TUNIS: Un foyer, un mouton. C’était la règle généralement respectée. Les familles aisées et nombreuses sacrifiaient plusieurs bêtes, y compris parfois un bœuf. Mais c’était il y a très longtemps, un temps que seuls les quadragénaires ou quinquagénaires ont connu en Tunisie et dont ils se souviennent avec nostalgie.
Jadis, le marché des moutons commençait à se mettre en place parfois jusqu’à trois semaines avant la célébration de ce rite qui marque la fin du Hajj, le pèlerinage à La Mecque.
Des éleveurs de l’intérieur du pays débarquaient dans les principales villes, auxquels s’ajoutaient des Tunisiens sans emploi ou des travailleurs de condition modeste, qui, pour arrondir leur fin de mois, empruntaient de l’argent pour avoir un petit troupeau, de quelques dizaines de moutons, dans l’espoir d’engranger quelques centaines de dinars (1 dinar tunisien = 0,30 euro) en les vendant.
Le chef de famille n’avait pas besoin de parcourir de grandes distances pour en acheter un, car on trouvait ces marchands de toujours ou d’un jour quasiment à tous les coins de rue.
Cette année, ce marché s’étant rétréci comme peau de chagrin, les points de vente sont devenus très rares. Dans les quartiers populaires de la médina de Tunis, ils ont presque disparu.
À Halfaouine, quartier au cœur duquel trône la mosquée Sahab Attabaa («Garde du sceau») bâtie au XIXe siècle, le 22 juin 2023, à moins d’une semaine de la fête du sacrifice, il n’y avait pas le moindre mouton ni sur la place centrale ni autour. Habituellement, on peut en trouver au moins quelques dizaines, que leurs propriétaires parquent dans des maisons proches, vides et louées spécialement pour quelques jours, ou qu'ils laissent en plein air, bien protégés.
Dans un pays où le salaire moyen est de 272 euros et le salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic) de 136 euros, et où les moutons coûtent entre 200 et 350 euros, il faut entre une fois et demie et plus de deux fois et demie le Smic pour pouvoir en acheter un. Ce qui le met hors de portée d’un grand nombre de foyers.
Cette très forte chute de l’offre est due à la tout aussi notable baisse de la demande. Ce qui ne signifie pas que les Tunisiens ne veulent plus – même si c’est vrai dans certains milieux aisés où la vague du régime végétarien commence à faire des adeptes – sacrifier au rite de l’Aïd al-Adha. Bon nombre d’entre eux n’en ont tout simplement plus les moyens. Et à défaut de pouvoir s’offrir un mouton, beaucoup se contentent de quelques kilos de viande, de quoi organiser une «méchoui party».
Cependant, même cette option n’est pas envisageable pour Samir. Ce petit fonctionnaire, dont le salaire mensuel dépasse de peu les 200 euros, fait un aveu la mort dans l’âme: «En trente ans de mariage, c’est la première fois que ma femme et moi ne parlons même pas d’acheter de la viande, alors que dire d’un mouton…» Et ce n’est guère étonnant!
Dans un pays où le salaire moyen est de 272 euros et le salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic) de 136 euros, et où les moutons coûtent entre 200 et 350 euros, il faut entre une fois et demie et plus de deux fois et demie le Smic pour pouvoir en acheter un. Raison pour laquelle les autorités ont, comme à leur habitude, distribué une aide de près de 20 euros par famille à 339 000 foyers. À peine de quoi acheter 1,5 kg de viande de mouton.