PARIS: La France a défendu lundi sa stratégie de défense antiaérienne de l'Europe, dont la guerre en Ukraine a révélé les carences, annonçant un contrat de vente de missiles Mistral, face à un projet allemand qui ne convient pas à Paris.
En marge de l'ouverture du Salon international de l'aéronautique du Bourget, le ministre français des Armées Sébastien Lecornu recevait à Paris une vingtaine de ses homologues européens (ministres et secrétaires d'Etat).
En clôture de la conférence, le président Emmanuel Macron a annoncé que la France, l'Estonie, la Hongrie, la Belgique et Chypre allaient acheter conjointement des missiles sol-air de très courte portée Mistral, plus de 1 000 selon l'entourage présidentiel.
"C’est un très bel exemple de coopération souveraine des Européens sur une gamme qui est tout à fait pertinente et qui n’était pas assez couverte", a-t-il déclaré.
Le chef de l'État a aussi annoncé l'admission de la Belgique comme observateur dans le tentaculaire programme de Système de combat aérien du futur (Scaf), déjà développé par la France, l'Allemagne et l'Espagne, et affaibli par de nombreux retards.
"C'est une évolution majeure", a-t-il estimé. "Cet élargissement permettra d'ancrer encore davantage en Europe ce projet au cœur de la défense aérienne de demain".
D'abord annoncé absent, le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, était finalement présent.
Cette initiative de Paris apparaît comme une réaction au projet allemand dit "Euro Sky Shield", lancé en octobre et qui entend s'appuyer sur les systèmes anti-aériens Iris-T allemand pour la courte portée, Patriot américain pour la moyenne portée et américano-israélien Arrow-3 pour la longue portée.
Ce futur "Bouclier du ciel européen" a séduit 16 pays de l'Otan, dont le Royaume-Uni, les pays baltes ou encore la Belgique, les Pays-Bas, la Finlande, la Norvège puis la Suède.
Mais il n'a pas convaincu la Pologne. Et Paris continue de miser notamment sur son propre système de défense sol-air de moyenne portée SAMP/T MAMBA, tout en pointant les problèmes que pose le projet allemand.
«Solutions européennes»
"La question est d'abord stratégique", a estimé Emmanuel Macron. "Elle consiste à savoir quel est l'état des menaces, quelle est la réalité de ce qu'on peut défendre et quelle est la stratégie qu'on veut poursuivre".
Selon lui, "les discussions de ce jour ont montré qu'il y avait de nombreuses solutions européennes sur tous les segments clés" de la défense anti-aérienne. "Ce qui nous vient de tiers non européens est moins maniable, d'évidence. Sujet au calendrier, aux files d'attentes, aux priorités, parfois aux autorisations des pays tiers et dépendant trop de l'extérieur".
De source proche de l'exécutif français, on mettait aussi en garde contre "un projet de bouclier technologiquement inatteignable à l'échelle européenne".
L'Élysée soulignait la nécessité de prendre en compte non seulement "la défense anti-missile mais aussi la frappe dans la profondeur et la dissuasion nucléaire".
Car la question du nucléaire est un autre point d'achoppement sérieux avec Berlin.
"L'Otan est une alliance nucléaire. Or jusqu’à quel point, en durcissant vos défenses, vous accélérez une forme de prolifération pour accentuer les capacités de pénétration ?", a prévenu le ministre des Armées.
"L'Allemagne est souveraine dans ses acquisitions. Mais on ne peut pas considérer que les efforts européens dans ce domaine se réduisent à cette annonce", insistait son entourage, rappelant que "beaucoup d'autres acquisitions sont en cours dans d’autres pays".
«Redonner du muscle à nos armées»
L'absence de menaces et la maîtrise du ciel par les Occidentaux depuis la fin de la Guerre froide les ont conduits à affaiblir les puissantes défenses antiaériennes qui devaient protéger l'Otan de l'aviation soviétique.
Mais les investissements arrivent : Berlin prévoit de consacrer 5 des 100 milliards d'euros de son fonds spécial à la défense antiaérienne, Paris également 5 milliards d'euros entre 2024 et 2030.
Le fabricant européen de missiles MBDA a signé ces derniers mois un contrat d'environ 2 milliards d'euros avec Paris et Rome pour fournir près de 700 missiles Aster, équipant le système franco-italien SAMP/T, et un autre de 2,2 milliards d'euros avec la Pologne pour lui fournir 44 lanceurs et plusieurs centaines de missiles CAMM.
"Nous devons avoir une idée européenne qui nous permettra d'avoir davantage de stocks, une production adaptée à nos rythmes, de redonner du muscle à nos armées", a insisté le président français.