CASABLANCA: Sur les rivages d'Ain Diab à Casablanca, l'heure du ftour dévoile une nouvelle facette de la jeunesse marocaine en quête de renouveau et de modernité durant un mois sacré ancré dans une tradition séculaire. Dans la lumière déclinante du jour, les conversations se tissent autour de la rupture du jeûne, esquissant le portrait d'une génération qui ose s'affranchir des conventions pour s'approprier, non sans audace, cet instant sacré.
Une heure avant la rupture du jeûne, le sable fin de la plage d’Ain Diab ressemble tantôt à une broussaille abîmée après les matchs de foot ardemment disputés, tantôt à un tapis lisse sur lequel se dressent des menus de ftour faits maison ou commandés à des restaurants de plus en plus sollicités par une jeunesse active absorbée par ses activités professionnelles durant la journée.
Yassine, un trentenaire au regard enthousiaste, confie à Arab News en français: «La mer a toujours exercé sur moi une fascination irrésistible. C’est pour cela que je me suis installé à Casablanca après mes études en gestion; rompre le jeûne sur cette plage, c'est, pour moi, changer de routine pour bien profiter de ce mois sacré!»
Cette sensation de liberté éprouvée en s’écartant des sentiers battus, et de l’expérience routinière des ftours en famille, Abdellatif la ressent aussi, lui qui a proposé à sa femme de l’accompagner au bord de l’océan pour vivre l’expérience d’une rupture de jeûne en tête-à-tête. «L'air frais et iodé me met en contact avec la nature, loin du tumulte des grandes tables familiales.»
Ftours en plein air
L'organisation de ces ftours en plein air semble s'orchestrer avec la même spontanéité que le rythme harmonieux et non moins anarchique des vagues s’écrasant imperceptiblement sur le rivage. Hamza, l'un des initiateurs de ces rencontres, raconte: «Nous sommes un groupe assez important, et il nous est impossible de tout gérer nous-mêmes. Alors, chacun apporte ce qu'il veut, et nous improvisons sur place, avec ce que nous avons pour le ftour.»
Les sourires entourent le porte-parole du groupe qui a proposé à ses amis du lycée de se retrouver deux heures avant la rupture du jeûne pour jouer à un match de football entre garçons et une confrontation de volley avec les filles du groupe qui souhaitaient y participer.
La jeune Ilham, étudiante fraîchement délivrée des examens de fin de trimestre, savoure pleinement cette parenthèse enchantée: «C’est un plaisir de retrouver mes amis dans un cadre aussi beau et de partager avec eux ces instants autour d'un bon repas!» Amina, quant à elle, profite, à l’écart du groupe, d'un coucher de soleil et des savoureux mets traditionnels marocains que sa mère lui a préparés après une longue journée de cours au lycée et de jeûne.
Ces ftours à Ain Diab révèlent ainsi une envie d'évasion chez cette jeunesse, qui sait conjuguer respect des traditions et nécessité de lui donner une expression nouvelle. Youssef, un habitué des lieux, témoigne de cette double quête : «Cela fait plusieurs années que je passe mes journées libres du ramadan à la plage. Je ressens un bienfait à la fois pour mon corps, avec du sport, et pour mon esprit, avec le jeune et la prière.»
Le grain de sable…
Une ombre vient néanmoins ternir ce tableau idyllique. Les déchets laissés par certains jeunes inconséquents, qui salissent les lieux dont ils profitent. Une incivilité déplorée par tous ceux que nous avons pu interroger, et dont l’enthousiasme reste intact malgré les réprimandes grommelées à l’endroit de ceux qui font l’impasse sur l’intériorisation des pratiques religieuses et pour qui ces dernières se résument à la reproduction, ostentatoire, de rituels assimilés à tort à une gestuelle et à non à une méditation et une réflexion sur le sens de nos actions. Pourtant, le mouvement incessant des vagues et des embruns nous y invite. La beauté des lieux, également.
Ainsi, le ftour se réinvente entre tradition et modernité avec un air de symphonie océane, où les saveurs des mets se mêlent à l'infini des horizons.