Dans les années 1990, les États-Unis tenaient le rôle de gendarmes du monde. C’était le moment de gloire américain, notamment au Moyen-Orient. L’Union soviétique s’était effondrée, la Russie était en crise et le dragon endormi qu’était la Chine s’ébrouait à peine.
Beaucoup se demandent si les États-Unis veulent toujours assumer ce rôle, à temps partiel cette fois. Le monde a-t-il besoin d’un policier ? Les États sont censés être égaux, mais ils ne le sont certainement pas. Et que se passerait-il si les États-Unis abandonnaient totalement ce rôle ? La Chine essaierait-elle de leur succéder ?
La réputation des États-Unis est loin d’être immaculée. Ils ont mené des interventions efficaces au cours des deux guerres mondiales. Ils ont joué un rôle déterminant dans la libération du Koweït en 1991. Sans l’action des États-Unis dans les Balkans, la situation aurait pu être bien pire. Mais de nombreuses voix critiquent aussi le comportement de tyran que les États-Unis ont pu adopter. Ils se souviennent de Guantánamo, de la prison d’Abou Ghraib et des transferts de prisonniers. Et qu’en est-il des situations où les États-Unis et d’autres ne font absolument rien, comme au Rwanda ?
La situation s’est détériorée pour les États-Unis après le 11-septembre. Ils se sont livrés à deux interventions longues et coûteuses en Afghanistan puis en Irak. Au départ, la première a été largement soutenue au niveau international. La seconde ne l’était certainement pas et a mis en péril la crédibilité et la réputation des États-Unis. Les coûts humains et financiers étaient gargantuesques, mais ce qui a vraiment changé, c’est la fin du soutien national américain à l’aventurisme à l’étranger. Cela dit, les retraits des troupes américaines d’Irak et d’Afghanistan n’ont pas apporté l’ordre et la sécurité. Loin de là.
La seule et unique chose qui unit les trois derniers présidents américains, c’est qu’ils ont tous compris que l’opinion publique ne tolérerait plus de telles aventures téméraires. Barack Obama a refusé d’intervenir en Syrie en 2015 après l’utilisation d’armes chimiques par le régime d’Al-Assad. Il était également réticent lors de l’intervention de 2011 en Libye.
Donald Trump voulait retirer les forces américaines de la majeure partie du monde, y compris l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afghanistan. Seule l’opposition du Pentagone et d’autres a empêché cela. Il a rappelé les avions américains quelques instants avant qu’ils ne bombardent l’Iran. Rien ne prouve qu’il ait abandonné cet instinct isolationniste.
Joe Biden a également eu tendance à être plus axé sur le pays. Le retrait des États-Unis d’Afghanistan a été géré de manière désastreuse, ne redorant guère le blason du pays à l’échelle mondiale. Cependant, comme ses prédécesseurs, il sait que les suffrages des électeurs ne proviennent pas d’interventions au Moyen-Orient. Quoi que le président russe Vladimir Poutine puisse dire ou penser, Joe Biden ne cherchait pas une confrontation avec la Russie au sujet de l’Ukraine. Rien ne semblait l’indiquer. En réalité, c’est probablement le calcul de Poutine selon lequel les États-Unis et l’Europe étaient faibles et ne s’opposeraient pas à ses actions qui l’ont incité à agir. Le président Biden et d’autres ont montré que leur isolationnisme avait ses limites.
Officiellement, le poste de gendarme mondial n’existe pas. Nombreux sont ceux qui se demandent pourquoi les États-Unis l’occupent. Leur dossier est loin d’être parfait. Leur politique étrangère est saturée de positions incohérentes et de contradictions. Ils dénoncent le programme d’armement de pays comme l’Iran, la Corée du Nord et l’Irak, mais ferment les yeux sur celui d’Israël.
La réalité est que les États-Unis agiront comme tous les autres États : dans leur propre intérêt et uniquement dans cet intérêt. Ils comprennent au moins que les alliés sont importants et que, bien qu’imparfaitement appliqué, l’ordre international fondé sur des règles est primordial.
