TUNIS: C’est du jamais vu dans la vie politique tunisienne. Le 30 janvier dernier, les Tunisiens ont vu émerger une nouvelle Assemblée des représentants du peuple (ARP) – le 16e Parlement depuis l’indépendance du pays en 1956 – qui constitue un parfait «Objet politique non identifié», dont on ne peut pas de prime abord décrypter la composition politique. C’est la première fois que cela arrive en Tunisie.
Pendant le régime du parti unique (1956-1987) – le Parti socialiste destourien (PSD), sous le premier président de la Tunisie, Habib Bourguiba –, puis celui du parti hégémonique (1988-2011) – le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) de Zine el-Abidine ben Ali –, il n’y avait guère de surprise au sujet de la composition du Parlement. Les Tunisiens avaient même fini par s’habituer à ce que ces deux formations en rafle la quasi-totalité des sièges.
La situation a changé avec la démocratisation de la vie politique, après le 14 janvier 2011. Les Parlements sont devenus beaucoup plus lisibles. Mais cette fois-ci, l’opposition ayant décidé de boycotter les élections législatives de 2022-2023, et ce scrutin s’étant déroulé selon un scrutin uninominal à deux – destiné à écarter les partis politiques –, au lieu du scrutin de liste qui prévalait jusqu’ici, il était impossible de décrypter la composition de la nouvelle ARP.
Bon nombre de Tunisiens étaient pourtant convaincus que les nouveaux députés seraient, du moins dans leur majorité, de nouveaux venus en politique et, surtout, des partisans du président Kaïs Saïed.
Depuis le 25 juillet 2021, le président Kais Saïed a tout fait pour mettre en place un nouveau régime sans les partis politiques, voire contre eux. Cela n’a pas empêché ces derniers d’être largement représentés dans la nouvelle Assemblée des représentants du peuple.
Mais, selon une enquête du site web alqatiba.com sur l’identité politique des représentants élus en janvier, la plupart d’entre eux ne seraient pas réellement des novices. Cette enquête indique en effet que, parmi les cent cinquante-quatre députés, près de la moitié (soixante-seize) appartient à des partis politiques, tandis que trente sont des indépendants acteurs de la société civile, et trente-huit n’auraient pas d’identité politique connue. Ces données manqueraient cependant de précision et donc de fiabilité.
Un baron du régime d’avant le 14 janvier 2011 assure, sous le sceau de l’anonymat, que les Destouriens – les cadres et militants du PSD, au pouvoir sous le premier président de la Tunisie, M. Bourguiba, lequel fut renversé par M. Ben Ali, le 7 novembre 1987 – et les RCDistes – membre du RCD, le parti de Ben Ali – seraient majoritaires au sein du nouveau Parlement. Il s’agit pour bon nombre d’entre eux de vieux routiers de la politique.
Si la plupart n’ont cependant pas été identifiés comme tels, c’est parce qu’ils étaient avant 2011 des seconds couteaux de l’ancien régime, affirment des sources concordantes. L’étiquette d’indépendant sert souvent, comme on a pu le constater dans le passé et à l’occasion des dernières élections législatives, à cacher le passé.
Ces nouveaux députés venus d’un monde que le président Kaïs Saïed déteste vont-ils se positionner comme soutien ou comme opposant à celui-ci ? Pour le savoir, il va falloir non seulement attendre la constitution des groupes parlementaires et analyser leur discours mais aussi guetter leurs actes, et plus particulièrement la manière dont ils vont voter les initiatives et les projets de lois qui leur seront présentés par le président.