A Anjouan, pas assez de riz pour les «refoulés» de Mayotte

Cette photographie prise le 29 avril 2023 montre les guichets fermés du ferry «Maria Galanta» reliant l'île de Mayotte aux Comores, dans le port de Dzaoudzi sur l'île de Mayotte, avec le logo de la compagnie SGTM. La compagnie maritime SGTM a annoncé sur les réseaux sociaux que ses voyages maritimes entre Mayotte et les Comores étaient suspendus «jusqu'à nouvel ordre». (Photo Patrick Meinhardt / AFP)
Cette photographie prise le 29 avril 2023 montre les guichets fermés du ferry «Maria Galanta» reliant l'île de Mayotte aux Comores, dans le port de Dzaoudzi sur l'île de Mayotte, avec le logo de la compagnie SGTM. La compagnie maritime SGTM a annoncé sur les réseaux sociaux que ses voyages maritimes entre Mayotte et les Comores étaient suspendus «jusqu'à nouvel ordre». (Photo Patrick Meinhardt / AFP)
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Publié le Dimanche 30 avril 2023

A Anjouan, pas assez de riz pour les «refoulés» de Mayotte

  • Des files d'attente nombreuses se forment devant les épiceries, révélatrices d'une tension autour de «l'or blanc»
  • Sur le marché noir, un sac de 25 kilos se vend un peu moins de 20 euros, soit sept euros plus cher que le prix fixé par les autorités

Mutsamudu, Comores : Dans l'océan Indien, Anjouan, l'île comorienne la plus proche de Mayotte, ne veut pas des «refoulés» du département français. Ici, le bras de fer du gouvernement comorien avec Paris est largement soutenu, parfois moins pour des raisons politiques que purement alimentaires.

Sur un marché de la capitale Mutsamudu, qui propose du poisson séché à l'odeur tenace, des fruits et des légumes, un vendeur installé sous un parasol rouge pointe du doigt quelques sacs de riz, empilés de l'autre côté de la chaussée.

«Si nous acceptons les refoulés, nous mangerons quoi? Vous voyez ce riz, on le voit sans pouvoir l'obtenir», s'alarme Saifidine Abdillah, casquette vissée sur le crâne, en levant la voix.

Au marché «Dodin», l'opération Wuambushu («Reprise», en mahorais) de Mayotte, à seulement 70 km de là - une «opération de sécurisation» de l'île minée par la criminalité, selon Paris - est sur toutes les lèvres. D'autant que la crise du riz de l'an dernier, provoquée par l'inflation liée à la guerre en Ukraine, n'est pas vraiment réglée.

Des files d'attente nombreuses se forment devant les épiceries, révélatrices d'une tension autour de «l'or blanc». La voix d'Oussein Ali, un brin crâneur, fuse depuis un étal voisin: «Si tu as de l'argent, je te dis comment t'en procurer».

Le riz «ordinaire» - opposé à sa version plus luxueuse de type Basmati - est un monopole d'Etat. Sur le marché noir, un sac de 25 kilos se vend un peu moins de 20 euros, soit sept euros plus cher que le prix fixé par les autorités.

Dans le centre de Mutsamudu, qui compte 30.000 habitants, sur la place Mroni («cours d'eau» en comorien) qui semble charrier plus d'ordures que d'eau, les bus chargés de produits agricoles affluent de toute l'île.

- Indésirables -

Ici aussi, des hommes installés sur des bancs en béton discutent de l'actualité liée à Mayotte, profitant de l'ombre des arbres dans la chaleur de fin de matinée.

«En signant les accords franco-comoriens en 2019, les dirigeants (comoriens) nous ont trahis», assène le douanier Ali Soilihi Chawal Eddine en égrenant son chapelet. Les Comores se sont alors engagées à «coopérer» avec Paris sur les questions d'immigration, en échange d'une aide au développement de 150 millions d'euros.

A côté de lui, Anfane Maoulida, cuisinier en tee-shirt jaune et claquettes, renchérit: «Ils ont pris les 150 millions. Ils revendiquent Mayotte comorienne, mais dans ce cas pourquoi avoir pris l'argent?»

Alors que Mayotte est devenue département français en 2011, les Comores refusent toujours d'y reconnaître la souveraineté de la France.

La discussion est interrompue par un homme édenté aux yeux rougis, qui s'affole de la présence de journalistes. L'assistance le calme, il s'éloigne. «Il s'appelle Kamarou, c'est un refoulé de Mayotte», explique le douanier.

«Il ne faut pas avoir peur, c'est quasiment impossible de se faire agresser ici», rassure l'homme au chapelet, évoquant pourtant «une légère montée» de l'insécurité depuis le retour de certains «refoulés» de Mayotte.

Vendredi, le maire de Mutsamudu a rappelé qu'avant le début du bras de fer franco-comorien, l'île recevait régulièrement des expulsés de Mayotte, «mais pas dans la quantité voulue par le ministre français de l'Intérieur, Gérald Darmanin».

Anjouan «ne peut pas seule accueillir tous ces refoulés», a répété Bouchrane Zarouki, qui manifestait sous une légère pluie devant le port avec d'autres maires de l'île, écharpes bien en évidence.


