CHICAGO: Discutant de l'avenir des relations saoudo-américaines lors d'un épisode spécial du Ray Hanania Radio Show, une émission hebdomadaire aux États-Unis parrainée par Arab News, Rob Sobhani est revenu sur un récent article d'opinion paru dans le Washington Times dans lequel il appelait à inviter le prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane, à la Maison-Blanche.
«Si j'étais le président des États-Unis, j'appellerais Mohammed ben Salmane, je l'inviterais à la Maison-Blanche, je lui dirais, mon ami, mon partenaire – pas par un coup de poing mais une poignée de main – et je lui dirais, mon ami, mon cher ami, résolvons ensemble certains de ces problèmes mondiaux», a déclaré Sobhani, auteur et professeur adjoint à l'université de Georgetown, lors de l'émission de mercredi.
Dans l'article publié le 7 juin, Sobhani recommande l'engagement saoudo-américain afin d'insister sur le fait que le maintien et le renforcement des relations bilatérales sont d'une importance vitale dans un monde de plus en plus multipolaire où les États-Unis ont plus que jamais besoin d'amis et d'alliés. «J'ai écrit cet article parce que je pense qu'il est important de comprendre ce qui motive le prince héritier, Mohammed ben Salmane», a révélé Sobhani. «Et c'est important parce que nous vivons dans un monde turbulent, où nous nous dirigeons vers un nouveau paradigme d'un monde multipolaire.
«Mais les États-Unis ont besoin de penseurs indépendants comme alliés, des alliés qui aiment leur propre pays, mais qui comprennent aussi la valeur qu'apporte une relation avec Washington. Et je crois vraiment, fermement que le prince héritier, Mohammed ben Salmane, peut être un partenaire très, très fort des États-Unis, en particulier au niveau des défis mondiaux, qu’il défend lui-même maintenant, tels que le climat, les questions de chaîne d'approvisionnement, la pandémie mondiale, etc.
«Je pense donc que le président Biden et son équipe de politique étrangère doivent vraiment repenser la manière dont ils considèrent l'Arabie saoudite en général et, en particulier, le prince héritier, Mohammed ben Salmane.»
La tribune de Sobhani a suscité un nouveau débat dans les cercles de politique étrangère américains sur la manière dont Washington gère les relations bilatérales. En effet, les perceptions de l'Arabie saoudite et du Moyen-Orient en général ont été particulièrement divisées ces dernières années.
Interrogé sur le fait de savoir s'il a eu du mal à convaincre le journal ou s’il a fait face à une opposition à la publication de son article dans le Washington Times, Sobhani a indiqué que le quotidien pouvait être juste mais aussi critique lorsqu'il le fallait. Il l'a comparé favorablement à de nombreux grands médias libéraux qui, selon lui, se sont trompés sur le Moyen-Orient, par le passé.
«Le Washington Times a été un journal très juste et équilibré en ce qui concerne l'Arabie saoudite», a signalé Sobhani lors de l'émission. «Le moment venu, il sera critique. Il publiera des articles critiques. Mais, dans l'ensemble, il a été extrêmement, extrêmement équilibré dans ses écrits et dans ses récits sur l'Arabie saoudite.
«Personnellement, j'ai préféré publier cet article dans le Washington Times parce que l'histoire indique qu'il y a quarante-cinq, quarante-six, quarante-sept ans, lorsque les médias libéraux de ce pays ont utilisé le terme "saint" pour désigner l'ayatollah Khomeini d'Iran, et que nous en voyons aujourd'hui les résultats, il est en effet important que le bon équilibre médiatique, des médias comme le Times, soit applaudi.»
Le commentateur démocrate Brian Katulis, chercheur principal et vice-président de la politique au Middle East Institute et rédacteur en chef du Liberal Patriot, a reconnu que les États-Unis devaient revoir leur position vis-à-vis de l'Arabie saoudite.
Après avoir plaidé en faveur d'un renforcement des relations entre l'Arabie saoudite et les États-Unis, Katulis a déclaré au Ray Hanania Radio Show que les responsables américains devaient comprendre que la dynamique avait changé depuis 1991, date à laquelle les États-Unis étaient la puissance prééminente dans un monde unipolaire.
Au lieu de cela, il a appelé à une «Vision 2030» pour les relations américano-saoudiennes, en s'inspirant de la réforme sociale et de la stratégie de diversification économique de l’Arabie saoudite, conçues pour s'éloigner de la dépendance aux hydrocarbures et pour s'ouvrir à de nouvelles industries, à de nouveaux investissements et à de nouvelles idées.
«L'Amérique a changé, elle très différente de ce qu’elle était à l’époque d'Obama, de Bush ou de Clinton», a déclaré Katulis lors de l'émission. «Je prendrais la vision saoudienne autoproclamée pour sa propre transformation sociale et économique. Elle existe depuis un certain temps, et je combinerais les deux concepts.
