PARIS: Coup de théâtre au Sénat: le gouvernement a demandé vendredi un vote unique sur l'ensemble de sa réforme des retraites, donnant un coup d'accélérateur aux débats, tandis qu'Emmanuel Macron a confirmé cette fermeté en n'acceptant pas de rencontrer les syndicats.
Pour contrer l'"opposition méthodique" de la gauche, le ministre du Travail Olivier Dussopt a dégainé vendredi, avec l'assentiment de la majorité de droite, l'arme constitutionnelle du vote unique devant le Sénat qui va devoir se prononcer en une seule fois sur l'ensemble du projet de loi.
"Aveu de faiblesse", "coup de force": la gauche s'est aussitôt élevée contre ce recours.
Si les amendements ne peuvent pas être débattus ni votés, ils peuvent toutefois être simplement présentés par leurs auteurs.
Dans ces conditions, les sénateurs ont traité 262 amendements dans la journée, examinant notamment l'article 10 qui porte sur la revalorisation des petites retraites.
Selon le LR Roger Karoutchi, qui a présidé la séance, il reste désormais 763 amendements à traiter avant l'échéance prévue dimanche à minuit.
"Gouverner dans la brutalité pour imposer une réforme dont les Français ne veulent pas: voilà leur unique objectif!", a dénoncé sur Twitter la cheffe de file des députés du RN Marine Le Pen.
En retour, Emmanuel Macron a sobrement souhaité que la réforme puisse "aller à son terme" au Parlement, "dans un climat de calme, de respect des accords et des désaccords", lors d'une conférence de presse commune avec le Premier ministre britannique Rishi Sunak à l'Elysée.
Et il n'a pas proposé de rendez-vous aux syndicats, en réponse à leur demande écrite de les recevoir en "urgence". Il a expliqué vouloir "préserver le temps parlementaire" même si le gouvernement "est à (leur) écoute" et si lui-même "ne sous-estime pas le mécontentement" ni "les angoisses exprimées", à la veille d'une nouvelle journée de manifestations.
«Politique fiction»
Mais, au Parlement comme au gouvernement, les regards sont déjà tournés vers la semaine prochaine, vraisemblablement décisive pour l'avenir de cette réforme phare du second mandat d'Emmanuel Macron qui prévoit le report de 62 à 64 ans de l'âge de départ en retraite.
Un groupe de sénateurs et de députés doit d'abord se réunir mercredi au sein d'une commission mixte paritaire (CMP) pour bâtir un projet de compromis entre les deux chambres qui devront ensuite voter séparément le lendemain sur ce texte.
L'approbation de l'Assemblée, où le gouvernement ne dispose que d'une majorité relative et où la droite est divisée, semble de plus en plus incertaine.
La Première ministre Elisabeth Borne "va avoir un choix cornélien: c'est la roulette russe" d'un vote à l'Assemblée ou "la grosse Bertha" avec l'article 49.3 de la Constitution qui permet l'adoption d'un texte sans vote mais porte le risque d'une censure du gouvernement, a mis en garde Bruno Retailleau, le chef de file des sénateurs Les Républicains.
Un vote positif est possible mais "ça va être ric-rac" à l'Assemblée, admet un ministre.
Le chef de l'Etat n'a toutefois pas voulu faire de "politique fiction" sur le 49.3, même si, selon son entourage, il reste un outil à disposition étant donné que le président "ne veut pas que le pays soit bloqué".
«Escalade»
Pour le leader de la CGT Philippe Martinez, un recours à cet outil serait "très grave y compris pour la démocratie" et justifierait la poursuite du mouvement voire son amplification.
"On tire la sonnette d’alarme. Quand des millions de personnes sont dans la rue (…), quand il y a des grèves et qu'en face il n'y a rien, silence, les gens se disent +qu’est-ce qu’il faut faire de plus pour être entendu+", a affirmé M. Martinez.
Alors que les syndicats espèrent réussir une nouvelle journée de mobilisation samedi pour exiger le retrait du texte, le vote bloqué au Sénat pourrait mener à une "escalade de la colère", a prévenu la fédération CGT Energie, en indiquant que les grèves se poursuivaient, notamment dans les centrales de production d'électricité.
Côté carburants, la raffinerie Esso-ExxonMobil de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) est à nouveau bloquée depuis vendredi après-midi, comme celle de TotalEnergies de Donges, près de Saint-Nazaire.
La CGT Energie a évoqué également de nouvelles coupures de courant volontaires et des grèves de gaziers dans l'ensemble des terminaux méthaniers et des stockages de gaz.
Côté transports, la SNCF prévoyait un trafic toujours "fortement perturbé" vendredi et le week-end.
Pour la RATP, le trafic sera normal samedi sur la plupart des lignes de métro parisien, seuls les RER A et B restant "perturbés", a annoncé la Régie.
Même si les blocages ne touchent pas tous les secteurs, la CPME, au nom des petites entreprises, a jugé "inadmissible" de "prétendre vouloir mettre la France à l’arrêt".