PARIS : La transition vers une économie décarbonée nécessite des investissements massifs et ne pourra réussir sans aider les ménages et alourdir la dette publique, selon un rapport présenté lundi qui préconise aussi taxer le patrimoine financier des plus aisés.
Ce rapport, commandé par Elisabeth Borne à l'économiste Jean Pisani-Ferry, est publié alors que la cheffe du gouvernement présente lundi son plan pour accélérer la baisse des émissions de gaz à effet de serre de la France d'ici 2030.
Le document souligne que la décarbonation reposera à 85% "sur la substitution de capital aux énergies fossiles", que ce soit pour créer des réseaux de bornes de recharge, isoler les bâtiments ou construire de nouvelles centrales nucléaires, et seulement à environ 15% sur des efforts de sobriété, comme baisser la température des pièces chauffées ou se déplacer moins.
"Pour atteindre nos objectifs pour 2030" de réduction de 55% des émissions par rapport à 1990 "et viser ainsi la neutralité en 2050, il va nous falloir faire en dix ans ce que nous avons eu de la peine à faire en 30 ans", souligne le rapport, selon lequel "malgré des progrès récents, nous ne sommes pas encore sur la trajectoire de neutralité climatique".
Ainsi "la décarbonation va appeler à un supplément d'investissement" public et privé de 66 milliards d'euros par an, affirme le document dont la rapporteure est l'inspectrice générale des finances Selma Mahfouz.
Les années qui viennent sont qualifiées de "décennie de toutes les difficultés" avec des besoins massifs pour financer les nouvelles mobilités, l'industrie verte ou l'isolation des bâtiments, ou encore pour compenser l'effondrement du puits de carbone forestier français.
Or les investissements indispensables pour limiter le réchauffement ne permettront pas de produire davantage, ou plus efficacement, du moins jusqu'au début des années 2030.
"Ce n’est que progressivement que vous allez avoir les dividendes de cette action sous forme de coût d’exploitation" moindres, a expliqué lors d'une présentation à la presse Jean Pisani-Ferry.
L'Europe doit revoir ses règles
Et comme "la transition est spontanément inégalitaire", son coût économique "ne sera politiquement et socialement accepté que s'il est équitablement réparti", selon le rapport.
"Ca ne se fera pas si les ménages ne sont pas convaincus qu'il y a une égalité des efforts qui sont demandés aux différentes catégories", prévient Jean Pisani-Ferry.
Pour les ménages modestes, le coût de la rénovation thermique du logement et de l'acquisition d'un véhicule électrique représente en effet plus de quatre années de revenus, et encore près de 2,5 années pour ceux qui sont au milieu de l'échelle des revenus.
Aussi, "les finances publiques vont être appelées à contribuer substantiellement à l'effort" et donc à alourdir l'endettement de l'Etat, de l'ordre de 10 points de PIB en 2030 (soit au moins 280 milliards d'euros, NDLR), 15 points en 2035, 25 points en 2040".
"Cet endettement est légitime", a déclaré Jean Pisani-Ferry lors d'une présentation à la presse. "Il y a beaucoup de mauvaises raisons de s’endetter, le climat n'en fait pas partie", a-t-il ajouté en demandant à l'Europe de revoir ses règles.
L'Union européenne souffre en effet d'un "sérieux problème de compétitivité" par rapport aux Etats-Unis et à la Chine à cause du prix élevé de son énergie. Ce handicap ne sera que partiellement compensé par la taxe carbone aux frontières, laquelle reste "un dispositif imparfait" qui ne permet de stopper que la moitié des fuites de carbone.
"On avait un parti industriel, qui était de prendre le leadership sur les industries vertes", qui est aujourd'hui remis en cause par Washington et Pékin, selon Jean Pisani-Ferry.
"La question c'est de savoir si l'Europe peut être à la fois championne du climat, de la discipline budgétaire et championne du multilatéralisme", alors que la discipline budgétaire n'est pas au rang des priorités pour les Américains ni pour les Chinois, constate encore l'économiste.
Mais "tout miser sur l'endettement serait imprudent" et les plus riches doivent aussi participer à l'effort, argue Jean Pisani-Ferry, qui faisait partie des conseillers d'Emmanuel Macron en 2017 et prône désormais un "prélèvement dédié" qui pourrait "être assis sur le patrimoine financier des ménages les plus aisés".
"Ce n'est pas un sujet qui est tabou", a déclaré, sans s'avancer d'avantage, le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu, invité lundi soir de l'émission Quotidien et interrogé sur la création d'une nouvelle taxe.
"A un moment, il faut bien mesurer que cette transition, elle ne va pas se financer toute seule", avait-il déclaré en préambule, appelant à "verdir" les dépenses de l'Etat.