pour Nahel", tandis que le jeu du chat et de la souris continue.

Selon une source policière, le quartier Pablo-Picasso était celui où se concentraient les émeutes à Nanterre. Mais des heurts ont éclaté dans toute l'Île-de-France, laissant entrevoir depuis l'autoroute A86 des nuages de fumées noires et épaisses, des explosions de feu d'artifices dominant des barres d'immeubles et d'innombrables camions de pompiers et véhicules de forces de l'ordre fonçant toutes sirènes hurlantes.


Après les tensions, Paris et Alger entament un nouveau chapitre

Lors d'un appel téléphonique récent, les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune sont convenus de relancer les échanges bilatéraux et de jeter les bases de cette reprise. (AFP)
Lors d'un appel téléphonique récent, les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune sont convenus de relancer les échanges bilatéraux et de jeter les bases de cette reprise. (AFP)
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  • Lors d'un appel téléphonique récent, les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune ont décidé de relancer les échanges bilatéraux
  • L'échange téléphonique a permis de formaliser une feuille de route ambitieuse et pragmatique

Après avoir frôlé la rupture, un nouveau chapitre s'ouvre dans les relations entre la France et l'Algérie.

Lors d'un appel téléphonique récent, les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune sont convenus de relancer les échanges bilatéraux et de jeter les bases de cette reprise.

Le communiqué publié par le palais de l'Élysée fait suite à plusieurs signes récents de rapprochement, notamment l'entretien accordé par Tebboune aux journalistes des médias publics algériens, où il a exprimé sa volonté de renouer le dialogue avec son homologue français et de mettre fin à ce qu'il a qualifié de «période d'incompréhension» entre leurs deux pays.

L'échange téléphonique a permis de formaliser une feuille de route ambitieuse et pragmatique, centrée sur trois axes prioritaires: la coopération sécuritaire, la gestion des flux migratoires et les questions mémorielles.

Le communiqué conjoint, publié à l’issue de cet échange, souligne la volonté des deux chefs d’État de dépasser les crises récentes pour amorcer une relation apaisée et mutuellement bénéfique.

Premier résultat concret dans le cadre de cette volonté affichée, le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot se rend à Alger le 6 avril pour des entretiens avec son homologue algérien Ahmed Attal.

Les ministres devront détailler un programme de travail ambitieux et en décliner les modalités opérationnelles et le calendrier de mise en œuvre.

La coopération sécuritaire doit reprendre sans délai, notamment pour lutter contre le terrorisme au Sahel et sécuriser les frontières de la région.

La gestion des migrations irrégulières et la question des réadmissions de ressortissants algériens en situation irrégulière en France sont au cœur des discussions. 

Cette dynamique s’inscrit dans la continuité de l’engagement du président français, exprimé dès le début de son premier mandat et même avant, lors de sa campagne électorale en Algérie, où il avait qualifié la colonisation de «crime contre l’humanité».

Plus tard et dès son élection en 2017, Macron a affiché sa volonté de regarder «la vérité en face». Sa première visite officielle en Algérie marquait la priorité qu’il entend donner à la relation franco-algérienne, en posant les bases d’un dialogue sincère et apaisé. 

Cet engagement a été réaffirmé par la déclaration d’Alger en août 2022, qui prévoyait la mise en place d’une «commission mixte des historiens» chargée d’examiner les archives et de favoriser une meilleure compréhension mutuelle.

Les enjeux de ce rapprochement, dont l’objectif est la poursuite du travail de refondation des relations bilatérales, dépassent le cadre strictement bilatéral et s’inscrivent dans un contexte géopolitique et sécuritaire complexe.

La coopération entre Paris et Alger est essentielle pour répondre aux défis régionaux, notamment dans le Sahel, où le terrorisme et l’instabilité menacent la sécurité de l’Afrique du Nord et de l’Europe. 

La France et l’Algérie partagent un intérêt commun pour la lutte contre les groupes armés et leur coopération stratégique revêt une importance capitale pour stabiliser la région.

La gestion des flux migratoires reste un point de tension récurrent, car si la France souhaite des mécanismes de réadmission efficaces, l’Algérie demande le respect de la dignité et des droits de ses ressortissants. 

Malgré la volonté de réconciliation affichée, le dossier mémoriel reste un obstacle majeur.

La question des excuses officielles pour les crimes coloniaux demeure sensible. Si Emmanuel Macron a reconnu des «crimes contre l’humanité» en 2017, les demandes d’excuses formelles de l’Algérie n’ont pas encore été pleinement satisfaites. 

Les travaux de la commission mixte des historiens, lancés à l’été 2022, doivent permettre d’approfondir la recherche sur cette période sombre et de poser les bases d’un dialogue apaisé.

Malgré les gestes d’ouverture, les relations entre Paris et Alger restent fragiles, en partie en raison d’une méfiance réciproque, alimentée par des perceptions contradictoires des enjeux bilatéraux.

L’un des points de friction les plus marquants est la question du Sahara occidental. La position française, perçue comme favorable au Maroc, a suscité des crispations du côté algérien, allant jusqu’au rappel de l’ambassadeur d’Algérie en France. 

Pour Alger, le soutien implicite de Paris au plan d’autonomie marocain est perçu comme un alignement qui remet en cause l’équilibre diplomatique régional.

