PARIS: La France doit impérativement reconstituer ses stocks de munitions et repenser sa stratégie en la matière, face aux enjeux posés notamment par le conflit ukrainien et la contestation de l'ordre mondial, selon les conclusions d'un rapport parlementaire.
Devenues, dans les décennies de paix de l'après chute du Mur, "une variable d'ajustement budgétaire", les munitions doivent désormais faire l'objet d'une politique guidée simultanément par l'urgence et les défis à venir, selon ce document co-rapporté par les députés Vincent Bru (Modem, Pyrénées-Atlantique) et Julien Rancoule (RN, Aude).
Car les munitions sont aussi longues à produire que rapides à s'épuiser. "Après des années de pénurie voire de léthargie, le contexte actuel suscite un sentiment d'urgence à reconstituer nos stocks", estime le rapport, réclamant pour autant "l'anticipation d'une stratégie de long terme".
La tâche est d'autant plus complexe que les enjeux diffèrent de la balle de fusil d'assaut au missile guidé en passant par l'obus moyenne portée. Mais quel que soit l'objet étudié, le rapport tire des comparaisons édifiantes avec la crise des masques au début de l'épidémie de covid-19.
L'exemple des masques
La pénurie de masques "met en lumière les limites de l'approche privilégiée depuis dix ans de suppression des stocks au profit d'un modèle d'approvisionnement en flux tendus", écrivent les auteurs.
Or, les stocks permettent "de faire face à un taux élevé d'attrition, caractéristique de la haute intensité" - la guerre majeure Etat contre Etat - anticipée par l'état-major français depuis les années 2010.
L'invasion de l'Ukraine par la Russie le 24 février 2022, archétype de cette haute intensité, a de facto confirmé le retour de ces affrontements entre puissances, avec une utilisation massive des munitions par les belligérants.
Et la France, comme ses alliés de l'Otan, absorbe depuis un an les énormes demandes de Kiev, tout en sauvegardant un stock opérationnel suffisant en cas d'agression directe.
Pour l'avenir, le rapport pose trois hypothèses de conflit: un engagement majeur de l'Otan, une guerre limitée à l'Europe dans lequel la France serait "automatiquement" nation-cadre, ou une attaque sur des territoires outremer avec en filigrane la crainte d'un affrontement avec la Chine en Indopacifique.
Trois scénarios, trois stratégies, qui interrogent sur l'arbitrage entre "rusticité et technologie". Autrement dit, entre matériel simple mais robuste et réparable sur le champ de bataille, et équipement sophistiqué, efficace mais bourré d'électronique donc exposé à une dégradation rapide.
Masse et technologie
Là aussi, le conflit en Ukraine a modifié les perceptions, notamment la stratégie de l'ex-armée rouge, capable d'absorber de lourdes pertes pour noyer son adversaire par la "masse".
Un cas d'espèce qui illustre "non pas le dilemme entre masse et technologie mais plutôt leur indispensable complémentarité", font valoir les auteurs, soulignant la coexistence côté ukrainien de "systèmes très anciens présents en grandes quantités (...), aux côtés d'autres systèmes beaucoup plus modernes mais en quantité plus réduite".
Le rapport préconise donc de "favoriser le panachage des munitions", en insistant sur la "masse".
Concernant le petit calibre, les députés rappellent que, notamment pour des questions de rentabilité, la fourniture des balles en France a été largement externalisée.
Ce choix, sur fond de dilemme entre rentabilité et souveraineté, est aujourd'hui fragilisé. "Ayant en tête l'épisode douloureux des masques arrachés sur les tarmacs des aéroports au plus fort de la crise sanitaire, les rapporteurs considèrent la dépendance totale envers les importations (...) comme incohérente".
Et suggèrent "une relocalisation de la filière du petit calibre au niveau français ou, à défaut, européen". Cette décision imposerait à l'Hexagone d'en devenir non seulement producteur mais exportateur, et aux entreprises de jouir de la "régularité des commandes étatiques".
Le rapport alerte enfin sur les approvisionnements critiques importés: aluminium, nickel, titane et palladium, mais aussi composants électroniques et semi-conducteurs, matériaux composites, poudres.
Avec là aussi, la nécessité de se préparer à des flux commerciaux réduits par une potentielle autre crise, avec son lot de partenariats qui s'affaiblissent et d'alliances qui se renversent.