La Libye fait une fois de plus la Une des médias, à la suite d’un plan récemment annoncé par Abdoulaye Bathily, l’envoyé spécial de l’ONU dans ce pays d’Afrique du Nord, afin de redynamiser le processus politique bloqué et de mettre un terme décisif à une décennie de transition tumultueuse.
Les dirigeants ont résisté à plusieurs reprises aux tentatives de parvenir à un accord, car cela les inciterait à renoncer aux monopoles qu’ils exercent sur le pouvoir, la richesse, l’utilisation de la force et la capacité de tirer parti de l’ingérence étrangère pour faire avancer leurs petits intérêts. En outre, les principaux acteurs veulent éviter de répondre de leurs actes devant toute initiative potentielle de justice transitionnelle.
Défendre de manière acharnée le statu quo ne sert qu’à promouvoir l’antithèse de ce que la plupart des Libyens et la communauté mondiale espèrent réaliser grâce à un processus électoral libre, équitable et crédible.
Le plan de M. Bathily d’organiser des élections cette année a été bien accueilli, à l’exception de quelques voix inquiètes du manque de mise en œuvre et qui se méfient du scrutin comme panacée pour les malheurs de la Libye.
L’Organisation des nations unies (ONU) n’a aucune solution concrète depuis près de douze ans de médiation, mais pour la première fois depuis longtemps, les experts espèrent que ce dernier pari pourrait changer les choses pour de bon. Après tout, sans des plans aussi ambitieux – qui suggèrent d’introduire une voie de rechange aux institutions corrompues existantes, soutenue par une rare cohésion internationale et une compréhension à grande échelle de l’importance des élections –, une Libye à la dérive laisserait probablement place à un nouveau conflit.
Des acteurs lourdement armés ont eu le temps de rassembler leurs forces, de tirer des avantages au moyen d’ingérences audacieuses et de consolider les acquis des brèves échauffourées entre le gouvernement d’unité nationale basé à Tripoli et la coalition orientale dirigée par Khalifa Haftar.
Dans le même temps, alors que la Tunisie voisine est également victime de crises sans précédent qui provoquent une augmentation de la migration vers le nord, un retour au conflit armé en Libye aurait des répercussions dévastatrices sur la sous-région et la région de la Méditerranée centrale, et il devrait être évité à tout prix, ce qui explique peut-être la rare convergence des soutiens au plan d’Abdoulaye Bathily.
Mais quelle est exactement cette proposition qui est saluée comme une première étape prometteuse ? M. Bathily souhaite convoquer un comité de pilotage électoral composé de quarante membres issus de la scène sociopolitique libyenne. Ce comité inclut la société civile, les militants, les dirigeants communautaires et même des personnalités éminentes parmi les dirigeants politiques actuels.
Un groupe aussi diversifié serait habilité à préparer le terrain pour les élections et à tracer la voie à suivre. Le processus nécessiterait de régler les querelles sur la base constitutionnelle des lois électorales, la planification de la sécurité, la logistique et le règlement des différends.
Il s’agit d’un plan étrangement similaire à la feuille de route de 2021 qui a abouti au Forum de dialogue politique libyen, autrefois très prisé, qui s’est finalement effondré en raison de la corruption, de la coercition, de l’intimidation et d’influences malveillantes, privant la Libye de son meilleur espoir de stabiliser sa transition.
Pour une raison quelconque, le plan d’Abdoulaye Bathily ne mentionne pas de tels détails, chose que les observateurs trouvent préoccupante non seulement en raison des vulnérabilités flagrantes que cela révèle dans sa mise en œuvre, mais aussi en termes d’absence de plan crédible sur ce qui se passera après que les Libyens auront voté. Ils ne doivent pas seulement être pleinement conscients de ce pour quoi ils votent; ils doivent également être conscients de la manière dont le gouvernement qui en résultera agira, lui accordant ainsi à la fois une légitimité et le mandat décisif dont ils ont tant besoin.
«Insister sur des élections suffisamment crédibles pour conférer une légitimité intouchable nécessite une bonne gouvernance existante – ce dont la Libye manque désespérément.» Hafed al-Ghwell
Malheureusement, comme l’ont découvert les envoyés spéciaux successifs de l’ONU, la Libye est prise au piège d’un étrange «paradoxe de l’œuf et de la poule» qui déconcerterait même les hommes d’État les plus endurcis. Insister sur des élections suffisamment crédibles pour conférer une légitimité intouchable nécessite une bonne gouvernance existante – ce dont la Libye manque désespérément.