«J'ai parlé à de très hauts responsables américains et saoudiens de la nécessité de bien faire les choses et ils en sont conscients. Il faut donc que les deux parties aient une discussion à long terme, un dialogue stratégique, et il faut que ce soit une conversation. Un dialogue libre de toute restriction. Nous sommes des partenaires égaux, alors parlons-en. Ensuite, il faut établir un diagramme pour chacun des différents secteurs.»
À la question de savoir si les autorités saoudiennes s'entendent mieux avec les démocrates ou les républicains, Katulis répond qu'il existe en fait de nombreuses similitudes entre les deux partis sur les questions de sécurité nationale concernant le Moyen-Orient.
«Si l'on examine le document de stratégie de sécurité nationale de l'administration Biden et celui de l'administration Trump, on constate qu'il y a en fait beaucoup de similitudes entre les deux», a-t-il estimé.
«Je pense que si des pays comme l'Arabie saoudite parvenaient à mieux expliquer comment ils aideront Washington à promouvoir ses intérêts et même, dans une certaine mesure, certaines questions telles que les questions sociales et les valeurs, ils seraient beaucoup plus convaincants pour les hommes politiques des deux côtés de l'allée du Capitole.
«Et finalement, 2023 n'est pas non plus comme 2005 ou 2013 en ce sens que beaucoup de ces questions de sécurité nationale, et en particulier les questions de politique au Moyen-Orient, ne sont pas sur l'écran radar de la politique américaine comme elles l'étaient auparavant. C'est un avantage, mais c'est aussi un inconvénient.»
Salmane al-Ansari, homme d'affaires, écrivain et commentateur politique saoudien, a déclaré qu'il y avait beaucoup d'erreurs de communication sur les réalités de l'Arabie saoudite et que les responsables américains n'avaient pas une vision complète de la situation, notamment en ce qui concerne la position du pays sur la réadmission de la Syrie au sein de la Ligue arabe.
«Je pense que l'affaire n'a pas bien été comprise par le monde entier», a-t-il déclaré au Ray Hanania Radio Show. «Ce qui s'est passé a été expliqué par le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Faisal ben Farhane.»
«Il a dit que les choses se feront étape par étape. Qu’est-ce que cela signifie ? Oui, nous avons admis le retour de la Syrie dans le giron du monde arabe. Mais cela ne signifie pas qu'ils en tireront un quelconque avantage économique.
«Mais l'impasse n'a pas été utile. C'est le point de vue de l'Arabie saoudite. Donc, si nous revenons au projet de loi du Congrès en ce qui concerne la Syrie, et au projet de loi César qui concerne les sanctions, il mentionne trois points principaux pour lever les sanctions contre la Syrie. Premièrement, il faut une réforme politique basée sur la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies. C'est ce que souhaite l'Arabie saoudite. Deuxièmement, pour que les sanctions soient levées, il faut expulser les milices. Les milices iraniennes et étrangères doivent quitter la Syrie. C'est ce que veut l'Arabie saoudite. Troisièmement, il faut accorder une amnistie et permettre à l'opposition et aux réfugiés de retourner en Syrie. C'est ce que veut l'Arabie saoudite.
«Je ne pense donc pas que les Saoudiens et les Américains ne soient pas sur la même longueur d'onde. En fait, ils sont exactement sur la même longueur d'onde. Ils ont le même objectif. Mais l'Arabie saoudite veut atteindre cet objectif en admettant ou en réadmettant la Syrie dans le giron arabe.»
En ce qui concerne le réchauffement des relations entre l'Arabie saoudite et la Chine, Al-Ansari a mentionné que les États-Unis ne devaient pas s'inquiéter.
«La Chine est le premier partenaire commercial de l'Arabie saoudite et de 130 autres pays, dont les États-Unis eux-mêmes. C'est donc une réalité et le royaume d’Arabie saoudite réévalue sa vision stratégique du monde en conséquence», a-t-il précisé.
«Nous ne devrions pas nier le fait que l'unipolarité est d'une certaine manière révolue. Et je pense que c'est une bonne chose parce que la multipolarité signifie plus de voix, plus de perspectives et plus de progrès. Le monde a besoin d'équilibre et la multipolarité apporte l'équilibre.
«Les États-Unis – je ne veux pas me tromper – resteront toujours le principal partenaire stratégique et sécuritaire de l'Arabie saoudite.»
Al-Ansari pense qu'une partie du problème des relations entre Riyad et Washington réside dans l'incapacité du Royaume à communiquer clairement son message au public américain. En fait, comme il l'a souligné, l'Arabie saoudite est le seul pays du G20 à ne pas disposer d'une chaîne d'information en langue anglaise.
«Une chaîne de télévision est très importante. Nous devrions avoir beaucoup de réseaux basés en anglais lorsqu'il s'agit des médias pour raconter nos histoires», a-t-il jugé.
«Et je suis optimiste quant à l'actuel ministre saoudien des Médias, qui travaille depuis longtemps dans le domaine et qui est un écrivain et un penseur capable de faire progresser l'approche saoudienne dans le monde entier.
