PARIS: À la suite de sa visite en Arabie saoudite, les 1er et 2 février 2023, Mme Catherine Colonna, ministre française de l’Europe et des Affaires étrangères, fait le point pour Arab News en français sur l’évolution des liens qui unissent les deux pays, sur une scène régionale et internationale soumise à de fortes tensions.
Quelles sont vos impressions à la suite de votre visite en Arabie saoudite et de vos réunions avec les responsables saoudiens? Qu’en est-il ressorti?
C’était la première fois que je me rendais dans le Royaume en tant que ministre de l’Europe et des Affaires étrangères et j’ai été honorée d’avoir été reçue par le prince héritier, Mohammed ben Salmane. Nous avons eu des échanges riches, fondés sur la remarquable relation de confiance qui existe entre nos deux pays.
J’ai été aussi longuement reçue par Abdelaziz ben Salmane, ministre de l’Énergie. Nous avons signé ensemble un accord relatif à la coopération énergétique. Je me suis enfin entretenue avec mon homologue, le prince Faisal ben Farhane, ainsi qu’avec le ministre d’État, Adel al-Joubeir.
J’ai eu l’occasion de constater une grande convergence de vues avec tous mes interlocuteurs. Il y a constat fondamental qui est clair, et partagé: les troubles dans la région s’intensifient, et ils s’intensifient pour une large part sous l’impulsion de l’Iran, qui est dans une dynamique d’escalade, dans tous les domaines: le nucléaire bien sûr, mais aussi les missiles et leur prolifération vers des acteurs non étatiques, ou encore le soutien au terrorisme. L’Iran est engagé dans une large entreprise de déstabilisation de ses voisins. Nous assistons aussi à la prolifération de drones, vers les mêmes acteurs non étatiques, et aussi maintenant vers la Russie où ils sont utilisés pour mener des opérations constitutives de crimes de guerre, en Europe.
«J’ai réaffirmé avec force le soutien de la France à l’Arabie saoudite, que nous considérons comme une alliée et comme une puissance de stabilisation régionale.»
Face à cette menace croissante, j’ai réaffirmé avec force le soutien de la France à l’Arabie saoudite, que nous considérons comme une alliée et comme une puissance de stabilisation régionale. La France est résolument engagée pour contribuer à la sécurité et la stabilité de cette partie du monde. Ce ne sont pas que des mots: à l’occasion de mon déplacement, j’ai visité la base navale des Forces françaises aux Émirats arabes unis, qui abrite à Abu Dhabi plusieurs centaines de militaires français dans le cadre notamment de l’opération Emasoh. Nos militaires sont engagés notamment dans la surveillance du trafic maritime. Ils venaient d’opérer la saisine quelques jours plus tôt de dizaines de tonnes d’armements à destination des Houthis au Yémen. C’est un exemple parmi d’autres de notre action. Face à la menace, nous agissons, et nous continuerons à agir.
Par ailleurs, nous avons bien évidemment, dans le cadre du dialogue qui nous unit, évoqué la guerre d’agression russe en Ukraine et ses conséquences néfastes à l’échelle mondiale, en termes sécuritaires mais également énergétiques, économiques, alimentaires. Nous devons œuvrer conjointement à rétablir de la stabilité partout où les équilibres ont été rompus.
«Le Conseil de coopération du Golfe est une instance importante de coordination et de concertation, qui prouve que nos amis du Golfe sont capables de s’unir quand il en est besoin.»
J’ajoute que j’ai aussi eu l’opportunité de faire la connaissance du nouveau Secrétaire général du Conseil de coopération des États arabes du Golfe avec lequel nous partageons les mêmes objectifs de sécurité et de prospérité pour la région. Le Conseil de coopération du Golfe est une instance importante de coordination et de concertation, qui prouve que nos amis du Golfe sont capables de s’unir quand il en est besoin. Nous intensifierons à l’avenir le dialogue entre la France et le Conseil.
Vous me permettrez de mettre en avant également l’extraordinaire dynamisme de notre coopération culturelle avec l’Arabie saoudite. La France est devenue le principal partenaire du Royaume dans ce domaine, dont l’illustration la plus éclatante est le développement du site extraordinaire d’AlUla, avec l’Agence française Afalula. L’archéologie est un pilier ancien et connu de notre coopération, mais il n’est pas le seul: nous avançons pour élargir le partenariat aux musées, à la recherche, aux secteurs de la mode, du design, du cinéma. La Villa Hégra, projet qui avance rapidement, a vocation à devenir un grand centre culturel à l’échelle régionale, et constitue un autre exemple de cette coopération florissante, une coopération résolument tournée vers l’avenir.
«Vous me permettrez de mettre en avant également l’extraordinaire dynamisme de notre coopération culturelle avec l’Arabie saoudite. La France est devenue le principal partenaire du Royaume dans ce domaine, dont l’illustration la plus éclatante est le développement du site extraordinaire d’AlUla, avec l’Agence française Afalula.»
Nous poursuivrons activement ces échanges en vue de pouvoir mettre en place rapidement un partenariat stratégique, voulu par nos deux pays pour inscrire dans un cadre ambitieux tous les projets à venir.
