PARIS: "Responsables mais pas coupables": quatorze ans après le crash du Rio-Paris qui a fait 228 morts, le tribunal de Paris a relaxé lundi Airbus et Air France, tout en reconnaissant leur responsabilité civile, suscitant l'"écoeurement" des proches des victimes.
Le tribunal correctionnel de Paris a mis hors de cause les deux entreprises sur le plan pénal, jugeant que, si des "imprudences" et "négligences" avaient été commises, "aucun lien de causalité certain" n'avait "pu être démontré" avec l'accident le plus meurtrier de l'histoire des compagnies françaises.
Le tribunal a prononcé sa décision dans une salle d'audience remplie de proches des victimes, des équipes d'Air France et d'Airbus ainsi que de journalistes. A l'annonce de la relaxe, certaines parties civiles se sont levées, stupéfaites, comme pour quitter la salle, avant de se rasseoir quand la présidente a commencé à aborder le volet civil.
Sur ce plan, le tribunal a jugé que les "fautes" des entreprises avaient conduit à une "perte de chance", soit à augmenter la probabilité que l'accident arrive, déclarant Airbus et Air France "responsables civilement" des dommages.
Le tribunal a renvoyé la question de l'évaluation des dommages et intérêts à une audience le 4 septembre.
"Nous attendions un jugement impartial, ça n'a pas été le cas. Nous sommes écoeurés", a réagi Danièle Lamy, présidente de l'association Entraide et Solidarité AF447. "Il ne reste de ces 14 années d'attente que désespérance, consternation et colère".
"On nous dit: Air France et Airbus sont +responsables mais pas coupables+. Et c'est vrai que nous, on attendait le mot +coupables+", a admis Me Alain Jakubowicz, un de leurs avocats. Le conseil a néanmoins voulu retenir la "responsabilité" civile mise en lumière par le tribunal: "non, cet accident n'est pas dû à la fatalité", "oui, cet accident aurait dû être évité".
«Pas de sens»
"Ca n'a pas de sens pour moi", a réagi, la voix tremblante, Ophélie Toulliou, qui a perdu son frère dans l'accident, partageant son "sentiment d'injustice" et son "incompréhension".
Air France "prend acte du jugement", selon un communiqué. "La compagnie gardera toujours en mémoire le souvenir des victimes de ce terrible accident et exprime sa plus profonde compassion à l'ensemble de leurs proches (...)"
Catastrophe du vol Rio-Paris: les principales dates
De la disparition du vol Rio-Paris d'Air France, le 1er juin 2009, à la relaxe, lundi, de la compagnie aérienne et du constructeur européen Airbus, voici les principales dates de l'affaire:
Disparition au large du Brésil
Le 1er juin 2009, un Airbus A330 assurant le vol AF447 entre Rio de Janeiro et Paris disparaît dans l'Atlantique au large du Brésil avec 216 passagers de 33 nationalités à bord, dont 61 Français, 57 Brésiliens et 26 Allemands. L'équipage de 12 membres était composé de 11 Français et un Brésilien.
Cet accident est le plus meurtrier de l'histoire d'Air France. Dès le 2 juin, des débris de l'avion sont retrouvés en mer, près de l'équateur.
Messages d'anomalies
Une information judiciaire est ouverte le 5 juin à Paris contre X pour "homicides involontaires".
Le Bureau d'enquêtes et d'analyses pour la sécurité de l'aviation civile (BEA) annonce que l'avion a envoyé 24 messages automatiques d'anomalies en quatre minutes, révélant notamment "une incohérence des vitesses mesurées" par les sondes Pitot, dispositif qui permet de déterminer la vitesse de l'avion.
Air France annonce le remplacement des sondes Pitot des A330 et A340 le 9 juin. Le 2 juillet, un premier rapport du BEA indique que les défaillances de ces sondes fabriquées par le groupe français Thales sont "un élément, mais pas la cause" de l'accident.
Mises en examen
Le 17 et 18 mars 2011, Airbus et Air France sont mis en examen pour homicides involontaires. Après le lancement d'une nouvelle phase de recherche, une partie de l'habitacle de l'avion est localisée le 2 avril. Les 1er et 2 mai, les deux boîtes noires sont repêchées.
Le 7 juin, l'opération de repêchage des corps s'achève: 154 corps ont été récupérés depuis juin 2009.
Erreurs humaines et défaillances techniques
Le 28 juillet 2011, les familles des victimes allemandes accusent le BEA de favoriser l'hypothèse de l'erreur de pilotage.
Le lendemain, le BEA identifie, dans un nouveau rapport, des défaillances des pilotes. Il admet parallèlement avoir retiré du rapport un passage pointant le fonctionnement paradoxal de l'alarme de décrochage sur les A330, mais nie avoir subi des pressions.