«Ainsi, le fait que nous ne soyons pas compris est peut-être une question qui va dans les deux sens. De l'autre côté, nous avons vu qu'il existe une véritable phobie saoudienne, malheureusement, et que, quoi que nous fassions (ou pas), nous sommes toujours critiqués.
«On peut blâmer les États-Unis et les médias occidentaux pour cela. D'autre part, nous ne nous exprimons pas et nous n'avons pas d'institutions capables de raconter nos histoires exactes.»
En conséquence, Al-Ansari estime qu'il y a eu plusieurs occasions manquées de promouvoir certaines des réalisations de l’Arabie saoudite.
«On n'entend pas parler de ces réalisations dans les médias occidentaux, ni dans les médias partiaux, c'est certain. Et c'est l'une des raisons pour lesquelles nous ne bénéficions pas d'une bonne couverture médiatique», a-t-il expliqué.
Je me souviens que l'ambassadrice saoudienne auprès de l'UE, Haifa al-Judea, a souligné que l'Arabie saoudite avait supprimé tous les obstacles à l'entrée des femmes sur le marché du travail et a affirmé que le pays avait introduit des lois sur l'égalité de rémunération en 2019, que même de nombreux États membres de l'UE et les États-Unis n'ont pas encore adoptées.
«Ces choses sont donc étonnantes. Ces choses n'avaient pas été anticipées il y a seulement six, sept ou huit ans. Et maintenant, nous vivons cette sorte de renaissance saoudienne qui doit être vue avec admiration plutôt que d'être critiquée sans raison.»
Alors, que faudrait-il pour que les relations américano-saoudienne soient corrigées ? Outre l'invitation du prince héritier, Mohammed ben Salmane, à la Maison-Blanche, Sobhani a suggéré que les États-Unis et l'Arabie saoudite devraient identifier une poignée de domaines dans lesquels ils peuvent coopérer et faire la différence.
«Je vous garantis que si les dirigeants de la Maison-Blanche et le prince héritier se réunissaient dans une pièce et prenaient des décisions, nous capturerions les deux tiers de tout le carbone qui existe en plantant mille milliards d'arbres, le monde serait derrière», a assuré Sobhani, soulignant les deux initiatives saoudiennes : l’initiative verte saoudienne et l’initiative du Moyen-Orient, lancées par le prince héritier en 2021.
«Si nous proposons au prince héritier de construire le meilleur pôle de cancérologie au monde afin de résoudre le problème du cancer, il irait de l’avant.
«Parce que devinez quoi ? Le cancer ne comprend pas l'Arabie saoudite ou l'Amérique. Le cancer ne comprend pas les républicains ou les démocrates. Le cancer ne comprend pas le salafisme ou le wahhabite. Le cancer tue.
«Et si nous nous associons à l'Arabie saoudite et à Mohammed ben Salmane, ce serait une étape positive pour le monde.»
Sobhani a établi des parallèles entre le prince héritier saoudien et d'autres personnalités réformatrices célèbres de l'histoire du Moyen-Orient.
«Ataturk en Turquie, essayant de prendre un pays et de le faire avancer. Reza Chah en Iran, essayant de prendre un pays et de le faire avancer. Un ancien dirigeant de Singapour a transformé un pays insulaire en l'un des pays les plus prospères», a-t-il clarifié en faisant référence à Mustafa Kemal Ataturk, Mohammad Reza Chah et Lee Kuan Yew.
«Oui, le long de la route, il y a peut-être eu des obstacles pour Mohammed ben Salmane, mais il ne fait aucun doute qu'il est sur la bonne trajectoire pour être un leader pour son pays.»
Pour Katulis, malgré les inquiétudes suscitées par les divisions politiques aux États-Unis, le pays reste une force résistante et le meilleur allié possible pour l'Arabie saoudite.
«Ils (les Saoudiens) savent au fond qu'il n'y a pas de meilleur pays avec lequel s'associer, non seulement pour leur sécurité, mais aussi sur le plan économique à long terme», a-t-il souligné.
«Je pense en fait que Washington a une résilience étonnante et une capacité à se corriger en ce qui concerne son propre système. Et c'est parce que nous avons des médias libres, nous avons la liberté, nous avons beaucoup d'indépendance.
«C'est parfois chaotique. Et oui, il y a des divisions, mais je pense qu'il y a un véritable désir de partenariat avec les États-Unis et de réfléchir à l'avenir.»
En outre, Katulis estime que le moment est venu pour les États-Unis de s'engager pleinement sur le plan stratégique avec l'ensemble du Moyen-Orient.
Plutôt que de se restreindre ou de se retirer de la région, l’Amérique doit en fait doubler son engagement dans la région», a-t-il estimé.
«J'entends par là qu'il ne s'agit pas seulement de manœuvres militaires et d'aider les autres à se protéger des menaces, mais aussi de saisir les opportunités, les opportunités économiques, les opportunités de changement social. Et il serait préférable que les États-Unis le fassent», a soutenu Katulis.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com