LAHORE: La tumultueuse campagne pour revenir au pouvoir d'Imran Khan, l'homme politique le plus populaire actuellement au Pakistan, surfe sur la crise économique qui a rendu nombre de personnes incapables de nourrir leur famille, estiment des analystes.
L'arrestation le 9 mai dans une affaire de corruption de l'ancien Premier ministre - libéré trois jours plus tard - a déclenché de violentes manifestations de ses partisans, qui ont endommagé des édifices publics et des installations militaires. Les heurts ont fait au moins neuf morts.
La popularité de M. Khan, 70 ans, a augmenté après son renversement par une motion de censure en avril 2022. Et la fragile coalition qui lui a succédé a eu du mal à stabiliser une économie au bord du défaut de paiement et engluée dans la spirale de l'inflation.
"En ce moment, tout le monde est tellement affecté par la crise économique qu'il sent qu'il doit descendre dans les rues", souligne Shahab Afzal, 27 ans, un docteur de Lahore (est).
"Vous ne pouvez même pas vous payer les produits essentiels", explique ce manifestant pro-Khan.
Les réserves en devises s'élèvent à seulement 4,4 milliards de dollars, à peine de quoi couvrir trois semaines d'importations. Et des négociations cruciales avec le Fonds monétaire international (FMI) pour une aide financière sont au point mort depuis novembre.
En avril, les prix des denrées alimentaires ont augmenté de près de 50% par rapport à l'année précédente, selon des chiffres officiels.
"Le sentiment de précarité économique est le carburant du mouvement anti-gouvernemental d'Imran Khan", constate l'analyste Mosharraf Zaidi. "Quand vous avez du mal à nourrir vos enfants, ça incite à accentuer énormément votre soutien."
Ces difficultés sont ressenties par la plupart des Pakistanais, qui peinent même à acheter de la nourriture ou de l'essence.
Le marché du quartier G-9 à Islamabad, normalement toujours très animé, est désormais d'un calme plat.
Un mécontentement général
"Le marché entier est extrêmement tranquille", remarque Abdul Rehman, 63 ans, qui tient un stand de boissons. "Je ne l'avais jamais vu dans un si mauvais état".
L'inflation a commencé à s'envoler en 2021, en partie sous l'effet du plan de relance post-Covid, d'un montant de 10 milliards de dollars, lancé par M. Khan, alors au pouvoir.
Les partis d'opposition qui ont poussé l'ancienne star du cricket vers la sortie se sont justifiés en lui reprochant une mauvaise gestion.
Mais ils ont eux-mêmes ensuite peiné à résoudre une crise exacerbée par la récession mondiale causée par la guerre en Ukraine, par les inondations de l'été dernier et par une décennie de baisse des salaires de la classe ouvrière pakistanaise.
"Honnêtement, si vous ôtez les pressions inflationnistes de l'équation, l'aspect public de la menace représentée par Khan diminuera probablement aussi", pense l'économiste Umair Javed.
"Il y a un mécontentement général qui actuellement s'exprime au travers de sa politique d'agitation", ajoute-t-il.
Islamabad tente toujours d'obtenir le déblocage d'une tranche d'un prêt de 6,5 milliards de dollars du FMI, qui soulagerait ses finances alors que la pénurie de dollars a ralenti les importations, affectant durement le secteur industriel.
Dans les négociations, le FMI a obtenu une baisse importante de subventions - populaires mais intenables à long terme - qui aidaient à amortir le coût de la vie.
"Contrairement au passé, ses principaux créanciers sont réticents à renflouer le pays en échange de concessions géopolitiques", observe Uzair Younus, expert pour l'Atlantic Council à Washington.
Le système est cassé
A l'approche des élections, qui doivent avoir lieu au plus tard en octobre, l'actuel gouvernement paie le prix de décennies de mauvaise gestion et de la conjoncture mondiale, quand Imran Khan peut prétendre offrir une alternative.
"Le système laisse des dizaines de millions de personnes sur le côté", note l'analyste économique Khurram Husain. "C'est un problème structurel à long terme qui existe en arrière-plan depuis de longues années."
"Puis arrive un type très charismatique (....) qui leur dit que le système entier est cassé et qu'on a besoin d'un nouveau système", poursuit-il.
A Lahore, Adeel Abbas est l'un de ces Pakistanais qui croient à l'argumentaire de M. Khan en vue d'un second mandat.
"Je ne verrai jamais dans ma vie un Pakistan prospère", estime ce vendeur de 18 ans. "Mais Khan commencera" à placer le pays sur cette trajectoire, espère-t-il.
Tout le monde n'est toutefois pas convaincu.
Sur le même marché d'Islamabad, Ahmad Shah, un vendeur de fruits secs de 32 ans, concentre tous ses efforts sur la survie de sa famille.
"Je ne sais même pas combien je gagne par mois. Je fais juste marcher ma maison, parfois on a plus d'argent, parfois moins", dit-il.
Un jeune femme s'approche et demande un kilo d'un mélange noix. Choquée par le prix, elle se résout finalement à n'en acheter que la moitié.
"On couvre nos dépenses avec grande difficulté, croyez-moi", insiste M. Shah.