PARIS: L'émotion provoquée en France par l'assassinat de trois Kurdes à Paris vendredi est "légitime" car liée à une question politique "qui n'est pas résolue", explique à l'AFP Boris James, maître de conférences à l'Université Paul-Valéry de Montpellier.
Selon lui, la communauté kurde de France reste fortement marquée par l'attentat en 2013 contre trois militantes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), ennemi juré de la Turquie considéré comme "terroriste" par Ankara comme par l'Union européenne.
Mais l'agression raciste de vendredi mis à part, c'est plus ce parti que la communauté kurde elle-même qui est objectivement ciblé par la Turquie du président Recep Tayyip Erdogan.
AFP: Le triple assassinat de vendredi semble pour l’instant une affaire de racisme isolé. Pourquoi l'émotion est-elle si grande chez les Kurdes de France ?
Boris James: L’émotion est tout à fait légitime pour beaucoup de raisons, notamment une atmosphère générale autour des Kurdes, une question politique qui n’est pas résolue. Ces violences qui ont pu être exercées dans le monde sur des individus de la communauté kurde se poursuivent. Le problème de la représentation politique et culturelle des Kurdes à l’échelle mondiale a pu susciter de la violence de la part des États centraux du Moyen-Orient - Turquie, Iran, Irak et Syrie. Quand on nait kurde, on vit avec cette idée que le fait de parler kurde, jouer de la musique kurde, avoir une vie communautaire kurde, fait qu’on est menacé pour ce que l'on est.
La communauté kurde en France semble en majorité d'origine turque, plus que des trois autres pays où ils sont aussi implantés. Est-ce le cas ?
Démographiquement, c’est clair. La majorité des Kurdes vivent en Turquie et les Kurdes qui se retrouvent en Europe en général et en France en particulier sont essentiellement venus de Turquie pour toutes sortes de raisons politiques et économiques.
En quoi l’assassinat de trois militants du PKK en 2013 est-il un marqueur fort ?
Il y a évidemment un parallèle vite établi entre l'événement de vendredi dernier et 2013, où on parle cette fois clairement d’une possible implication de l'extrême droite turque et des services de sécurité turcs. On n’a pas fait toute la lumière sur cet attentat et une partie du dossier est sous le sceau du secret défense dans le cadre d’une instruction qui n'aboutira pas complètement puisque le suspect est mort. Est-ce que les juges d’instruction anti-terroristes saisis depuis iront jusqu’au bout ? Le secret défense est là probablement pour contrôler ce qui va sortir de cette affaire.
Les Kurdes de France sont-ils réellement en danger ?
Je n’irai pas jusque-là. Il faut distinguer des événements liés à des gens agités, des nationalistes turcs qui peuvent vouloir en venir aux mains à certains moments, mais qui sont quantifiables, voire contrôlables, en tout cas j’ose l’espérer. Il y a forcément des effets de repli communautaire, de racisme. Mais en 2013, c'est autre chose : il y a un montage extrêmement complexe qui vise essentiellement non pas les Kurdes comme une communauté, mais une organisation kurde, le PKK. Le but était de le décapiter. On peut parler en revanche d’une forme de fusion entre les intérêts nationaux de l’État turc et ce que l’extrême droite turque se représente. Ce sont des discours, voire des actions qui se rejoignent.
Quand Ankara convoque l’ambassadeur de France en Turquie, de quoi s’agit-il ?
Erdogan fait un peu de politique intérieure. Il continue de raconter que la question kurde n’est qu’une affaire de terrorisme et non de construction politique de la Turquie contemporaine. Sur le plan de la relation bilatérale avec Paris, Emmanuel Macron est dans la position de l’épouvantail un peu facile. Il représente l'Occident sans être aussi puissant que les États-Unis. Sa relation avec Erdogan est polluée par de multiples dossiers, la Méditerranée orientale, l’Otan, l’Union européenne, la Syrie etc… Le tout alors que le bilan intérieur d’Erdogan est marqué par une inflation galopante et une économie en berne.