ADDIS ABEBA: Le gouvernement éthiopien a jugé mardi "sélectives" les accusations américaines sur les crimes de guerre commis durant les deux ans de conflit dans la région éthiopienne du Tigré, estimant qu'elles répartissaient de façon inéquitable les responsabilités.
Lundi soir, le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken, tout juste rentré d'Ethiopie, a accusé tous les belligérants - forces progouvernementales et rebelles - d'avoir commis des crimes de guerre, estimant que beaucoup de ces actes n'étaient pas "dus au hasard" ou "une conséquence indirecte de la guerre" mais "étaient calculés et délibérés".
Mais il a aussi accusé en particulier l'armée fédérale éthiopienne et ses alliées (armée érythréenne et forces et milices de la région de l'Amhara) de crimes contre l'humanité - dont des "meurtres, viols et d'autres formes de violences sexuelles et de persécution" - sans mentionner à ce sujet les forces des autorités rebelles du Tigré.
"Le gouvernement d'Ethiopie n'accepte pas les condamnations générales contenues dans cette déclaration" américaine et dénonce "une approche (...) unilatérale et antagoniste", répond mercredi le ministère éthiopien des Affaires étrangères dans un communiqué, alors que les autorités rebelles du Tigré n'ont pas répondu aux sollicitations de l'AFP.
Cette déclaration "est sélective car elle répartit de manière inique les responsabilités parmi les parties. Sans raison apparente", les Etats-Unis "semblent exonérer une des parties de certaines accusations de violations de droits humains, telles que viols ou violences sexuelles malgré des claires et accablantes preuves de sa culpabilité", poursuit-il, en référence aux forces des autorités rebelles du Tigré.
"Alors que l'Ethiopie met en application le processus de paix, une telle répartition des responsabilités est injustifiée et amoindrit le soutien des Etats-Unis à un processus de paix inclusif en Ethiopie".
Un accord de paix, signé le 2 novembre 2022 à Pretoria a mis fin à deux ans de brutal conflit au Tigré, région du nord de l'Ethiopie, opposant le gouvernement fédéral éthiopien et aux autorités régionales du Tigré entrées en dissidence.
Cet accord a été négocié et signé sous l'égide de l'Union africaine (UA) mais l'influence de Washington a été cruciale auprès des parties, selon des sources diplomatiques.
« Incendiaire »
En visite en Ethiopie, le 15 mars, M. Blinken avait lié la reprise d'un plus grand partenariat économique avec l'Ethiopie à "la réconciliation et l'établissement des responsabilités" dans les atrocités commises durant le conflit au Tigré.
En raison de ce conflit, l'Ethiopie, allié historique de Washington, a notamment été exclue en janvier 2022 des bénéficiaires de l'Agoa, initiative américaine qui exempte des pays africains de taxes à l'exportation.
La déclaration américaine est "incendiaire" et "va être utilisée pour alimenter des campagnes (...) dressant les communautés les unes contre les autres" en Ethiopie, dénonce le ministère éthiopien des Affaires étrangères, critiquant une "approche partisane et source de discorde".
Elle est en outre "inopportune" et "nuit aux efforts nationaux (éthiopiens) pour enquêter de façon exhaustive sur ces accusations, quels que soient les coupables", estime également Addis Abeba, promettant de "plus amples investigations" sur les crimes commis durant le conflit au Tigré.
"L'Ethiopie va continuer à mettre en place toutes les mesures visant à faire rendre des comptes aux responsables, y compris terminer la consultation nationale sur la justice transitionnelle et faire en sorte que justice soit rendue à toutes les victimes", assure le gouvernement éthiopien.
Prix Nobel de la paix en 2019 pour avoir mis fin à 20 ans de guerre ouverte ou larvée avec l'Erythrée voisine, le Premier ministre Abiy Ahmed est, depuis le conflit au Tigré, passé aux yeux de Washington de symbole d'une nouvelle génération de dirigeants africains modernes à un quasi paria.
Abiy Ahmed a envoyé en novembre 2020 l'armée fédérale au Tigré, accusant les autorités régionales qui contestaient son pouvoir depuis plusieurs mois d'y avoir attaqué des bases militaires.
La région était alors dirigée par le Front de libération du Peuple du Tigré (TPLF), parti ayant gouverné de fait l'Ethiopie de 1991 à 2018 avant d'être progressivement marginalisé par M. Abiy.
Le bilan exact est difficile à évaluer mais les Etats-Unis estiment que quelque 500 000 personnes ont péri durant ce conflit, plus que depuis l'invasion russe de l'Ukraine.