PARIS: En colère contre le recours au 49.3 ou les violences policières, une partie de la jeunesse a amplifié sa mobilisation jeudi contre la réforme des retraites, avec des actions de blocages dans des lycées et des universités, et une forte participation aux manifestations.
Des dizaines de lycées et établissements universitaires ont été le théâtre jeudi matin de blocages ou rassemblements dans toute la France, à l'appel de différentes organisations de jeunesse.
Le ministère de l'Éducation nationale a signalé "148 incidents" dans des lycées en France, dont 38 blocages, 70 blocages filtrants, 14 tentatives de blocages et 26 autres formes de perturbations. L'Hexagone compte quelque 3 700 lycées.
Le syndicat étudiant L’Alternative a comptabilisé quelque 80 écoles d'enseignement supérieur et universités mobilisées, dont une soixantaine bloquées ou occupées.
Dans la matinée, l'accès à des lycées et sites universitaires a notamment été bloqué à Paris, Rennes, Marseille ou Toulouse. "C'est symbolique. On veut montrer notre mécontentement face à cette réforme, même à Assas il y a de la colère", déclare Redouane, 23 ans, devant cette fac de droit parisienne, bloquée pour la première fois depuis le début du mouvement. Non loin de là, 150 à 200 personnes se sont rassemblées devant le prestigieux lycée Louis-le-Grand.
Beaucoup de jeunes ont ensuite rejoint les manifestations.
457 interpellations, 441 policiers et gendarmes blessés jeudi
Gérald Darmanin a fait état vendredi de "457 interpellations" et de "441 policiers et gendarmes blessés" jeudi en France lors de la 9e journée de mobilisation contre la réforme des retraites.
Invité de Cnews, le ministre de l'Intérieur a affirmé en outre qu'il y avait eu "903 feux de mobiliers urbains ou de poubelles" jeudi à Paris lors de la manifestation intersyndicale.
Comme jeudi soir à la préfecture de police de Paris, Gérald Darmanin a souligné la "radicalisation" des manifestants en pointant du doigt la violence de "l'extrême gauche".
"L'extrême gauche veut attaquer la République", a-t-il dit, en estimant qu'il fallait "un message collectif de condamnation".
Il s'est étonné du manque de réactions des politiques face au nombre de policiers et gendarmes blessés, "un petit millier" depuis le début de la contestation de la réforme des retraites. Il y a , a-t-il dit, "un sport national qui consiste à salir les policiers et les gendarmes".
"Le pays doit se réveiller et condamner l'extrême gauche et les factieux. Ils sont peu nombreux mais ils sont extrêmement violents", a-t-il poursuivi.
A propos des black blocks, "des casseurs" dont le nombre a été estimé à "1.500" dans le cortège parisien jeudi, M. Darmanin a jugé qu'on devait les appeler les "black bourges", car ce sont "des gens de bonne famille".
Il a jugé que si ces derniers "pouvaient tuer" un policier ou un gendarme "ils s'en réjouiraient".
Il a souligné le travail "formidable" des forces de l'ordre pour "éviter un mort". "Il n'y a eu aucun mort, aucun blessé grave", a poursuivi le ministre, qui a cependant évoqué le cas d'une manifestante blessée gravement à Rouen dans des conditions non déterminées encore.
À Paris, étudiants et lycéens ont défilé par milliers, beaucoup plus nombreux que les fois précédentes, ont constaté des journalistes de l'AFP.
Avant le départ du cortège parisien, Philippe Martinez (CGT) a souligné la présence de "beaucoup de lycéens, d'étudiants".
"Les jeunes, ça amplifie le mouvement, ça crée de la dynamique, on passe un cran", estime Benoît Teste (FSU), rappelant la formule qui veut que les mouvements de jeunesse soient "comme le dentifrice : quand ils sont sortis du tube, on ne peut plus les faire rentrer".
Célia, 20 ans, en DUT infocom, a manifesté pour la première fois. "C'est le 49.3 qui m'a énervée", a-t-elle dit. Cécile, 22 ans, souligne "ne jamais avoir eu autant d'amis" dans les manifestations. Pour elle, "le 49.3, c'est une manière de faire qui ne passe plus, de même que les violences policières".
Berger: Mettre la réforme « sur pause »
Un regain de mobilisation, des images de violences inédites depuis le début de la contestation et une intersyndicale qui maintient son cap face à un exécutif inflexible: le conflit sur la réforme des retraites se poursuit avec une 10e journée d'actions prévue mardi.
Entrée dans son troisième mois, la contestation dans la rue contre la réforme a rassemblé jeudi entre 1,089 million de manifestants (Intérieur) et 3,5 millions (CGT) pour sa 9e journée de mobilisation.
Le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger a appelé vendredi le gouvernement à "mettre sur pause" la réforme des retraites, et à ouvrir une négociation plus globale avec les syndicats, qui comprendrait par exemple "l'emploi des seniors", "l'usure au travail" ou "les aménagements de fin de carrière".
Il faut "se donner six mois pour regarder, et sur le travail et sur les retraites, comment il faut reprendre les choses à l'endroit", a-t-il déclaré sur RTL.
Dans la rue jeudi, les manifestants ont exprimé leur colère face au 49.3 utilisé par le gouvernement et l'intervention mercredi du président de la République.
