TROUSKAVETS : Serguiï Stafeïev se sent beaucoup mieux. Un an après avoir été grièvement blessé à la jambe gauche au second jour de l'invasion, ce parachutiste ukrainien veut absolument retourner sur le front pour repousser l'armada russe.
"Je dois rejoindre les gars rapidement... Combien de temps peut-on rester allongé comme ça?", maugrée à haute voix ce militaire, assis sur son lit à l'hôpital municipal de Trouskavets, dans l'Ouest du pays.
Serguiï fait partie des quelques dizaines de soldats soignés dans cette ville connue pour ses sources minérales et située au pied des Carpates et qui a commencé à accueillir les soldats amputés ou gravement blessés au printemps 2022.
Le parachutiste de 32 ans a été grièvement touché à la cuisse et la hanche gauche par l'explosion d'une mine près de Volnovakha, dans l'est, non loin de Marioupol, le 25 février 2022. Les médecins ont réussi à sauver sa jambe, après plusieurs opérations et des semaines de rééducation.
Un an après sa blessure, Serguiï, qui marchait "comme une mamie avec une déambulateur" vient tout juste d'abandonner ses béquilles, une étape importante.
En bonne voie, l'homme à la tête de mort et au parachute tatoué sur le bras souhaite "que tous les autres gars guérissent aussi".
La guerre n'est jamais vraiment loin, même si l'hôpital est à des centaines de kilomètres du front. Ainsi ce jour-là, le déjeuner est retardé car le camion de livraison a dû s'arrêter en
raison d'une alerte antiaérienne.
En attendant le repas, des patients travaillent à leur rééducation.
«Le temps guérit tout»
Parmi eux Ivan Lazar, 35 ans. Lui rêve la nuit de ses deux mains, depuis qu'il a perdu la droite lors de combats dans la région de Lougansk, dans l'Est.
"Je me réveille ensuite et je vois que ma main n'est plus là", dit-il, "c'est très difficile quand je fais un rêve".
Malgré le traumatisme, Ivan s'habitue à cette nouvelle réalité. Il a reçu récemment une prothèse amovible avec un crochet au bout, et effectue de petits gestes pour réapprendre à bouger son avant-bras.
"Vous pouvez voir que la prothèse est mauvaise, elle ne restaure pas la fonction de la main", constate-il, tout en réussissant à empiler et aligner de petits pavés de bois et à introduire une clé dans une serrure.
Le soldat se dit d'ailleurs plus chanceux que d'autres patients qui attendent encore leurs prothèses et ont subi des blessures plus handicapantes.
"Le temps guérit tout", dit finalement Ivan dans un timide sourire. "Au début vous passez outre le fait que vous n'avez plus de main. Puis vous voyez la prothèse (...) Cela vous énerve, puis vous acceptez votre sort".
Avant l'invasion russe, Pavlo Kozak, traumatologue dans cet hôpital, ne soignait que des civils. Comme beaucoup d'Ukrainiens, avec la guerre, il s'est adapté.
Avec son équipe, le médecin de 39 ans a appris petit à petit à traiter les blessés de guerre, notamment en lisant des manuels. Car au-delà des blessures physiques, il se consacre aussi au rétablissement mental des soldats, qui souffrent de séquelles psychologiques importantes.
"Il n'y a pas assez de psychologues pour tout le monde, c'est pourquoi il était nécessaire d'impliquer notre personnel médical, d'apprendre au personnel comment parler aux gars, comment les traiter", explique le médecin.
Son but: faire comprendre aux patients qu'ils sont "des éléments à part-entière de la société" et "qu'ils seront toujours des héros".
"La blessure, ce n'est rien. C'est du passé. Maintenant la vie continue", leur dit-il lors de ses conversations. "Il s'agit simplement d'une nouvelle étape".
Pavlo Kozak explique par exemple que de nombreux patients veulent retourner combattre, retourner à la "confrérie militaire", alors même qu'aller au front leur sera impossible.
"Eh bien, j'explique à la plupart des gars qu'ils feront d'excellents instructeurs (...) et ils peuvent apprendre beaucoup à des jeunes", poursuit-il.
Dans sa chambre, Serguiï Stafeïev, le parachutiste, ne se voit pas ailleurs qu'au front: "Je dois y retourner, je le veux, j'en ai marre, je veux retourner tirer".