NICOSIE: A Chypre-Nord, à une centaine de kilomètres de la Turquie où le second tour de la présidentielle aura lieu dimanche, les citoyens de la république autoproclamée sont aussi appelés aux urnes avec pour certains l'espoir de sortir l'île divisée de l'impasse.
"Il n'y aura des changements que si Kemal Kiliçdaroglu gagne", déclare à l'AFP Necmi Belge, un retraité de 70 ans chypriote turc ayant la citoyenneté turque, qui vient de voter pour le rival du président sortant, Recep Tayyip Erdogan.
Mais à quelques rues de là, Hassan Hamam, un restaurateur turc de 30 ans habitant à Chypre-Nord depuis 2010, se dit "satisfait d'Erdogan" car "il est très fort" et "réalise toujours ses projets".
L'île de Chypre, qui a rejoint l'Union européenne (UE) en 2004, est divisée depuis l'invasion par la Turquie en 1974 de sa partie nord, en réponse à un coup d'Etat de nationalistes chypriotes grecs qui souhaitaient rattacher le pays à la Grèce.
La République de Chypre n'exerce son autorité que sur la partie sud de l'île, séparée par la Ligne verte, une zone démilitarisée contrôlée par l'ONU, de la République turque de Chypre-Nord (RTCN), où vivent les Chypriotes turcs.
Au total, près de 144 000 électeurs -- composés de Turcs mais aussi de Chypriotes turcs ayant la citoyenneté turque -- ont été appelés aux urnes du 20 au 24 mai, soit quelques jours avant le second tour en Turquie.
Au premier tour, l'opposant Kiliçdaroglu a obtenu 53,5% des voix, contre 39,4% pour M. Erdogan. Ce dernier a réalisé à Chypre-Nord un score bien en deçà de celui en Turquie où il est arrivé en tête avec 49,5% des voix contre 44,9% pour M. Kiliçdaroglu.
A Chypre-Nord, le résultat est "conforme à celui d'une grande ville d'opposition en Turquie", indique à l'AFP une source diplomatique, y voyant là un désaveu de la politique de M. Erdogan sur cette partie de l'île reconnue uniquement par la Turquie.
Le président turc prône depuis peu la reconnaissance de l'existence sur l'île de deux Etats: une ligne rouge pour les autorités chypriotes grecques, mais aussi pour la communauté internationale qui espère la création d'une fédération.
Car "la solution à deux Etats d'Erdogan (...) n'est pas réaliste", "nous voulons plutôt une fédération fondée sur le respect mutuel", fustige Nazif Bozatli, représentant à Chypre-Nord du parti CHP, le parti de M. Kiliçdaroglu en Turquie, au milieu d'électeurs venus voter dans un immense gymnase de la capitale Nicosie, côté nord.
«Game over»
Certains votent, mais sans grand espoir. "Game over", souffle ainsi un avocat chypriote turc, dépité, en voyant les derniers sondages montrant M. Erdogan en favori: "Il gagnera, peu importe les résultats ici à Chypre (...) et c'est nous qui en paierons les conséquences."
M. Belge s'est lui aussi résigné. "Nous n'espérons pas que quoi que ce soit change avec les élections en Turquie. Le changement à Chypre doit avant tout venir des Chypriotes."
Mais pour que les pourparlers de paix reprennent, après leur échec à Crans-Montana (Suisse) en 2017, il faut que le futur président turc rétablisse de "bonnes relations" avec Bruxelles et accepte que le "statu quo à Chypre n'est pas viable", observe Kemal Baykalli, fondateur de l'ONG Unite Cyprus Now, qui milite pour la réunification de l'île.
Un rapprochement avec Bruxelles sera plus facile si M. Kiliçdaroglu est élu, affirme pour sa part Ioannis Ioannous, analyste chypriote grec à Geopolitical Cyprus.
Relation plus «respectueuse»
Pour Yonca Özdemir, la petite république ne peut de toute façon pas avancer seule: il lui faut Ankara à ses côtés.
"La RTCN est très liée à la Turquie", explique cette femme de 50 ans, qui vit à Chypre depuis 16 ans et possède la nationalité turque et chypriote turque. "Tout ce qui se passe là-bas a un impact immédiat sur nous (...). Personne ne reconnaît la RTCN", soupire-t-elle, assurant que la moitié des Chypriotes turcs souhaitent la réunification.
Kemal Baykalli espère lui que le vainqueur du scrutin dimanche en Turquie saura mettre Chypre en haut de l'agenda politique. Et surtout, se souvenir que la RTCN, bien qu'elle soit sous perfusion financière de la Turquie, a son "propre gouvernement".