Le 4 juillet 2012, le rapport des experts judiciaires conclut à une conjonction d'erreurs humaines et de défaillances techniques.
Le 5 juillet, le rapport final du BEA conclut à "l'obstruction des sondes de vitesse Pitot et la non-reconnaissance du décrochage" par les pilotes.
«Réaction inappropriée»
Le 30 avril 2014, un collège de cinq contre-experts missionnés par les juges d'instruction estime que la catastrophe est due à "une réaction inappropriée de l'équipage après la perte momentanée des indications de vitesse".
Une nouvelle contre-expertise ordonnée par la justice est rendue le 20 décembre 2017. Elle établit que la "cause directe" de l'accident "résulte des actions inadaptées en pilotage manuel" de l'équipage.
Le rapport provoque l'indignation des familles des victimes. "C'est toujours la faute des pilotes qui ne sont pas là pour se défendre", déclare Danièle Lamy, présidente de l'association de victimes Entraide et solidarité AF447.
Non-lieu général
Le 17 juillet 2019, le parquet de Paris demande un procès en correctionnelle pour Air France, dont sont pointées la "négligence" et l'"imprudence", mais estime qu'il n'y a pas de charges suffisantes à l'encontre d'Airbus.
Un rapport inédit remis le 1er septembre à la justice par les familles des victimes démontre, selon ces dernières, qu'Airbus connaissait depuis 2004 les faiblesses des sondes de vitesse.
Mais les juges d'instruction prononcent un non-lieu général pour Airbus et pour Air France. Le parquet de Paris fait appel.
Air France et Airbus relaxés
Le 12 mai 2021, la cour d'appel de Paris décide qu'Air France et Airbus seront jugés en correctionnelle pour "homicides involontaires".
Un pourvoi en cassation du constructeur européen et de la compagnie française est jugé irrecevable.
Leur procès s'ouvre le 10 octobre 2022 pour neuf semaines d'audience.
Le 17 avril, le tribunal annonce la relaxe des deux entreprises, jugeant que, si des "fautes" avaient été commises, "aucun lien de causalité certain" avec l'accident n'avait "pu être démontré".
Airbus a estimé que cette décision était "cohérente" avec le non-lieu prononcé à la fin de l'instruction en 2019. Le groupe "exprime" lui aussi sa "compassion" aux proches des victimes, et "réaffirme (son) engagement total (...) en matière de sécurité aérienne".
Le 1er juin 2009, le vol AF447 reliant Rio de Janeiro à Paris s'était abîmé en pleine nuit dans l'Atlantique, quelques heures après son décollage, entraînant la mort de ses 216 passagers et 12 membres d'équipage.
A bord de l'A330 immatriculé F-GZCP se trouvaient des personnes de 33 nationalités, dont 72 Français et 58 Brésiliens.
A l'issue d'une procédure-marathon marquée par des appréciations contradictoires de magistrats, cette décision était très attendue. A la fin du procès, qui s'est déroulé du 10 octobre au 8 décembre, le parquet avait requis la relaxe des deux entreprises, estimant que leur culpabilité était "impossible à démontrer".
Les premiers débris de l'AF447 et des corps avaient été retrouvés dans les jours suivant le crash. Mais l'épave n'avait été localisée que deux ans plus tard, après de longues recherches, à 3 900 mètres de profondeur.
«Imprudences fautives»
Les boîtes noires ont confirmé le point de départ de l'accident: le givrage des sondes de vitesse Pitot alors que l'avion volait à haute altitude dans la zone météo difficile du "Pot au noir", près de l'équateur.
Déstabilisé par les conséquences de cette panne, l'un des copilotes a adopté une trajectoire ascendante et, dans l'incompréhension, les trois pilotes n'ont pas réussi à reprendre le contrôle de l'avion, qui a décroché et heurté l'océan 4 minutes et 23 secondes plus tard.
Le constructeur de l'avion, Airbus, a bien commis "quatre imprudences ou négligences", selon le tribunal, notamment ne pas avoir fait remplacer un modèle de sondes Pitot, qui semblait geler plus souvent, sur tous les A330, compte tenu de la multiplication des incidents dans les mois précédant l'accident.
Air France a elle aussi commis des "imprudences fautives", a poursuivi la présidente Sylvie Daunis, liées aux modalités de diffusion d'une note de prévention sur le gel des sondes, adressée à ses pilotes. Cependant, "il doit être démontré que sans" ces fautes, "le décès des victimes ne se serait pas produit", ce qui n'est pas "certain", a estimé le tribunal.