PARIS: Avec près de 90 000 créations d'emploi nettes dans le privé au premier trimestre, le marché du travail confirme sa résistance à une croissance atone, démentant une nouvelle fois les prévisions plus pessimistes des économistes.
Selon l'estimation définitive publiée jeudi par l'Insee, l'emploi salarié privé a progressé de 0,4% sur les trois premiers mois, avec 86 800 créations nettes d'emplois.
Cette estimation est deux fois plus forte que celle provisoire publiée le 5 mai et quatre fois supérieure aux prévisions de l'Institut en décembre.
Après +0,2% au trimestre précédent, il s'agit du "neuvième trimestre consécutif" de hausse, souligne l'institut.
Et ceci "malgré des perspectives économiques qui restent incertaines, compte tenu notamment du haut niveau d’inflation, de la remontée des taux d'intérêt et des tensions géopolitiques", note l'Urssaf dans un communiqué parallèle sur l'évolution de la masse salariale.
L'emploi salarié privé excède son niveau d'il y a un an de 1,6% (+343 000 emplois) et d'avant la crise sanitaire (fin 2019) de 6,1% (+1,2 million d'emplois, dont un tiers en contrats d'alternance).
Au total, plus de 27 millions de Français occupent un emploi salarié, nouveau record, dont 5,9 millions dans la fonction publique (+0,1% ce trimestre).
"A chaque trimestre, on est surpris. On n'a pas de fléchissement des créations d'emploi, bien au contraire", note Mathieu Plane, directeur adjoint du département analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
"On continue d'avoir ce décalage entre une croissance molle (+0,2% au premier trimestre) et des créations d'emploi dynamiques", constate-t-il. "Malgré les pertes de productivité depuis trois ans, les entreprises continuent d'embaucher".
De quoi donner du grain à moudre au gouvernement qui cherche à faire mentir certaines prévisions peu optimistes et veut atteindre le plein emploi en 2027.
"Les chiffres de l'emploi sont bons, et c'est tant mieux", s'est félicité sur France Inter le ministre du Travail Olivier Dussopt.
Pour atteindre un taux de chômage autour de 5% (contre 7,1% aujourd'hui), le gouvernement estime qu'il faut que l'économie crée 700 000 à 800 000 emplois supplémentaires d'ici la fin du quinquennat.
L'intérim fléchit
Le gouvernement compte sur la réorganisation du service public de l'emploi avec la création de France Travail, présentée mercredi en conseil des ministres et censée renforcer l'accompagnement des allocataires du RSA vers le retour à l'emploi.
L'objectif est aussi de répondre aux difficultés de recrutement mises en avant par le patronat, même si celles-ci n'empêchent pas in fine les créations d'emploi, constate M. Plane.
"Comme tout le monde recrute, ça crée des tensions car ça prend plus de temps mais ces embauches ont bien lieu", relativise-t-il.
Dans le détail cependant, la progression de l'emploi ce trimestre marque des évolutions sectorielles contrastées.
L'intérim se replie de 2,2% (soit -18.100 emplois), sans que l'on sache si c'est un indicateur avancé de retournement de l'emploi ou si c'est la conséquence d'embauches qui se font de plus en plus en CDI ou CDD de longue durée.
La locomotive de l'emploi reste le tertiaire marchand avec une hausse de +0,7% (soit +88 300 emplois). Au sein de ce secteur, s'il augmente faiblement dans le commerce (+0,2%), il reste dynamique dans l'hébergement-restauration (+0,6%), les transports (+0,6%) ou les "arts, spectacles et activités récréatives" (+1,7%).
L'emploi industriel progresse de 0,3% (+8 200 emplois) après +0,2% au trimestre précédent.
Mais dans la construction, l'emploi diminue de 0,1% (soit -1 500 emplois), premier trimestre de baisse depuis le quatrième trimestre 2016, un premier reflet peut-être de la menace de crise agitée par les professionnels du bâtiment depuis quelques mois.
Autre indicateur mesuré par l'Insee qui synthétise l'opinion des chefs d'entreprise, le climat de l'emploi s'est aussi détérioré en mai, atteignant un plus bas depuis septembre 2021.
En conséquence, M. Plane a du mal "à imaginer qu'on puisse continuer à ce rythme" de créations d'emploi, les entreprises étant un jour ou l'autre rattrapées "par un effet coûts de production" (hausse des salaires, matières premières...).
L'Insee publiera ses prochaines prévisions le 15 juin.