Après les tensions, Paris et Alger entament un nouveau chapitre

Lors d'un appel téléphonique récent, les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune sont convenus de relancer les échanges bilatéraux et de jeter les bases de cette reprise. (AFP)
Lors d'un appel téléphonique récent, les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune sont convenus de relancer les échanges bilatéraux et de jeter les bases de cette reprise. (AFP)
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  • Lors d'un appel téléphonique récent, les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune ont décidé de relancer les échanges bilatéraux
  • L'échange téléphonique a permis de formaliser une feuille de route ambitieuse et pragmatique

Après avoir frôlé la rupture, un nouveau chapitre s'ouvre dans les relations entre la France et l'Algérie.

Lors d'un appel téléphonique récent, les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune sont convenus de relancer les échanges bilatéraux et de jeter les bases de cette reprise.

Le communiqué publié par le palais de l'Élysée fait suite à plusieurs signes récents de rapprochement, notamment l'entretien accordé par Tebboune aux journalistes des médias publics algériens, où il a exprimé sa volonté de renouer le dialogue avec son homologue français et de mettre fin à ce qu'il a qualifié de «période d'incompréhension» entre leurs deux pays.

L'échange téléphonique a permis de formaliser une feuille de route ambitieuse et pragmatique, centrée sur trois axes prioritaires: la coopération sécuritaire, la gestion des flux migratoires et les questions mémorielles.

Le communiqué conjoint, publié à l’issue de cet échange, souligne la volonté des deux chefs d’État de dépasser les crises récentes pour amorcer une relation apaisée et mutuellement bénéfique.

Premier résultat concret dans le cadre de cette volonté affichée, le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot se rend à Alger le 6 avril pour des entretiens avec son homologue algérien Ahmed Attal.

Les ministres devront détailler un programme de travail ambitieux et en décliner les modalités opérationnelles et le calendrier de mise en œuvre.

La coopération sécuritaire doit reprendre sans délai, notamment pour lutter contre le terrorisme au Sahel et sécuriser les frontières de la région.

La gestion des migrations irrégulières et la question des réadmissions de ressortissants algériens en situation irrégulière en France sont au cœur des discussions. 

Cette dynamique s’inscrit dans la continuité de l’engagement du président français, exprimé dès le début de son premier mandat et même avant, lors de sa campagne électorale en Algérie, où il avait qualifié la colonisation de «crime contre l’humanité».

Plus tard et dès son élection en 2017, Macron a affiché sa volonté de regarder «la vérité en face». Sa première visite officielle en Algérie marquait la priorité qu’il entend donner à la relation franco-algérienne, en posant les bases d’un dialogue sincère et apaisé. 

Cet engagement a été réaffirmé par la déclaration d’Alger en août 2022, qui prévoyait la mise en place d’une «commission mixte des historiens» chargée d’examiner les archives et de favoriser une meilleure compréhension mutuelle.

Les enjeux de ce rapprochement, dont l’objectif est la poursuite du travail de refondation des relations bilatérales, dépassent le cadre strictement bilatéral et s’inscrivent dans un contexte géopolitique et sécuritaire complexe.

La coopération entre Paris et Alger est essentielle pour répondre aux défis régionaux, notamment dans le Sahel, où le terrorisme et l’instabilité menacent la sécurité de l’Afrique du Nord et de l’Europe. 

La France et l’Algérie partagent un intérêt commun pour la lutte contre les groupes armés et leur coopération stratégique revêt une importance capitale pour stabiliser la région.

La gestion des flux migratoires reste un point de tension récurrent, car si la France souhaite des mécanismes de réadmission efficaces, l’Algérie demande le respect de la dignité et des droits de ses ressortissants. 

Malgré la volonté de réconciliation affichée, le dossier mémoriel reste un obstacle majeur.

La question des excuses officielles pour les crimes coloniaux demeure sensible. Si Emmanuel Macron a reconnu des «crimes contre l’humanité» en 2017, les demandes d’excuses formelles de l’Algérie n’ont pas encore été pleinement satisfaites. 

Les travaux de la commission mixte des historiens, lancés à l’été 2022, doivent permettre d’approfondir la recherche sur cette période sombre et de poser les bases d’un dialogue apaisé.

Malgré les gestes d’ouverture, les relations entre Paris et Alger restent fragiles, en partie en raison d’une méfiance réciproque, alimentée par des perceptions contradictoires des enjeux bilatéraux.

L’un des points de friction les plus marquants est la question du Sahara occidental. La position française, perçue comme favorable au Maroc, a suscité des crispations du côté algérien, allant jusqu’au rappel de l’ambassadeur d’Algérie en France. 

Pour Alger, le soutien implicite de Paris au plan d’autonomie marocain est perçu comme un alignement qui remet en cause l’équilibre diplomatique régional.

Bien que la France ait tenté de clarifier sa position, en affirmant vouloir accompagner une dynamique internationale de sortie de crise, ce dossier demeure une source de tension. 

Au-delà des relations diplomatiques, les opinions publiques des deux pays jouent un rôle crucial dans l’évolution du partenariat.

