ATHÈNES: « De toute évidence, très peu survivront ». Le regard dans le vide, assis seul, les bras ballants dans un petit théâtre d'Athènes, le comédien Yiannis Yiaramazidis a du mal à entrevoir une lumière au bout du confinement.
Avec ses petits théâtres fermés, ses concerts réduits au silence, ses tournées et productions indépendantes annulées, la scène artistique de Grèce, déjà fragilisée par une décennie de crise, se débat face aux restrictions imposées pour endiguer le coronavirus.
Yiannis Yiaramazidis s'inquiète surtout des « régulations votées pendant la pandémie, comme la légalisation du non-paiement par les producteurs des répétitions des acteurs ».
« Cela deviendra désormais la nouvelle norme », déplore le comédien de 36 ans. Il vient juste de terminer sa répétition en solo d'une pièce de théâtre tiré d'un roman de Franz Kafka.
La troupe espère pouvoir jouer en mars, mais le seul moyen d'y arriver en cette période de confinement est de prévoir des répétitions individuelles.
Une situation « vraiment bizarre » pour Yiannis Yiaramazidis, qui ramasse rapidement ses affaires pour laisser la place au prochain comédien.
Plutôt que de répéter par visioconférence, le metteur en scène Savvas Stroumpos a choisi de voir un comédien après l'autre dans le petit théâtre vide du centre d'Athènes. Il a aussi modifié certaines scènes qui exigeaient trop de promiscuité entre les acteurs.
La scène artistique grecque, comme l'économie du pays qui repose sur nombre de micro-entreprises, regroupe une multitude de mini-théâtres et de petites salles de concert indépendantes qui subissent de plein fouet les conséquences de la pandémie.
A terme, le coronavirus pourrait forcer les « petits » à baisser définitivement le rideau, transformant durablement la scène artistique grecque post-pandémie.
« La majorité de nos membres se débattent pour survivre, soit parce qu'ils n'ont reçu aucune aide de l'Etat, soit parce qu'ils touchent trop peu de toutes façons », explique Kostas Stavropoulos, secrétaire de l'Association panhellénique des musiciens.
Invisibles pour l'Etat
Sous-payés et sans assurance santé depuis une décennie de crise financière, la plupart des acteurs du monde de l'art et du spectacle en Grèce n'avaient pas de fiche de paie régulière bien avant la pandémie.
Faute de régulation du marché du travail depuis les plans de sauvetage de sortie de crise, nombre d'entre eux se retrouvent dans les limbes depuis l'apparition du coronavirus, invisibles pour l'Etat et inéligibles aux aides financières.
« La situation se détériore jour après jour », soupire Stavropoulos, « et les choses seront pires » à la fin du confinement.
Après le premier confinement du printemps, des centaines de salles ont été rayées de la carte de Grèce par la pandémie, et celles qui ont pu rouvrir l'ont fait dans des conditions précaires.
« Le gouvernement nous accuse ouvertement de travailler pour un maigre pécule ou sans assurance, mais la situation du marché du travail est héritée du sauvetage (financier de la Grèce) et n'est pas unique à notre secteur », explique Stavropoulos.
La ministre de la Culture Lina Medoni a expliqué que les artistes ne pourraient obtenir d'aide de l'Etat, car nombre d'entre eux travaillent dans « l'économie souterraine ».
« Ce qui me rend furieuse c'est que le gouvernement n'a rien fait pour nous préparer à une seconde vague », s'insurge Anna Lianopoulou, une actrice et danseuse de 34 ans, qui bataille pour boucler ses fins de mois avec une indemnité mensuelle de chômage de 360 euros.
« Tout ce qui les intéressait était de rouvrir au tourisme. Pour l'art, il n'y avait aucun plan », fustige la comédienne, dont le contrat dans un « escape room » n'a pas été renouvelé en mai.
Les petites salles de cinéma aussi sont sous « le choc » du confinement. D'autant que « le concept même de choisir de regarder un film dans un cinéma fermé deviendra très fragile, même quand nous reviendrons à la normalité », soutient Phaidon Moustakas, qui possède une salle dans le centre d'Athènes.
Son cinéma n'a vendu qu'une vingtaine de billets en trois semaines, avant le reconfinement, début novembre.
Savvas Stroumpos est « absolument convaincu que les gens retourneront au théâtre, ils en ont besoin ». Mais « en attendant, la politique agressive du gouvernement doit s'arrêter », fustige-t-il. « Un accord de branche doit être trouvé et le marché du travail doit être régulé ».