PARIS: Le Sénat a entériné une "hausse inédite" du budget de la Justice, qui atteindra près de 11 milliards d'euros en 2027, mardi, premier jour d'examen de la réforme du garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti. Objectif: "tourner la page du délabrement et de la clochardisation" de l'institution.
Le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 est accompagné d'un projet de loi organique réformant le statut des magistrats.
Le Sénat poursuivra jusqu'à jeudi, voire vendredi, l'examen de ces deux textes et se prononcera sur l'ensemble lors de votes solennels mardi prochain. Ils iront ensuite à l'Assemblée nationale.
"Ils ont l'ambition de répondre concrètement aux attentes de nos concitoyens au premier rang desquelles celle d'une justice plus rapide", a affirmé le ministre. Le but est de "diviser par deux l'ensemble des délais de justice d'ici 2027".
L'article 1er du projet de loi, voté à main levé, entend faire passer le budget du ministère de 9,6 milliards d'euros en 2023 à près de 11 d'ici quatre ans. Il entérine également l'embauche de 10.000 personnes, dont 1.500 magistrats.
Les sénateurs ont porté de 1.500 à 1.800 le nombre de nouveaux greffiers et prévu la création de 600 postes de conseillers pénitentiaires de probation et d'insertion (CPIP).
L'effort budgétaire et les recrutements supplémentaires ont été salués par les magistrats, dubitatifs cependant quant à la promesse d'une amélioration rapide des délais de traitement des dossiers.
Les sénateurs restent eux aussi sur leur faim. Si l'effort budgétaire "est assurément le bienvenu", a estimé la rapporteure Agnès Canayer (LR), "le chantier de la réforme de la justice n'est pas qu'une réforme comptable".
Le garde des Sceaux a souligné que le texte entérine d'"importantes revalorisations des métiers de justice".
Les voies d'accès à la magistrature seront réformées et ouvertes à de nouveaux profils. La réforme prévoit par ailleurs la création d'une nouvelle fonction, celle d'"attachés de justice", qui se substitueront aux actuels "juristes assistants".
Violences intra-familiales
A l'initiative du gouvernement, le texte instaure des pôles spécialisés dans la lutte contre les violences intra-familiales dans les tribunaux. Un amendement de l'écologiste Mélanie Vogel prévoit qu'ils soient opérationnels au plus tard au 1er janvier 2024.
Ces pôles étaient proposés dans le rapport sur les violences conjugales remis le 22 mai au ministre par la rapporteure centriste Dominique Vérien et la députée Emilie Chandler (Renaissance).
"Faute de mieux, nous nous en contenterons", a commenté la socialiste Laurence Rossignol, qui plaide pour "une loi cadre" sur les violences faites aux femmes.
Malgré des réticences, les sénateurs ont autorisé le gouvernement à "clarifier" par ordonnance la rédaction du code de procédure pénale.
Le ministre s'est engagé à ce que le nouveau code n'entre pas en vigueur avant d'avoir été ratifié par le Parlement.
La commission des Lois du Sénat a accueilli "favorablement" certaines mesures de modernisation de l'institution judiciaire. C'est en particulier le cas de l'expérimentation de tribunaux des activités économiques, aux compétences élargies par rapport aux tribunaux de commerce. Ou du renforcement de la responsabilité des magistrats.
A gauche, la socialiste Laurence Harribey, la communiste Laurence Cukierman et l'écologiste Guy Benarroche ont déploré "l'absence" de réponse à la question de la surpopulation carcérale, alors que le nombre de détenus a atteint un nouveau record historique au 1er mai, avec 73.162 personnes incarcérées.
Les Etats généraux avaient suggéré de fixer pour chaque établissement un seuil de "suroccupation majeure", au-delà duquel pourraient être envisagées des mesures de régulation de la population carcérale.
Le ministre a préféré rappeler le "cap" fixé par le gouvernement de construire 15.000 places de prison supplémentaires d'ici 2027.
Comme la gauche, des associations et des avocats s'inquiètent par ailleurs d'une disposition permettant dans certaines conditions aux enquêteurs judiciaires d'activer à distance les appareils électroniques d'une personne à son insu. Elle devrait être abordée en séance mercredi.