PARIS: Les discours anti-français en Afrique francophone se sont répandus au-delà des élites urbaines éduquées et le phénomène pourrait "s'enraciner durablement", estime Alain Antil, chercheur à l'Institut français des relations internationales (Ifri) dans un entretien avec l'AFP.
Les critiques de la politique de la France ont été accompagnées ces dernières années de manifestations violentes à l'encontre de sociétés françaises telles que Total ou contre des représentations diplomatiques au Tchad, au Mali et plus récemment au Burkina Faso.
La profondeur du phénomène n'a "rien de comparable avec ce qu'on pouvait voir dans les décennies précédentes", souligne Alain Antil, qui dirige le Centre Afrique subsaharienne de l'Ifri et qui publie mercredi, avec son collègue Thierry Vircoulon, une étude consacrée aux "Thématiques, acteurs et fonctions du discours anti-français en Afrique francophone".
On est désormais loin du temps "où les critiques, très articulées (...) étaient confinées à des cercles dirigeants d'intellectuels et qui, parfois, lors de crises politiques graves, pouvaient se répandre dans la rue", dit-il.
Il est frappant de constater que les détracteurs ne cherchent même plus à faire la démonstration de contre-vérités: "on n'a même plus besoin de prouver que la France soutient le djihadisme. On l'affirme", observe-t-il.
Pour le chercheur, l'intensification du sentiment anti-français s'explique par "des trajectoires économiques et politiques décevantes" dans des pays où la population avait un temps fondé l'espoir de progrès économiques et en matière de démocratie.
«Déni»
Face à l'échec de leurs propres politiques, les dirigeants de ces pays ont recours à "des techniques de bouc émissaire": "la France est responsable finalement du non développement de ces pays et de la corruption de leurs élites", explique Alain Antil. "C'est toujours un argument qui vient expliquer, et dédouaner finalement la responsabilité de ces élites".
Parallèlement, ces discours anti-français ont pu prospérer car les dirigeants français ont, eux, tardé à réagir.
Jusqu'à très récemment, les autorités françaises "étaient dans une espèce de déni", y voyant simplement une corrélation à des crises, "à des poussées d'urticaire" ou une manipulation des Russes, explique le chercheur.
L'étude montre certes "une articulation entre cette guerre propagandiste russe et certains segments des réseaux sociaux africains".
Il est indéniable que les réseaux sociaux ont massivement fait circuler de fausses informations à l'instar de vidéos ou photos montrant des soldats français qui seraient "soit disant" en train de voler de l'or ou de "s'acoquiner avec des djihadistes", souligne Alain Antil.
Mais l'expert met en garde contre la tentation de tout expliquer par la propagande russe.
"Évidemment, les Russes jouent leur partition, ont un impact, et financent des campagnes anti-françaises", dit-il.
Pour autant, penser qu'il suffit "d'expliquer aux Africains qu'ils sont manipulés par les Russes pour que ça se finisse" serait une erreur d'analyse, prévient-il.
Bien loin de refluer, ces discours vont s'enraciner "durablement dans les champs politiques et les opinions publiques de ces pays", ajoute-t-il, citant trois facteurs nourrissant le sentiment anti-français: la présence militaire, la politique d'aide au développement ainsi que la monnaie.
Si le nombre de militaires français a drastiquement baissé passant de 30 000 hommes au début des années 60 à quelque 6 100 aujourd'hui, "l'interventionnisme n'a pas diminué", note le chercheur.
«D'égal à égal»
S'agissant du Franc CFA , peu importe les réformes et la mise à distance de la France, le seul nom Franc CFA reste tout "un symbole" alors que l'ancienne colonie a, elle, adopté l'euro.
Quoique présent, le discours anticolonial n'est "pas central" dans la propagation du sentiment anti-français, ont en revanche observé les chercheurs qui ont passé en revue réseaux sociaux et journaux.
"C'est plutôt la période post-coloniale" qui est en cause.
Les chercheurs ne font pas de recommandations mais interrogé par l'AFP, Alain Antil note la nécessité de ménager les opinions de ces pays.
"Il y a, côté français, souvent des maladresses dans la manière dont on s'adresse aux interlocuteurs", explique-t-il. "La forme compte beaucoup" et "on ne le mesure pas assez", dit-il, rappelant les critiques essuyées par le président Emmanuel Macron lors de son récent voyage officiel en Afrique.
"Les opinions publiques africaines sont extraordinairement sensibles -- on peut les comprendre -- au fait de les traiter d'égal à égal et non pas d'avoir quelqu'un qui donne des leçons ou qui ironise", conclut-il.