KIEV: Pour atteindre un sous-sol délabré servant d'abris antiaérien dans un quartier résidentiel de l'est de Kiev, il faut emprunter une vieille porte branlante posée à même des marches cassées.
A l'intérieur, des résidents allument leurs lampes-torches pour montrer l'espace, censé pouvoir accueillir 350 personnes. Ici, la ventilation est bloquée par des ordures, il n'y pas d'électricité et des SDF ont pris l'habitude d'y passer la nuit.
Pourtant, ce sous-sol, bâti pour être un abri antiaérien pendant la Guerre froide, devrait être équipé de réserves d'eau, de toilettes, avoir deux accès et être ventilé.
Avec près d'un an et demi de guerre, et une campagne de bombardements nocturnes particulièrement intense depuis début mai, ce refuge et une multitude d'autres à travers la capitale ne sont, de facto, pas utilisables.
"S'il était remis en état, on pourrait y accueillir 350 personnes, soit deux immeubles!", s'agace Kateryna Chylo, 42 ans, une mère de trois enfants habitant près de l'abri rue Souleïman Stalsky.
La frustration des habitants est palpable, en dépit des efforts annoncés par les autorités d'inspecter et de remettre en état les refuges de la ville.
Celles-ci ont juré de donner un coup d'accélérateur à la remise en état de ces sites après la mort d'une mère et de sa fille de 9 ans le 1er juin, tuées dans un quartier voisin par les débris d'un missile russe abattu alors qu'elles attendaient dans la rue l'ouverture d'un abri, fermé malgré une alerte antiaérienne nocturne.
Un tiers inaccessible
Dans la foulée de ce drame, une commission a inspecté les 4 655 abris de la capitale. Selon ses conclusions, publiées par la mairie, seuls 65% sont plus ou moins en état, 21% doivent être rénovés et 14% sont tout simplement inutilisables.
Autre problème, près d'un tiers d'entre eux étaient inaccessibles ou seulement après un appel téléphonique à une personne disposant de la clé.
A l'époque soviétique, à l'heure où le monde craignait une guerre nucléaire, ces sites étaient rénovés. Depuis la fin de l'URSS en 1991, ils sont tombés en ruine.
Celui de la rue Souleïman Stalsky a été d'abord privatisé illégalement, puis il a changé de propriétaires à de multiples reprises. Au final, il a même été oublié des cartes des abris antiaériens.
Pourtant, "dès le début de la guerre (le 24 février 2022), les gens sont venus ici, il n'y avait pas d'autre choix", explique Mme Chylo.
Durant ces premiers mois, les habitants ont essayé d'améliorer les lieux, amenant des lits, des chaises et des bancs. Mais régulièrement, ils devaient aussi y ramasser des excréments humains de SDF et de toxicomanes qui y passent la nuit.
L'un des voisins, Oleksandre, s'agace de voir que les autorités ne mettent pas la pression "sur le propriétaire pour qu'il remette les lieux en état". D'autant que l'abri est de "classe 2", c'est-à-dire le second niveau de résistance, un lieu bien plus sûr qu'une cave classique.
Confort de la maison
Bâti en 1982, et d'une surface de 234m2, "il y avait tout ici: des lits superposés et même des masques à gaz", se souvient Ganna Skirsko, 67 ans, qui connaissait l'endroit à l'époque soviétique.
Dans un courrier à un résident dont l'AFP a pris connaissance, un responsable du quartier, Pavlo Babiï, affirme qu'une rénovation n'était "pas économiquement faisable" car elle coûterait 1,8 million de hryvnias (45 000 euros environ).
Sur l'avenue Beresteïsky, dans un quartier ouest, un autre abri est bien plus propre. Néanmoins, la tuyauterie du système de ventilation est rouillée, les toilettes sont cassées et la moisissure s'étend sur des murs à la peinture écaillée.
Avant la guerre, le refuge servait à entreposer du bric-à-brac. Ce sont les habitants qui l'ont nettoyé et installé des meubles de base, explique l'une d'entre eux, Anna Borychkevytch, 30 ans.
Si elle continue d'y aller avec quelques voisins lorsque les sirènes retentissent annonçant un possible bombardement, elle assure que la plupart des gens n'y viennent pas en raison de l'insalubrité.
"Il doit y avoir 300 ou 400m2 ici je pense, si c'était bien fait tous les habitants de ce bloc d'appartements pourraient venir, mais ils en n'ont pas envie", raconte la jeune femme, coordinatrice d'un centre de santé publique.
Selon elle, certains préfèrent tout simplement "le confort de leur maison". D'autant que beaucoup d'habitants de l'immeuble des années 1960 sont des personnes âgées qui peinent dans les escaliers.
"Personne ne s'est même posé la question de comment faire pour y descendre en fauteuil roulant", déplore-t-elle.
Seul point positif, l'électricité a été réparé. Selon elle, après la mort de la mère et de sa fillette le 1er juin.
Au fond, dit-elle, on "s’habitue à ne pas avoir d'abris dignes de ce nom".