Aurélie Thieffry, 35 ans, animatrice périscolaire dans le Finistère, s'est dite jeudi dans le cortège brestois convaincue de pouvoir faire reculer l'exécutif: "ça va être compliqué mais avec un peu d'organisation, c'est possible d’y arriver".
"On sent qu'il y a un élan extrêmement fort de la population, une opinion publique qui est largement convaincue et donc voilà, tant qu'il y a un calendrier qui nous permet d'agir, on est mobilisé", a commenté Marylise Léon, N.2 de la CFDT à l'issue de l'intersyndicale qui a donné à nouveau rendez-vous mardi aux manifestants et grévistes, avec des rassemblements syndicaux de proximité ce weekend.
Les syndicats rassurés par les chiffres de la mobilisation, ont été aussi ragaillardis par des cortèges où les jeunes sont manifestement venus plus nombreux.
Tout sauf une surprise tant leur irruption avait été pronostiquée depuis le début de la mobilisation.
La violence qui n'avait jusqu'ici été que sporadique, a également fait une entrée en scène spectaculaire.
Porte de la mairie de Bordeaux incendiée, "scènes de chaos" dénoncées par la maire de Rennes, canons à eau à Lille et Toulouse, manifestante avec un pouce arraché à Rouen, commissariat pris pour cible à Lorient (Morbihan)... Les violences sont montées d'un cran, presque partout dans les métropoles. "Inacceptables", a jugé la Première ministre Elisabeth Borne.
Pas de porte de sortie
A Paris, des violences ont éclaté en tête de la manifestation avec leur lot de vitrines brisées et de mobilier urbain détruit, et des incidents se sont poursuivis en soirée dans le sillage de cortèges dits "sauvages".
A rebours d'un défilé où la grande majorité des manifestants a marché pacifiquement.
Feux de poubelle, sirènes et gyrophares ont strié une nuit où des grappes de manifestants ont joué au chat et à la souris avec les forces de l'ordre.
La stratégie de l'exécutif, "c'est une stratégie minoritaire de faire pourrir un mouvement social et de faire peur aux gens en employant la violence, et j'ose parler de violences policières", selon Catherine Perret, secrétaire confédérale de la CGT.
Les mobilisations anti-bassines dans les Deux-Sèvres ce weekend et la venue du roi Charles III à partir de dimanche en France en pleine crise sociale promettent un sacré défi pour l'exécutif.
Celui-ci reste inflexible sur sa réforme. Emmanuel Macron qui était jeudi à Bruxelles pour un sommet européen avait, la veille, défendu bec et ongles une réforme "nécessaire" pour les finances publiques, assumant son "impopularité".
A l'issue de ce nouvel épisode d'un conflit qui s'enlise, les responsables politiques de gauche ont invité jeudi les Français à amplifier encore la contestation, le chef des communistes Fabien Roussel appelant à "mettre le pays à l'arrêt", et Jean-Luc Mélenchon (LFI) à "jeter toutes les forces dans la bataille".
Pour Marine Le Pen (RN), finaliste malheureuse de la dernière présidentielle, "Emmanuel Macron ne peut plus gouverner seul, il doit désormais en revenir au peuple".
«Sans doute un tournant»
Le 49.3 "m'a réveillée", renchérit Camille, 18 ans, étudiante à l'institut catholique de Paris, qui se dit "révoltée" par les discours de la Première ministre Elisabeth Borne et du président Emmanuel Macron.
Jusque-là plus timide --tant le sujet des retraites peut sembler éloigné de leurs préoccupations--, la mobilisation de la jeunesse s'est renforcée depuis une semaine. Les raisons de cette évolution ? Le recours au 49.3, les images de violences policières ou les dernières prises de parole de M. Macron, qui a estimé que la "foule" n'avait "pas de légitimité" face aux élus, selon les témoignages recueillis dans les cortèges.
Des étudiants se sont rapprochés des travailleurs de différents secteurs (éboueurs, cheminots...) et participé à des actions communes (par exemple une manifestation jeudi devant l'incinérateur de déchets d'Ivry-sur-Seine, Val-de-Marne) ou se retrouvent le soir pour manifester.
Une mobilisation accrue que l'on retrouve également hors de la capitale.
À Montpellier, le préfet de l'Hérault a relevé une présence de jeunes "plus importante que d'habitude". "Il y a un mois, on n'aurait pas pu faire un tel cortège", indique Adèle Choppé, 16 ans, secrétaire générale du syndicat lycéen FIDL à Montpellier. "L'interview de Macron m'a plutôt mobilisé. Et j'ai des amis à qui ça a fait prendre conscience qu'il fallait y aller", dit Arthur, 22 ans, à Dijon.
Nombre de lycéens ont aussi décidé de se mobiliser une fois passées les épreuves de spécialité du bac, de lundi à mercredi, comme Amandine, 17 ans, du lycée Rodin à Paris, qui a "clairement attendu d'avoir fini" cette séquence.
Stéphane Sirot, historien et sociologue, spécialiste des mouvements sociaux, relève "une présence plus marquée des jeunes, étudiants surtout". "Ils s'impliquent davantage. Cela marque sans doute un tournant, car la question va au-delà de la réforme des retraites en elle même".
"Depuis l'adoption du 49.3 par le gouvernement, la question démocratique les taraude", ajoute-t-il. "Ça peut apporter du grain à moudre à la mobilisation".