BEYROUTH: Plus de 120 Syriens se trouvaient à bord du bateau de migrants qui a fait naufrage mercredi au large de la Grèce et un grand nombre d'entre eux sont portés disparus, ont indiqué vendredi à l'AFP des membres de leurs familles et des militants locaux.
La plupart de ces migrants sont originaires de la province instable de Deraa dans le sud du pays. Plusieurs d'entre eux ont gagné la Libye, d'où était parti le bateau, en transitant par des pays voisins comme le Liban, la Jordanie ou encore l'Arabie saoudite, selon les mêmes sources.
Les recherches se poursuivent vendredi mais les espoirs de retrouver des survivants s'amenuisent, deux jours après le drame. Mercredi, 78 corps avaient été repêchés et 104 personnes secourues.
L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a dit "redouter que des centaines de personnes supplémentaires" se soient noyées.
Parmi les Syriens portés disparus figure un adolescent de 15 ans, aveugle, accompagné de sa soeur plus âgée qui est médecin, a affirmé à l'AFP leur oncle, joint au téléphone depuis la province de Deraa.
Les deux jeunes gens ont pris l'avion de Damas pour la Libye avant d'embarquer sur le bateau, a ajouté cet homme qui a requis l'anonymat. "Mon neveu est aveugle ne sait pas nager", a-t-il dit en pleurant.
"Nous n'avons pas de nouvelles. Ils avaient peur lors du dernier appel téléphonique à leur famille (...) Nous savions que le voyage serait dangereux", a-t-il ajouté.
Le "Centre de documentation des martyrs de Deraa", fondé par des militants locaux, a indiqué avoir recensé 55 personnes de cette province portées disparues et 35 qui ont été secourues.
Naufrage de migrants en Grèce: ce que l'on sait sur les responsabilités
Les gardes-côtes grecs ont indiqué mercredi matin "avoir été prévenus mardi par les autorités italiennes concernant un bateau avec à bord un grand nombre d'étrangers". Des patrouilleurs grecs ont été mobilisés pour le repérer.
"C'est un appareil aérien de Frontex qui a le premier repéré le bateau mardi après-midi, puis deux bateaux qui naviguaient dans la zone", selon les gardes-côtes.
Nawal Soufi, une bénévole travaillant pour la ligne téléphonique d’assistance à des migrants en danger Alarm Phone, a indiqué sur son compte Facebook avoir reçu un SOS d’un bateau avec 750 personnes à bord en provenance de Libye.
A 22H40 GMT, le chalutier notifie une panne du moteur. Le patrouilleur à proximité "a immédiatement tenté d'approcher le chalutier pour déterminer le problème", ont indiqué les garde-côtes.
Vingt-quatre minutes plus tard, le patron du patrouilleur a annoncé par radio que le bateau avait chaviré. Il a coulé en 15 minutes.
La police portuaire a secouru des dizaines de rescapés et retrouvé au moins 78 corps de naufragés.
Evoquant des témoignages de certains rescapés mais qui n'ont pas pu être confirmés, le porte-parole du gouvernement grec Ilias Siakantaris a indiqué jeudi qu'"il y aurait peut-être jusqu'à 750 personnes sur le bateau".
Des migrants ont-ils refusé de l'aide?
Selon les gardes-côtes grecs, "il n'y a pas eu de demande d'aide" des personnes à bord du bateau de pêche.
"Après de nombreux appels du centre opérationnel des gardes-côtes grecs pour les secourir, la réponse du bateau de pêche a été négative", selon le communiqué.
"De (12H30 GMT à 18H00 GMT), la salle des opérations (...) a été en contact répété avec le bateau de pêche. Ils ont constamment répété qu'ils souhaitaient naviguer vers l'Italie", selon la même source.
Le porte-parole du gouvernement a également expliqué vendredi que "les gardes-côtes se sont rapprochés du bateau, ils ont jeté une corde pour le stabiliser, mais les migrants ont refusé l'aide".
"Ils disaient +No help, Go Italy+ ("Pas d'aide, on va en Italie")", a-t-il ajouté.
Pour sa part le porte-parole de la police portuaire Nikolaos Alexiou a souligné qu'on ne pouvait "pas remorquer un bateau avec un si grand nombre de gens à bord par la force, il faut qu'ils coopèrent".
Controverse
Des experts et des ONG ont mis en cause les gardes-côtes grecs qui auraient dû intervenir quoi qu'il arrive, selon eux.
Pour Vincent Cochetel, envoyé spécial du Haut-Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR) pour la Méditerranée centrale et occidentale, "l’argument grec selon lequel les personnes ne voulaient pas être secourues pour poursuivre leur route vers l’Italie ne tient pas", a-t-il dit à l'AFP.
"C’est aux autorités grecques qu’il incombait de procéder ou, au moins, de coordonner une opération de sauvetage, en utilisant soit leurs propres navires de sauvetage soit en faisant appel à tout autre bateau sur zone, y compris à des navires marchands", a-t-il jugé.
"Selon le droit maritime international, les autorités grecques auraient dû coordonner plus tôt cette opération de sauvetage, dès lors que Frontex avait repéré ce bateau en détresse", a-t-il poursuivi.
"On ne demande pas aux personnes à bord d’un bateau à la dérive s’ils veulent de l’aide (…) il aurait fallu une aide immédiate", a critiqué pour sa part Nikos Spanos, expert international des incidents maritimes.
Hans Leijtens, le patron de Frontex, s'est rendu jeudi à Kalamata pour chercher à "mieux comprendre ce qui s'est passé car Frontex a joué un rôle" dans cet "horrible" naufrage.
"Beaucoup de jeunes gens et de familles quittent Deraa, surtout ces dernières années, car la situation est devenue intenable, que ce soit sur le plan économique ou de la sécurité", a expliqué un militant de ce collectif, qui a requis l'anonymat.
Berceau du soulèvement antirégime déclenché en 2011, la province de Deraa est revenue sous le contrôle des forces gouvernementales en juillet 2018.
Deux frères
La guerre en Syrie a fait environ un demi-million de morts, et près de la moitié des Syriens sont désormais des réfugiés ou des déplacés.
Un autre Syrien originaire de Deraa et vivant en exil, dont les deux frères se trouvaient à bord du bateau, a indiqué à l'AFP avoir accouru en Grèce à l'annonce du naufrage. Son frère âgé de 26 ans a été sauvé mais le plus jeune, âgé de 21 ans, est porté disparu, a-t-il indiqué sous couvert d'anonymat.
"Mes deux frères vivaient dans le Golfe, mais avaient un visa de visite" qui ne leur donnait pas le droit d'étudier ou de travailler, a-t-il dit. "Ils ont pris l'avion pour la Libye afin de monter à bord du bateau. D’autres gens sont venus de Syrie, du Liban et de Jordanie."
Parmi les passagers figuraient également 35 Kurdes Syriens, originaires de la ville de Kobané (nord), a indiqué à l'AFP un homme dont le frère et le cousin se trouvaient sur le bateau.
"Mon frère, qui savait nager, a été secouru, mais mon cousin de 17 est porté disparu", a ajouté l'homme qui a lui aussi requis l'anonymat, joint au téléphone par l'AFP. Selon lui, au total cinq Kurdes ont été secourus.
Il a raconté que le bateau était surchargé. "Quand l'embarcation est tombée en panne, six membres d'équipage l'ont quittée sur des canots pneumatiques, abandonnant les passagers", a-t-il ajouté, sur la base du témoignage de son frère.