En Algérie, une partie de la population reste méfiante vis-à-vis des intentions françaises, nourrie par un sentiment de souveraineté exacerbée et par la mémoire toujours vive des exactions coloniales. 

En France, la question algérienne suscite également des clivages politiques. Certains considèrent les gestes mémoriels comme une forme de repentance excessive, tandis que d’autres appellent à une reconnaissance plus franche des torts commis pendant la colonisation. 

La relance des relations entre la France et l’Algérie repose sur un équilibre délicat entre la reconnaissance du passé, la gestion des défis actuels et la mise en œuvre d’une coopération tournée vers l’avenir. 

Malgré la volonté politique manifeste, la concrétisation de ce partenariat dépendra de la capacité des deux dirigeants à dépasser les clivages historiques et à impulser une dynamique durable.


Paris entend résoudre les tensions avec Alger « sans aucune faiblesse »

le chef de la diplomatie française, chef de la diplomatie française (Photo AFP)
le chef de la diplomatie française, chef de la diplomatie française (Photo AFP)
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  • Le chef de la diplomatie française a assuré mardi que Paris entendait résoudre les tensions avec Alger « avec exigence et sans aucune faiblesse ».
  • « L'échange entre le président de la République (Emmanuel Macron, ndlr) et son homologue algérien (Abdelmadjid Tebboune) a ouvert un espace diplomatique qui peut nous permettre d'avancer vers une résolution de la crise », a-t-il ajouté.

PARIS : Le chef de la diplomatie française a assuré mardi que Paris entendait résoudre les tensions avec Alger « avec exigence et sans aucune faiblesse ». Il s'exprimait au lendemain d'un entretien entre les présidents français et algérien, qui visait à renouer le dialogue après huit mois de crise diplomatique sans précédent.

« Les tensions entre la France et l'Algérie, dont nous ne sommes pas à l'origine, ne sont dans l'intérêt de personne, ni de la France, ni de l'Algérie. Nous voulons les résoudre avec exigence et sans aucune faiblesse », a déclaré Jle chef de la diplomatie française devant l'Assemblée nationale, soulignant que « le dialogue et la fermeté ne sont en aucun cas contradictoires ».

« L'échange entre le président de la République (Emmanuel Macron, ndlr) et son homologue algérien (Abdelmadjid Tebboune) a ouvert un espace diplomatique qui peut nous permettre d'avancer vers une résolution de la crise », a-t-il ajouté.

Les Français « ont droit à des résultats, notamment en matière de coopération migratoire, de coopération en matière de renseignement, de lutte contre le terrorisme et au sujet bien évidemment de la détention sans fondement de notre compatriote Boualem Sansal », a affirmé le ministre en référence à l'écrivain franco-algérien condamné jeudi à cinq ans de prison ferme par un tribunal algérien. 


Algérie: Macron réunit ses ministres-clés au lendemain de la relance du dialogue

Emmanuel Macron, président français (Photo AFP)
Emmanuel Macron, président français (Photo AFP)
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  • Emmanuel Macron  réunit mardi plusieurs ministres en première ligne dans les relations avec l'Algérie, dont Bruno Retailleau, Gérald Darmanin et Jean-Noël Barrot, au lendemain de l'appel avec son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune
  • Le président français a décidé, à la suite de ce coup de fil, de dépêcher le 6 avril à Alger le chef de la diplomatie française Jean-Noël Barrot afin de « donner rapidement » un nouvel élan aux relations bilatérales.

PARIS : Emmanuel Macron  réunit mardi à 18H00 plusieurs ministres en première ligne dans les relations avec l'Algérie, dont Bruno Retailleau, Gérald Darmanin et Jean-Noël Barrot, au lendemain de l'appel avec son homologue algérien Abdelmadjid Tebboune pour relancer le dialogue, a appris l'AFP de sources au sein de l'exécutif.

Le président français a décidé, à la suite de ce coup de fil, de dépêcher le 6 avril à Alger le chef de la diplomatie française Jean-Noël Barrot afin de « donner rapidement » un nouvel élan aux relations bilatérales après des mois de crise, selon le communiqué conjoint publié lundi soir.

Le ministre français de la Justice, Gérald Darmanin, effectuera de même une visite prochainement pour relancer la coopération judiciaire.

Le communiqué ne mentionne pas en revanche le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, figure du parti de droite Les Républicains, partisan d'une ligne dure à l'égard de l'Algérie ces derniers mois, notamment pour obtenir une nette augmentation des réadmissions par le pays de ressortissants algériens que la France souhaite expulser.

Bruno Retailleau sera présent à cette réunion à l'Élysée, avec ses deux collègues Barrot et Darmanin, ainsi que la ministre de la Culture, Rachida Dati, et celui de l'Économie, Éric Lombard, ont rapporté des sources au sein de l'exécutif.

 Dans l'entourage du ministre de l'Intérieur, on affirme à l'AFP que si la relance des relations décidée par les deux présidents devait bien aboutir à une reprise des réadmissions, ce serait à mettre au crédit de la « riposte graduée » et du « rapport de force » prônés par Bruno Retailleau.