DUBAI: Khalifa al-Suwaidi enchaîne les candidatures mais peine à décrocher un emploi dans le secteur privé aux Emirats arabes unis, plus habitué à recruter des étrangers que des ressortissants comme lui. Au risque, bientôt, de se voir infliger une amende par les autorités voulant "émiratiser" les entreprises.
"Je postule à des offres depuis pas mal de temps, en vain", raconte à l'AFP ce chercheur en science politique.
Selon lui, les recruteurs mettent de côté son CV en supposant que, en tant qu'Emirati, ses prétentions salariales seront trop élevées, calquées sur les normes du public.
Les citoyens des Emirats, un des plus importants exportateurs de pétrole au monde, travaillent dans leur écrasante majorité dans le public. Ne représentant qu'environ un dixième d'une population de plus de neuf millions d'habitants, ils bénéficient des largesses de l'Etat, fort d'un PIB par habitant d'environ 45.000 euros en 2022, un chiffre similaire au Royaume-Uni et supérieur à la France, selon le Fonds monétaire international.
Quelque 90% de la main-d'oeuvre du secteur privé est actuellement constituée d'expatriés, selon l'Organisation internationale du travail, donc beaucoup de travailleurs pauvres venus d'Asie du Sud-Est et du sous-continent indien.
"Le secteur privé doit être plus ouvert aux Emiratis", estime Khalifa al-Suwaidi, 34 ans, qui regrette que les entreprises ne voient pas les "compétences et l'expertise" acquises par les Emiratis.
En réponse, le gouvernement, qui s'est doté d'un ministère de l'"Emiratisation" (du marché du travail), a décidé de frapper d'amendes, à partir de janvier, les entreprises de plus de 50 salariés si les Emiratis ne composent pas au moins 2% de leur personnel qualifié.
Objectif: que les Emiratis constituent 10% du secteur privé d'ici 2026.
Travailler plus, gagner moins
L'échéance du 1er janvier "sera difficile", prédit Hamza Zaouali, fondateur d'une agence de recrutement, qui estime toutefois que le secteur public ne "peut pas" continuer à embaucher à tour de bras.
Il faut "s'assurer que l'économie absorbe, forme et travaille de façon continue avec des Emiratis", dit cet expatrié français de Dubaï.
Le taux de chômage des Emiratis est inconnu mais il était de 4,2% en 2019 à Dubaï, carrefour économique du pays, contre 2,5% en 2012.
Les autorités affirment que les choses sont en train de changer et qu'en 2022, plus de 14.000 Emiratis sont entrés sur le marché du travail, une hausse importante, disent-elles.
Le gouvernement a par ailleurs annoncé en novembre une prime allant jusqu'à environ 1.800 euros si le salaire mensuel dans le privé est inférieur à 7.700 euros.
Ces politiques "s'inscrivent dans le cadre d'un mouvement plus large dans le Golfe, visant à modifier la dynamique des relations entre l'Etat et la société", affirme à l'AFP Eman Alhussein, chercheuse au centre de réflexion Arab Gulf States Institute.
"Les Etats du Golfe veulent que les citoyens revoient leurs attentes", observe cette spécialiste saoudienne, évoquant, à long terme, "plus d'heures de travail et peut-être des salaires moindres".
Préparer des sandwichs
Du côté des citoyens, le "mécontentement" couve depuis plusieurs années, affirme à l'AFP Mira Al Hussein, chercheuse émiratie à l'université d'Oxford.
Selon elle, il est de plus en plus difficile de trouver des postes dans la fonction publique mais aussi d'être propriétaire ou copropriétaire d'une entreprise, le gouvernement ayant autorisé en 2021 les étrangers à en détenir la totalité du capital (contre 49% maximum auparavant).
"Le tarissement de ces multiples sources (d'emplois) a réduit les options disponibles pour les Emiratis", explique Mira Al Hussein.
Dans un pays où les débats publics sont quasi inexistants, une campagne de la chaîne de restauration rapide Subway invitant les Emiratis à devenir préparateurs de sandwichs, a provoqué l'indignation de nombre d'entre eux sur les réseaux sociaux, poussant même les autorités à ouvrir une enquête.
"Le manque d'emplois dans l'administration, la finance ou les professions techniques a mené au métier de +préparateur de sandwichs+ (...) Ah, quelle époque!", a commenté un internaute sur Twitter.