La Chine s’affirme de plus en plus. L’époque de la philosophie de Deng Xiaoping consistant à «cacher ses talents et attendre son heure» est révolue. Elle a construit son pouvoir discrètement, consciente que sa force découle de sa position économique. En 2000, l’économie chinoise ne représentait que 12% du volume de celle des États-Unis. Elle fait preuve de plus de patience que de nombreux pays démocratiques en jouant un long jeu, en grande partie astucieux. Mais elle poursuivra impitoyablement ses propres intérêts, tout comme le font ses rivaux, les États-Unis et la Russie.
Pour l’instant, la Russie ne peut que se blâmer elle-même. Qu’elle triomphe ou non en Ukraine, elle a réussi à réunir l’Otan et, dans une certaine mesure, l’Europe. Elle croule sous le poids de sanctions considérables, en plus d’être largement isolée et affaiblie. Son influence sur la politique européenne s’est effondrée. Ses piètres performances militaires entachent sa réputation. Elle restera un acteur important, mais mettra de nombreuses années à s’en remettre.
Les États-Unis auront quant à eux toujours une place vitale. Toute faiblesse relève davantage de la volonté politique que de l’absence de puissance militaire ou économique. Dans les grandes zones de tensions, leur force peut être indispensable. L’Inde et le Pakistan – deux puissances nucléaires – se sont affrontés, mais les États-Unis ont contribué à la désescalade. C’est le genre d’occasion où ils peuvent, de concert avec d’autres, jouer un rôle positif comme gendarme. Les efforts européens déployés en Ukraine sont pitoyables en comparaison avec la contribution américaine. Si les États-Unis ne s’engagent pas, les autres puissances ne le feront pas non plus. Si un génocide est en cours, d’autres puissances se tournent vers les États-Unis pour prendre les devants, puisqu’elles ne disposent généralement pas de la puissance militaire ou économique pour agir seules.
Aucune des trois grandes puissances ne connaît de succès remarquable. Un récent sondage auprès de Britanniques, de Français et d’Allemands âgés de 18 à 29 ans révèle qu’ils avaient peu de positif à dire sur les États-Unis ou la Chine.
«La réalité est que les États-Unis agiront comme tous les autres États : dans leur propre intérêt et uniquement dans cet intérêt» - Chris Doyle
Cela soulève la question de savoir comment le Conseil de sécurité de l’ONU fonctionne. Il reste non représentatif de l’ordre mondial actuel. L’Inde et d’autres États veulent y adhérer. Malheureusement, les discussions sur la réforme se sont poursuivies pendant des années, mais sans aucun changement. À la lumière de l’invasion russe de l’Ukraine, le Conseil de sécurité restera un organe divisé et finalement inutile pour les années à venir. Il n’est pas réaliste de voir les États-Unis et la Russie s’entendre sur grand-chose.
Cette grande rivalité entre les superpuissances doit être gérée mais aussi apaisée. Les guerres ont causé beaucoup de dommages aux États-Unis au cours de ce siècle et la Russie paie un lourd tribut pour son pari ukrainien. Les petits et moyens États devront les persuader de coopérer et de s’éloigner de la confrontation. Des blocs comme l’UE doivent jouer leur rôle et faire preuve d’audace sur la scène mondiale. Les États du Moyen-Orient doivent également se méfier. Collectivement, ils doivent trouver des domaines où ces puissances coopéreront de manière constructive et établiront une certaine confiance. Ils doivent orienter les grands acteurs dans une direction féconde et les persuader que leur meilleur pari est d’investir dans la prévention et la résolution des conflits, tout en trouvant des moyens de gérer leurs rivalités et de ne pas entrer inutilement en confrontation.
Chris Doyle est le directeur du Council for Arab-British Understanding, situé à Londres. Twitter: @Doylech
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com