Bien que la France ait tenté de clarifier sa position, en affirmant vouloir accompagner une dynamique internationale de sortie de crise, ce dossier demeure une source de tension. 

Au-delà des relations diplomatiques, les opinions publiques des deux pays jouent un rôle crucial dans l’évolution du partenariat.

En Algérie, une partie de la population reste méfiante vis-à-vis des intentions françaises, nourrie par un sentiment de souveraineté exacerbée et par la mémoire toujours vive des exactions coloniales. 

En France, la question algérienne suscite également des clivages politiques. Certains considèrent les gestes mémoriels comme une forme de repentance excessive, tandis que d’autres appellent à une reconnaissance plus franche des torts commis pendant la colonisation. 

La relance des relations entre la France et l’Algérie repose sur un équilibre délicat entre la reconnaissance du passé, la gestion des défis actuels et la mise en œuvre d’une coopération tournée vers l’avenir. 

Malgré la volonté politique manifeste, la concrétisation de ce partenariat dépendra de la capacité des deux dirigeants à dépasser les clivages historiques et à impulser une dynamique durable.


Paris entend résoudre les tensions avec Alger « sans aucune faiblesse »

le chef de la diplomatie française, chef de la diplomatie française (Photo AFP)
le chef de la diplomatie française, chef de la diplomatie française (Photo AFP)
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  • Le chef de la diplomatie française a assuré mardi que Paris entendait résoudre les tensions avec Alger « avec exigence et sans aucune faiblesse ».
  • « L'échange entre le président de la République (Emmanuel Macron, ndlr) et son homologue algérien (Abdelmadjid Tebboune) a ouvert un espace diplomatique qui peut nous permettre d'avancer vers une résolution de la crise », a-t-il ajouté.

PARIS : Le chef de la diplomatie française a assuré mardi que Paris entendait résoudre les tensions avec Alger « avec exigence et sans aucune faiblesse ». Il s'exprimait au lendemain d'un entretien entre les présidents français et algérien, qui visait à renouer le dialogue après huit mois de crise diplomatique sans précédent.

« Les tensions entre la France et l'Algérie, dont nous ne sommes pas à l'origine, ne sont dans l'intérêt de personne, ni de la France, ni de l'Algérie. Nous voulons les résoudre avec exigence et sans aucune faiblesse », a déclaré Jle chef de la diplomatie française devant l'Assemblée nationale, soulignant que « le dialogue et la fermeté ne sont en aucun cas contradictoires ».

« L'échange entre le président de la République (Emmanuel Macron, ndlr) et son homologue algérien (Abdelmadjid Tebboune) a ouvert un espace diplomatique qui peut nous permettre d'avancer vers une résolution de la crise », a-t-il ajouté.

Les Français « ont droit à des résultats, notamment en matière de coopération migratoire, de coopération en matière de renseignement, de lutte contre le terrorisme et au sujet bien évidemment de la détention sans fondement de notre compatriote Boualem Sansal », a affirmé le ministre en référence à l'écrivain franco-algérien condamné jeudi à cinq ans de prison ferme par un tribunal algérien. 


Algérie: Macron réunit ses ministres-clés au lendemain de la relance du dialogue

Emmanuel Macron, président français (Photo AFP)
Emmanuel Macron, président français (Photo AFP)
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  • Emmanuel Macron  réunit mardi plusieurs ministres en première ligne dans les relations avec l'Algérie, dont Bruno Retailleau, Gérald Darmanin et Jean-Noël Barrot, au lendemain de l'appel avec son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune
  • Le président français a décidé, à la suite de ce coup de fil, de dépêcher le 6 avril à Alger le chef de la diplomatie française Jean-Noël Barrot afin de « donner rapidement » un nouvel élan aux relations bilatérales.

PARIS : Emmanuel Macron  réunit mardi à 18H00 plusieurs ministres en première ligne dans les relations avec l'Algérie, dont Bruno Retailleau, Gérald Darmanin et Jean-Noël Barrot, au lendemain de l'appel avec son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune pour relancer le dialogue, a appris l'AFP de sources au sein de l'exécutif.

Le président français a décidé, à la suite de ce coup de fil, de dépêcher le 6 avril à Alger le chef de la diplomatie française Jean-Noël Barrot afin de « donner rapidement » un nouvel élan aux relations bilatérales après des mois de crise, selon le communiqué conjoint publié lundi soir.

Le ministre français de la Justice, Gérald Darmanin, effectuera de même une visite prochainement pour relancer la coopération judiciaire.

Le communiqué ne mentionne pas en revanche le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, figure du parti de droite Les Républicains, partisan d'une ligne dure à l'égard de l'Algérie ces derniers mois, notamment pour obtenir une nette augmentation des réadmissions par le pays de ressortissants algériens que la France souhaite expulser.

Bruno Retailleau sera présent à cette réunion à l'Élysée, avec ses deux collègues Barrot et Darmanin, ainsi que la ministre de la Culture, Rachida Dati, et celui de l'Économie, Éric Lombard, ont rapporté des sources au sein de l'exécutif.

 Dans l'entourage du ministre de l'Intérieur, on affirme à l'AFP que si la relance des relations décidée par les deux présidents devait bien aboutir à une reprise des réadmissions, ce serait à mettre au crédit de la « riposte graduée » et du « rapport de force » prônés par Bruno Retailleau.