PARIS: Le débat public sur la relance du nucléaire, bien que largement court-circuité par l'exécutif et le Parlement, a mis en lumière de fortes interrogations des Français, sur les déchets, les risques ou encore le financement, montre son bilan publié mercredi.
Lancé en octobre à travers la France, ce débat a été bousculé par la relance à marche forcée de l'atome engagée par le gouvernement, au point de se clore fin février par une réunion sur... la place laissée au public dans l'élaboration des décisions.
Pour autant, cette opération n'aura pas été "un coup pour rien," assure Michel Badré, son président, désigné par la Commission nationale du débat public (CNDP).
"Des questions en sont sorties, qui appellent des réponses. Des gens ont l'air de dire +tout est décidé, plus on accélère mieux ça vaudra+. Nous on dit +Attendez! Des questions ont été posées, sur l'opportunité du projet, ses modalités...+"
Ce débat, obligation légale pour EDF, portait sur le projet de construction de six premiers réacteurs, attendus à partir de 2035.
Le gouvernement, interpellé dès 2021 par la CNDP, a organisé parallèlement une "concertation" plus générale sur les futurs choix énergétiques de la France.
Mais dans le même temps, il créait une "délégation interministérielle au nouveau nucléaire", "dix jours après le démarrage du débat", note M. Badré.
Puis il présentait un projet de loi d'"accélération des procédures" d'autorisation de réacteurs, Emmanuel Macron entendant relancer la filière sans tarder.
Le débat a fini par "gripper en janvier, quand le Sénat y a ajouté une disposition levant les contraintes limitant la création de réacteurs. Les ONG antinucléaires sont alors sorties", retrace Michel Badré.
La tenue en février à l'Elysée d'un "conseil de politique nucléaire" a enfoncé le clou. Quelques jours après, les organisateurs du débat public constataient que le contexte ne leur permettait pas d'aller plus loin.
«Pas de réponses claires»
Pour autant, sur le fond, pendant des semaines, "le débat a eu lieu, il a tenu et il a touché un public large", insiste Ilaria Casillo, la présidente de la CNDP.
Quelque 5 000 participants, autant de contributions, dix réunions publiques, des débats mobiles (sur les marchés, en écoles d'ingénieurs, dans des lycées, un centre social...), des week-ends avec des groupes tirés au sort poussant les intervenants "dans leurs retranchements"...
Il y a eu "des discussions poussées, très ouvertes", décrit M. Badré. "Ce n'est pas un classement en deux camps, c'est plus subtil! Souvent les gens disent qu'ils ne sont ni pro ni anti, mais qu'ils aimeraient comprendre, et souvent ils ont des questions pour lesquelles il n'y a pas de réponses claires".
Par exemple, "on n'a aucune réponse sur le financement", une "question raisonnable" pour "un programme à 50 milliards d'euros, voire un peu plus si on compte les frais financiers", relève-t-il.
L'opportunité d'une relance du nucléaire a aussi été questionnée, sur fond de stratégie énergétique globale encore indéterminée dont le Parlement doit encore débattre.
En Normandie notamment, où les deux premiers EPR projetés sont annoncés, la question des risques a été soulevée.
"Les questions éthiques sont beaucoup ressorties, car le nucléaire renvoie à ce que sera notre modèle de société dans 50-80 ans". Quid des déchets à vie longue ? Et puis la guerre en Ukraine qui a rappelé les risques liés aux conflits, énumère encore Michel Badré.
EDF et l'Etat auront trois mois pour répondre.
L'utilité de ce débat? "Il se mesurera à l'usage qu'en feront les décideurs, et c'est maintenant que ça va se jouer", dit Ilaria Casillo.
"Il devra peser" en particulier sur les discussions qu'auront les parlementaires cet été sur l'avenir énergétique de la France (types d'énergies, sobriété, efficacité...).
"On se doit d'entendre ce que le public dit. Le débat a eu lieu. Aux décideurs désormais de faire la preuve que la parole des citoyens sert à quelque chose".