SAINT JEAN DE MAURIENNE, FRANCE: Chantier "éminemment écologique" ou projet "mégalo et détraqué" ? La tension monte en France autour du projet controversé de ligne ferroviaire Lyon-Turin, avant une grande mobilisation prévue samedi par ses opposants et interdite par la préfecture pour "risques de débordements".
"Il y a des craintes quant à la sécurité des forces de l'ordre et des pompiers", a déclaré le préfet de Savoie François Ravier jeudi lors d'un point presse à Chambéry, précisant que "2.000 gendarmes et policiers" allaient être déployés en vallée de Maurienne, frontalière de l'Italie, célèbre pour ses stations de ski.
La manifestation, annoncée de longue date par une dizaine d'organisations dont les Soulèvements de la Terre et les No-Tav italiens, entend dénoncer les impacts écologiques, notamment sur la ressource en eau, de ce chantier "ferroviaire titanesque, impliquant le forage de 260 km de galeries à travers les massifs alpins".
Le gouvernement français avait annoncé fin mars avoir engagé la procédure de dissolution du mouvement Soulèvements de la Terre, qu'il a rendu responsable des affrontements violents lors d'une manifestation interdite contre un projet de réserve d'eau agricoles, à Sainte-Soline.
Soutenue par l'Union européenne, cette nouvelle ligne grande vitesse doit à terme relier Lyon et Turin, avec 70% des voies en France et 30% en Italie, pour un coût évalué à plus de 26 milliards d'euros.
Un million de poids-lourds
La nouvelle ligne "permettra de délester les routes alpines d'un million de poids lourds et de réduire chaque année les émissions de gaz à effet de serre d'environ un million de tonnes d'équivalent CO2", soit "l'équivalent produit par une ville de 300.000 habitants", selon les données de la société franco-italienne Telt, en charge du tunnel.
Les opposants maintiennent eux l'appel à manifester. "Les motifs du préfet sont fallacieux, nous ne sommes pas des terroristes", a réagi Marc Pascal, référent du parti Europe Ecologie-Les Verts (EELV) de Savoie.
"Nous continuons d'appeler à une manifestation familiale, festive, non violente, pacifique", a-t-il lancé.
"Les associations locales ont déposé un référé contre l'arrêté" auprès du tribunal administratif de Grenoble, a indiqué de son côté Brigitte Finas, du bureau national de l'association altermondialiste Attac. "Il y a un déni de démocratie", a-t-elle estimé.
Le même jour, des experts de l'ONU ont appelé la France à entreprendre un "examen complet" de ses pratiques de maintien de l'ordre, s'inquiétant d'"allégations d'un usage excessif de la force", notamment lors de la manifestation écologiste de Sainte-Soline.
Selon les opposants, les travaux, en cours mais encore loin d'être achevés, risquent de "détruire la montagne pour les intérêts économiques de quelques-uns, au détriment du vivant".
Des élus comme le maire écologiste de Grenoble Eric Piolle et la députée La France Insoumise (LFI, gauche radicale) Mathilde Panot ont annoncé leur venue samedi en vallée de Maurienne.
"Intrusions"
Le préfet a justifié son arrêté d'interdiction par un défaut d'information des organisateurs sur le nombre de manifestants attendu et sur les parcours. Selon lui, ils pourraient être "entre 3.000 et 4.000", avec "notamment des personnes venant de régions extérieures et sans doute de pays étrangers frontaliers, notamment l'Italie et la Suisse".
En outre, "on nous a signalé la présence d'éléments radicaux, entre 300 et 500", a-t-il ajouté citant des évaluations du ministère de l'Intérieur.
La vente de mortiers d'artifice, carburants au détail, produits chimiques et d'artifices est d'ores et déjà interdite, selon la préfecture.
Jeudi matin, une manifestation de soutien au projet avait en revanche été autorisée, rassemblant environ 200 personnes, dont des élus devant la gare de Saint-Jean-de-Maurienne.
"Le Lyon-Turin, ce n'est plus un projet, c'est déjà une réalité dans notre territoire, dans nos aménagements", a estimé le maire (sans étiquette) de la ville, Philippe Rollet.
"Le Lyon-Turin est éminemment écologique", a renchéri Émilie Bonnivard, députée (Les Républicains, droite) de Savoie, en allusion à la baisse attendue du trafic routier et des émissions de CO2.
"La montagne n’est pas un gruyère", s'insurge jeudi dans un communiqué l'association Mountain Wilderness, en déplorant que les Alpes "souffrent déjà (...) du réchauffement climatique".