Ce niveau de compétence technocratique peut uniquement être précédé d’un régime électoral bien établi, constitutionnellement habilité à accueillir une pluralité et une diversité de candidats pour mener une campagne sans entrave. Cela cultiverait également la confiance dans les processus et les résultats, ce qui est essentiel pour organiser des transitions de pouvoir pacifiques.
Cependant, la Libye en manque aussi, en partie à cause de dirigeants peu enthousiastes à l’idée de céder potentiellement leur pouvoir à des représentants nouvellement élus, ou d’être dépouillés de gains mal acquis dans les procédures de justice transitionnelle.
En conséquence, même si la communauté internationale se réjouit des propositions encourageantes de M. Bathily, les Libyens restent, pour la plupart, sceptiques puisque ces plans ne résolvent pas le paradoxe et ne fournissent par ailleurs pas de feuille de route appropriée pour y faire face dans un délai approprié.
Ainsi, le sentiment dominant au sein du public est celui, si familier, du désespoir, alors que des aspirations autrefois prometteuses cèdent rapidement la place, une fois de plus, au nihilisme et à l’indignation. En Libye, répéter plusieurs fois le même processus et s’attendre à un résultat différent ne laisse qu’un sentiment public de résignation face aux élites rivales, puisque la solution de rechange est une paix imposée par la force des armes.
Alors, que va-t-il se passer par la suite ? Si Abdoulaye Bathily parvient à mobiliser le soutien international et à diriger la prochaine itération du Forum de dialogue politique libyen, des élections pourraient, techniquement, avoir lieu cette année. Reste à savoir si des acteurs profondément impliqués comme l’Égypte et la Turquie donneront suite à leurs assurances diplomatiques par des actions concrètes en faisant pression sur leurs mandataires libyens pour qu’ils prennent place à la table des négociations.
Ensuite, le Conseil de sécurité de l’ONU ne devrait plus se contenter de publier des déclarations ou de rédiger des résolutions sans effet. Les élections ne sont pas faciles, même dans le meilleur des cas, et d’autant plus difficiles dans un pays ravagé par les conflits, les divisions politiques et les intérêts extérieurs concurrents. Si ce «nouveau» plan doit réussir à mettre en place le prochain gouvernement et déclencher la restauration d’institutions étatiques fonctionnelles après des années de négligence ou d’usurpation, il aura besoin d’un Conseil de sécurité plus impliqué qui ne soit pas facilement distrait par des tensions géopolitiques ailleurs.
L'un des principaux défis, parmi d'autres, est bien sûr la sécurité. On ne sait toujours pas comment M. Bathily espère diriger un processus politique dans un pays divisé où l’est et le sud sont contrôlés par une coalition hostile composée de milliers de combattants étrangers et de mercenaires, dont le tristement célèbre groupe de mercenaires Wagner.
En outre, pour des personnalités controversées telles que M. Haftar et Saïf Al-Islam Kadhafi, le scrutin constitue une menace, mais il offre également une alternative relativement peu sanglante à la mainmise de l'État, à condition qu'elles puissent influencer les résultats électoraux soit lors des délibérations à huis clos du comité directeur électoral de haut niveau proposé par Abdoulaye Bathily, soit en contestant sans cesse ses résolutions.
Pire encore, ils pourraient également recourir au bourrage d’urnes, à l’intimidation des électeurs et aux attaques contre les bureaux de vote, le tout pour créer des prétextes douteux en vue de contester les résultats des élections après avoir délibérément privé les Libyens de leur droit de vote dans les zones qu’ils contrôlent.
Pour l’instant, on ne peut qu’espérer que les élections – sous n’importe quel format – permettraient de rétablir une certaine stabilité et, plus important encore, conféreraient une légitimité à une autorité exécutive unifiée, sans laisser la place à un autre dictateur qui rejettera toute base constitutionnelle pour les futures élections.
Si l’on fait abstraction des fondements fragiles des plans de M. Bathily, le fait de redynamiser ainsi la transition bloquée de la Libye rétablira au moins un certain élan dans les voies parallèles visant à renforcer la sécurité dans le pays, à finaliser le processus de rédaction de la Constitution et à amorcer une réconciliation nationale étayée par une solide justice transitionnelle.
Hafed al-Ghwell est chercheur principal et directeur exécutif de l’Initiative stratégique d’Ibn Khaldoun au Foreign Policy Institute de la John Hopkins University School of Advanced International Studies à Washington. Il a précédemment occupé le poste de président du conseil d’administration du Groupe de la Banque mondiale.
Twitter: @HafedAlGhwell
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com