AMMAN: Monter sur scène et raconter des blagues: deux Jordaniens à Amman se sont lancés le défi de réapprendre à rire à leurs compatriotes, englués dans les difficultés économiques quotidiennes.
Depuis qu'ils ont créé l'Amman Comedy Club (ACC) en 2019, Moeen Masoud et Yazan Abou al-Rous ont permis à 140 personnes d'être "formées" au rire lors d'ateliers gratuits durant trois à quatre mois.
Âgés de 18 à 40 ans, des avocats, des docteurs mais aussi des étudiants ont ainsi appris à faire de l'impro, du stand-up, des sketchs de comédie ou encore à écrire des satires.
"La comédie est un message et notre message est de faire rire les gens", assure M. Masoud.
"Si vous venez ici et passez deux heures à rire, en oubliant tous vos problèmes et soucis, cela signifie que j'ai accompli ma mission."
La Jordanie traverse de profondes difficultés économiques, exacerbées par la pandémie de Covid-19. Selon les dernières statistiques officielles, datant de 2021, près de 25% de la population est au chômage, un chiffre qui monte jusqu'à 50% auprès des jeunes.
La dette publique est de 43,1 milliards d'euros, soit 106% du Produit intérieur brut, et le taux de pauvreté s'affiche à 24%, un record.
«Préjugés»
La comédie permet de parler de ces "soucis" d'une autre manière, et sous couvert de blague les critiques sous-jacentes peuvent aider "à grandir et à résoudre les problèmes", souligne M. Abou al-Rous.
Les ateliers se déroulent avec le soutien du gouvernement jordanien et des aides de fondations internationales, comme la Fondation Konrad Adenauer, mais aussi des clubs de comédie étrangers, à l'instar du célèbre The Second City, à Chicago.
"Nous avons de grandes ambitions (...) nous voulons faire une tournée dans le monde arabe et au-delà avec des comédiens jordaniens", raconte M. Masoud.
"Selon les préjugés, les Jordaniens ne rient pas", dit M. Abou al-Rous. "Au ACC, nous voulons contester cette idée et prouver le contraire au monde entier, que nous aimons les blagues et rire."
Parmi les "diplômés" de l'ACC, certains se produisent désormais à travers le pays pour susciter des fous rires, jusque dans les camps de réfugiés syriens, où le club organise des modules de soutien psychologique.
«Energie positive»
Le plus connu d'entre eux s'appelle Abdallah Sobeih. A 25 ans, il réunit des centaines de milliers de personnes sur les réseaux sociaux et a un spectacle hebdomadaire à Amman.
Les ateliers de l'ACC lui ont appris "à choisir des sujets qui touchent la vie des gens, et la manière dont sont construites les histoires drôles."
Sur Instagram, ses blagues "font oublier leurs soucis" à ses 340.000 abonnés, espère-t-il.
"Nous savons que des personnes souffrent (...) Nous essayons de leur apporter un peu de soulagement", dit l'humoriste.
Avec deux autres anciens des ateliers de l'ACC, Kamal Sailos et Youssef Bataineh, il enchaîne les blagues au théâtre d'Al-Shams, devant un parterre de 350 personnes, principalement des jeunes femmes et hommes.
"Notre pays est le seul au monde dont, lorsqu'on tape son nom sur Google, les résultats montrent Michael Jordan", légendaire joueur de basket-ball, lance Youssef Bataineh devant une audience hilare.
A la fin du spectacle, l'étudiant Ahmed a le sourire aux lèvres. "Les gens oublient vraiment l'importance du rire", confie-t-il.
"Ce qu'ils font, c'est donner aux gens l'énergie positive dont ils ont désespérément besoin."