BEYROUTH: Au Liban, des milliers de femmes recourent à la moto comme moyen de transport afin de réduire les coûts. Beaucoup d’entre elles affirment que les stigmates sociaux disparaissent à la lumière de l’aggravation de la crise économique au sein du pays.
De nombreux Libanais n’ont plus les moyens de conduire une voiture, optant plutôt pour la moto en vue de résister à la crise économique.
Les ventes de motos représentent environ 50% du marché des véhicules grand public, selon les concessionnaires automobiles au Liban.
L’achat et la conduite de motos ne se limitent plus aux jeunes hommes, aux livreurs, aux étudiants universitaires et aux professionnels qui doivent se déplacer rapidement sur les routes pour rejoindre leur lieu de travail au moindre coût possible.
Aujourd’hui, les femmes libanaises – entre vingt et quarante ans – conduisent habilement des motos à travers le pays. Certaines convertissent même leurs vélos en taxis. (Photo fournie)
Aujourd’hui, les femmes libanaises – entre vingt et quarante ans – conduisent habilement des motos à travers le pays. Certaines convertissent même leurs vélos en taxis.
La crise économique pèse lourdement sur les femmes libanaises. Certaines se sont tournées vers des professions traditionnellement masculines pour garantir un revenu, notamment en vendant des légumes dans des camionnettes, en travaillant dans des boucheries, dans des stations-service, dans des réparations automobiles et comme conductrices de taxis.
La guerre civile au Liban a précédemment révolutionné le rôle des femmes sur le lieu de travail. En effet, elles ont occupé de nombreux postes pour la première fois, notamment dans le journalisme, la recherche, le sauvetage, le génie civil ou encore des postes militaires de première ligne.
Avant la crise économique, certaines femmes libanaises rejoignaient les clubs de motards de luxe Harley-Davidson ou participaient à des courses automobiles ou à des compétitions d’alpinisme.
Elles sont devenues une source d’inspiration pour les autres.
Moni, 29 ans, ingénieure, adore conduire des motos. Ce sont ses frères qui le lui ont appris.
«Lorsque la crise du carburant a commencé, je n’utilisais plus ma voiture qu’en cas de besoin. J’ai plutôt opté pour une moto, puisqu’il est moins coûteux de faire le plein et cela me permet d’éviter les embouteillages de Beyrouth pendant la journée», déclare-t-elle.
«J’ai découvert que je n’étais pas la seule femme à conduire une moto, ce qui m'a encouragée à continuer», dit-elle.
Moni ajoute: «Pendant les manifestations de 2019, conduire une moto était un moyen de refuser tout ce qui opprime la jeune génération – nous –, en commençant par l’autorité au pouvoir et jusqu’au moindre détail qui contrôlait nos vies, en tant que femmes.»
Cependant, elle indique que sa famille avait initialement refusé qu’elle conduise une moto.
«Ils craignaient pour ma sécurité dans un environnement chaotique, mais pendant et après les manifestations, et après l’explosion du port de Beyrouth, leur point de vue a changé. Ils ont vu à quel point les femmes avaient de l’influence et ont accepté l’idée parce qu’ils en ont vu la nécessité pour changer la réalité qui prévaut», déclare Moni.
Une source de sécurité dit à Arab News que l’augmentation du nombre de motos dans les rues libanaises a provoqué une recrudescence des accidents.
«Les conducteurs ne portent pas de casque en majorité et enfreignent le code de la route. Les accidents augmentent donc et les motards y laissent parfois leur vie.»
Mais les motardes sont souvent plus prudentes sur les routes et évitent de s’exposer au danger, ajoute la source.
Selon Information International – un bureau d’études basé à Beyrouth – on a importé 29 102 motos au Liban en 2021.
Le nombre est passé à 47 077 fin juillet 2022. Au total, 177 388 motos ont été importées entre 2017 et 2022.
Il y a environ 289 000 motos officiellement enregistrées dans le pays.
On estime que le même nombre environ n’est pas enregistré, mais l’on ne dispose pas de chiffres officiels.
Enaam Halawi, 45 ans, a appris à conduire une moto après que son mari l’y a encouragée et lui en a appris les bases.
Son mari et elle possèdent un magasin qui vend des pièces automobiles. Elle a commencé à faire de la moto dans la région où elle vit, à savoir la banlieue sud de Beyrouth.
«J’ai rencontré cinq femmes à moto. J’ai donc décidé d’être la sixième», précise-t-elle.
Enaam Halawi, qui porte un voile et est grand-mère, conduit une moto depuis dix-huit mois.
«Au départ, j’avais peur d’être jugée et harcelée. Mais quand j’ai mis mon casque, j’ai exclu toute gêne que je pouvais ressentir. Avec le temps, je suis devenue une conductrice plus confiante et j’ai commencé à conduire en dehors de mon quartier», poursuit-elle.
«La moto m’a facilité la vie. Le trajet qui nécessite une heure et quart en voiture ne prend pas plus de cinq minutes à vélo.»
«L’intimidation dont nous étions victimes s’est transformée en respect. Les autres conducteurs nous donnent la priorité et nous passons sans être harcelées. Tout le monde souffre de la crise économique. Ils acceptent donc tous le mécanisme d’adaptation des autres», explique-t-elle.
Après avoir d’abord conduit une modeste moto, la jeune grand-mère l’a ensuite échangée contre la grosse moto de son fils qui a quitté le Liban pour travailler à l’étranger.
«Je me respecte et sais pour quelle raison je conduis une moto. J’ai surmonté mes peurs parce qu’elles conduisent à des accidents. Conduire une moto demande du courage et une prise de décision rapide», indique-t-elle.
Rana Karzi, 40 ans, mariée et mère de deux fils, conduit une moto depuis 2016.
«C’est mon frère qui m’a appris à la conduire. J’ai acheté ma première moto parce que je n’avais pas les moyens d’acheter une voiture et que je voulais éviter le harcèlement auquel j’étais victime en prenant tout le temps des taxis», soutient-elle.
Elle vit dans l’un des quartiers les plus populaires de Beyrouth – Tarik al-Jadida.
«Quand j’ai conduit la moto pour la première fois, les gens me regardaient bizarrement parce que je brisais la tradition. Mais, avec le temps, ils se sont habitués à me voir et ont commencé à me respecter.»
«Avant, les autres conducteurs étaient surpris, mais maintenant ils m’encouragent et me crient même ‘Bravo !’»
Elle a pris confiance en ses talents de conductrice et les femmes de son entourage dépendent désormais d’elle pour leur transport. Elle a alors décidé de convertir son vélo en taxi.
Elle a fait la promotion de sa nouvelle entreprise sur les réseaux sociaux pour assurer le transport des femmes à l’intérieur de Beyrouth pendant la journée, évitant les trajets nocturnes en raison de la situation sécuritaire.
Pendant les manifestations, de nombreuses femmes demandaient à Rana de les raccompagner depuis la place des Martyrs ou vers leur lieu de travail, y compris des femmes médecins et des professionnelles de santé, surtout que de nombreuses routes étaient fermées.
En hiver, elle attache une sorte de tente à sa moto pour protéger ses clients et elle-même de la pluie.
Elle a ensuite décidé de commencer à apprendre aux jeunes femmes les techniques de la conduite à moto et a jusqu’à présent eu une vingtaine d’étudiantes. «Mais tout le monde n’a pas les compétences nécessaires pour conduire des motos», ajoute-t-elle.
«Cependant, la participation a largement dépassé mes attentes.»
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com