Lors d’un entretien téléphonique avec votre homologue saoudien, le prince Faisal ben Farhane, en juin dernier, vous avez conjointement souhaité l’élargissement de la coopération dans les domaines de la sécurité et de la stabilité régionales. Quelles ont été les mesures ou initiatives entreprises en ce sens?
Comme je l’ai mentionné, l’Arabie saoudite a un rôle majeur à jouer en faveur de la sécurité et de la stabilité de la région, en tant que plus grand pays du Golfe.
«L’Arabie saoudite a un rôle majeur à jouer en faveur de la sécurité et de la stabilité de la région, en tant que plus grand pays du Golfe.»
Nous travaillons ensemble, à développer notre coopération bilatérale dans les domaines politiques et sécuritaires, notamment à travers une concertation renforcée afin de répondre aux crises qui traversent le monde, en particulier le Moyen-Orient. Tout d’abord, comme je l’ai dit, il y a une escalade menée par l’Iran, pays qui conduit des activités déstabilisatrices à travers la région. Nous sommes déterminés à y faire face ensemble.
Mais il y a plusieurs autres points de tensions qui augmentent les risques d’affrontement et d’instabilité dans la région: la montée des violences en Israël et dans les territoires palestiniens, la vacance du pouvoir persistante au Liban, l’instabilité et la volatilité de la situation au Yémen en l’absence de solution politique durable, ou encore la Syrie, qui reste un point majeur d’instabilité et donc de vigilance.
Dans ce contexte troublé, mon message a été clair: la France est fidèle à son engagement aux côtés de ses partenaires du Golfe et en faveur de leur sécurité, la France est un partenaire historique et de confiance. Nous avons prouvé au cours des années que le Golfe peut compter sur notre soutien.
«La France est fidèle à son engagement aux côtés de ses partenaires du Golfe et en faveur de leur sécurité, la France est un partenaire historique et de confiance. Nous avons prouvé au cours des années que le Golfe peut compter sur notre soutien.»
Afin de réduire les tensions, le dialogue est une voie qui fonctionne. La France ne ménage aucun effort pour favoriser le dialogue. C’est tout le sens de la Conférence de Bagdad 2 qui s’est tenue en décembre dernier, format de concertation inédit entre États de la région. Le potentiel de coopération entre les pays de la région est énorme. Il faut le matérialiser, le faire advenir. Il faut injecter de la coopération dans cette région troublée, au bénéfice de tous, et en premier lieu, au bénéfice des peuples de la région. Nous sommes en train de travailler à une troisième conférence en format de Bagdad, si possible cette année. Cela a fait partie des sujets de discussion avec mes hôtes en Arabie et aux Émirats.
Le visage de la société saoudienne a profondément changé depuis le lancement de la Vision 2030. Que pensez-vous des changements progressifs qui ont lieu dans le Royaume?
L’Arabie saoudite a engagé depuis cinq ans un vaste et ambitieux programme de réformes et de modernisation dans les secteurs économique, sociétal et culturel, dans le cadre de la Vision 2030 portée par le prince héritier, Mohammed ben Salmane. Dans cette nouvelle perspective, la France entend prendre toute sa place et souhaite accompagner sa mise en œuvre dans ses projets de transformation.
Je dois dire que la Vision 2030 est loin de n’être qu’une vision: j’ai été frappée par les changements profonds à l’œuvre en Arabie saoudite. En quelques années, Riyad a littéralement été transformée, et montre aujourd’hui au monde un visage résolument tourné vers l’avenir et ouvert à la coopération. Nous soutenons évidemment cette évolution, et sommes disponibles pour continuer à l’accompagner.
«J’ai été frappée par les changements profonds à l’œuvre en Arabie saoudite. En quelques années, Riyad a littéralement été transformée, et montre aujourd’hui au monde un visage résolument tourné vers l’avenir et ouvert à la coopération. Nous soutenons évidemment cette évolution, et sommes disponibles pour continuer à l’accompagner.»
L’Arabie saoudite et la France entretiennent une relation que nous pouvons qualifier d’«historique» et qui remonte à 1926. Comment décrivez-vous la relation actuelle entre Paris et Riyad?
Les relations entre nos deux pays sont en effet solides et anciennes. L’ouverture d’un poste consulaire français à Djeddah date de 1839, il s’agissait de la première mission diplomatique française dans la péninsule arabique. La France a par la suite été le premier Etat à reconnaître la souveraineté du roi Abdelaziz dès le mois de mars 1926. C’est sur cette confiance et cette amitié historique que prospère aujourd’hui une relation dynamique et plus que jamais tournée vers l’avenir.
Les relations bilatérales franco-saoudiennes sont en plein essor. Dans la continuité de la visite en France du prince héritier le 28 juillet 2022, les deux chefs d'État sont convenus de renforcer la coopération entre l'Arabie saoudite et la France dans tous les domaines. le prince héritier et le président de la République Emmanuel Macron se sont rencontrés à Djeddah, à Paris,, et récemment lors des sommets du G20 à Bali et de l’Apec à Bangkok. Ma visite à Riyad le 1er et 2 février, comme celles de mes collègues du gouvernement, Bruno Le Maire, à la fin de janvier, et Olivier Becht en décembre 2022, s’inscrivent pleinement dans ce cadre.
Nous avons pris l’engagement de nous revoir prochainement, et nous comptons continuer à nourrir activement cette excellente dynamique.