PARIS: "Si j'avais de l'argent à dilapider, j'aurais fermé !": comme de nombreux petits commerçants indépendants, Céline Sirbu, bouchère/charcutière près de Lille, n'a pas pu se résoudre à faire grève mais elle a symboliquement descendu l'un de ses rideaux en soutien à la mobilisation contre la réforme des retraites.
"Un jour de fermeture, je perds quasiment 1.000 euros", précise-t-elle à l'AFP.
Avec l'inflation, l'argent rentre moins (la dépense moyenne de ses clients est passée de 30 à 20-25 euros environ) et elle doit faire face à l'envolée des prix de l'énergie. Alors même si une affiche clame son opposition à la réforme sur sa devanture, elle n'a pas fermé ses portes.
"Il y a une grande inquiétude des commerçants par rapport à leur chiffre d'affaires, à leurs charges et notamment l'énergie", explique à l'AFP Francis Palombi, président de la Confédération des commerçants de France (CDF) qui regroupe des fédérations représentant 450.000 entreprises, principalement des TPE, sur plus de 600.000 commerces de proximité indépendants.
Selon lui, "l'ADN des commerçants n'est pas de descendre dans la rue, mais ils ne sont pas contre les syndicats car ils ont eux-mêmes des doléances sur les retraites".
La grande majorité des commerçants qu'il représente sont propriétaires de leur fonds de commerce qu'ils vendent en fin de carrière pour gonfler des pensions "très petites". Mais alors qu'ils se vendaient pour "35 à 40% du chiffre d'affaires à une époque, leur prix est désormais tombé à 15-20%", ajoute M. Palombi.
A Strasbourg, la librairie Le Tigre a fermé trois fois depuis le début du mouvement. "Ça pèse et ça fait mal mais, à un moment donné, c'est important de se bouger", justifie son gérant, Nicolas Deprez, même s'il dit comprendre ceux qui ne veulent ou ne peuvent pas fermer.
Certains de ses clients retraités lui ont fait des réflexions, "mais c'est facile à dire quand on est passé de l'autre côté de la barrière", affirme à l'AFP cet anarchiste autoproclamé. "Après, je ne peux pas fermer tous les jours évidemment..."
Reprise des expéditions de carburant à Esso-ExxonMobil de Fos-sur-Mer
Les expéditions de carburant ont repris vendredi, du moins pour la matinée, à la raffinerie Esso-ExxonMobil de Fos-sur-Mer, a-t-on appris auprès du groupe.
Il n'y a "plus de grèves à la raffinerie de Fos sur le quart de ce matin", avec une "reprise des expéditions depuis 6h ce jour", a indiqué à l'AFP une porte-parole du groupe pétrolier.
La nouvelle ligne de quart de l'après-midi décidera dans la journée quant à elle si elle prend la même décision que le quart du matin ou si elle poursuit le mouvement.
Les expéditions de carburants avaient déjà repris jeudi à la raffinerie d'Esso-ExxonMobil de Port-Jérôme-Gravenchon (Normandie), selon la même source.
Les salariés des autres raffineries françaises poursuivent leur mouvement de protestation contre la réforme des retraites du gouvernement, a-t-on par ailleurs appris auprès de la CGT.
Rare mobilisation
Pour le sociologue spécialiste du commerce et de la consommation Vincent Chabault, les actions de certains commerçants, "des coiffeurs fermés, des cortèges de libraires en manifestation, des rideaux tirés pour quelques heures", sont assez exceptionnelles, bien que parsemées, dans l'histoire des mobilisations des indépendants.
"Jusque-là ils avaient surtout des revendications fiscales ou plus récemment liées aux prix de l'énergie", rappelle-t-il.
La réforme des retraites les concerne avec la revalorisation du minimum garanti, puisque les pensions des indépendants sont souvent "dérisoires et complétées par de l'épargne individuelle", mais la question de la pénibilité est selon le sociologue peu reconnue.
Pour les coiffeurs, qui restent debout, les libraires qui portent beaucoup... mais aussi pour les réparateurs de vélo.
"On devra travailler plus longtemps. On est dans un métier, la mécanique où, après un certain temps, le corps va lâcher, les mains, le dos, on ne va pas tenir jusqu'à 65 ans", explique à l'AFP Farzan Fazeli, 33 ans, gérant de la boutique-atelier La tête dans le guidon à Strasbourg.
Il est allé manifester "20 minutes en soutien au mouvement. Mais fermer une journée, ça serait trop handicapant".
Selon le sociologue Vincent Chabault, un sondage auprès de commerçants a montré qu'une grande majorité étaient opposés à la réforme mais que seulement la moitié soutenait la mobilisation.
"La raison, c'est la crainte du manque à gagner, ils ont déjà des revenus incertains, qui les privent d'une sérénité au quotidien", dit-il.
La petite cordonnerie de Rudy François, dans le centre-ville de Lille, a fermé mardi pour la deuxième fois "en solidarité des autres". A 62 ans, ce cordonnier qui a commencé à travailler à 14 ans n'a pris que "quinze jours de congés sur les dix dernières années" et le "ras-le-bol" est arrivé avec la hausse des factures d'énergie.
Mais pour arriver aux 500 euros quotidiens dont il a besoin pour couvrir ses frais, il ne pourra pas fermer samedi pour aller manifester: "Faut pas exagérer, c'est le meilleur jour de la semaine !", lance-t-il. "Et ce n'est pas la CGT qui va me payer mon salaire !"