NEW-YORK : Laisser parler les experts, faire preuve de transparence, voire changer de nom: pour convaincre les passagers réticents à l'idée de prendre place dans un avion qui s'est écrasé deux fois en cinq mois en faisant 346 morts, les compagnies aériennes et Boeing marchent sur des oeufs.
« Je n'ai pas envie d'être un cobaye, j'attendrai probablement deux à trois ans avant de voler sur un MAX », affirme Gabriel Contassot, un passionné d'aviation qui regarde toujours quel appareil est proposé avant d'acheter un billet.
« L'idée de voler dans un avion dont on a simplement corrigé le logiciel me fait un peu flipper », ajoute-t-il. Il n'a pas beaucoup plus confiance en Boeing ou en l'agence de l'aviation américaine (FAA) qui a autorisé l'appareil à voler.
Sur les réseaux sociaux, les réactions aux articles annonçant la remise en service du 737 MAX sont souvent du même acabit.
« Beaucoup de clients seront au début hésitants à l'idée de voler sur un 737 MAX », estime Henry Harteveldt, spécialiste de l'industrie du voyage.
Les grandes compagnies américaines ont assuré qu'elles joueraient carte sur table: les clients devant voyager sur l'appareil seront explicitement prévenus.
American Airlines, qui a prévu de remettre l'appareil dans son programme de vol dès fin décembre si la FAA le permettait, veut restaurer la confiance en organisant des vols pour les membres d'équipage et en proposant aux entreprises et agences de voyage travaillant habituellement avec la compagnie de visiter l'appareil et de parler avec ses experts.
Boeing, sur son site internet, propose une vidéo expliquant les modifications apportées au MCAS, le logiciel de vol mis en cause dans les deux accidents.
Le constructeur comme les compagnies attendent toutefois les décisions des régulateurs pour dévoiler leur stratégie de communication.
La période n'est par ailleurs pas propice à une grande campagne sur la sécurité aérienne, au moment où le Covid-19 revient en force aussi bien en Europe qu'aux Etats-Unis.
Toute opération de promotion est aussi délicate car elle peut avoir pour effet de raviver la mémoire des accidents et de 346 vies perdues.
Confiance des pilotes
Mais le temps passant, les craintes devraient s'estomper, prédisent les analystes.
« Rappelez-vous du DC 10, qui a connu plusieurs accidents tragiques dans les années 1970 », souligne M. Harteveldt. « McDonnell Douglas, qui fabriquait l'appareil, a procédé à de nombreux changements (...) et le DC 10 a finalement volé pendant environ 45 ans sans problème majeur lié à l'avion lui-même. Quand il a été retiré du service, des gens en ont pleuré ».
Paradoxalement, la pandémie peut aider.
Beaucoup de voyageurs ont actuellement peur de prendre l'avion tout court et le trafic a été beaucoup réduit.
Quand il reviendra à la normale, le 737 MAX aura engrangé six mois à un an de vol sans accident, les passagers seront rassurés et ne prêteront plus attention au nom de l'appareil, avancent plusieurs analystes.
Boeing pour l'instant conserve le nom, mais fait aussi régulièrement référence aux divers appareils de la famille en utilisant leur désignation officielle: 737-7, 737-8 ou 737-9.
La compagnie doit-elle complètement abandonner le terme MAX? Les avis divergent.
Depuis son arrivée à la tête de Boeing en janvier, David Calhoun « a répété que la confiance et la transparence étaient ce dont avait besoin l'entreprise pour regagner des clients », souligne Michael Eisen, analyste pour RBC Capital Markets.
« D'un point de vue marketing, un changement de nom pourrait aider, mais cela irait à l'encontre du message de l'entreprise », ajoute-t-il. « Il serait sans doute plus judicieux de dire: "c'est encore le MAX, on l'a réparé et voici pourquoi il s'agit de l'appareil le plus sûr" ».
Richard Aboulafia, de Teal Group Corporation, ne serait pas étonné pour sa part de voir l'épithète MAX disparaitre progressivement.
« En dehors des spécialistes du secteur, il y a peu de gens qui distinguent vraiment les 737 NG des 737 MAX », remarque-t-il.
Même son de cloche chez Michel Merluzeau, du cabinet AIR: « 90% des passagers ne savent pas dans quel avion ils mettent les pieds, les gens achètent surtout en fonction du prix, des horaires ou de la fréquence ».
Le capitaine Jon Weaks, président du syndicat des pilotes de Southwest, est pleinement confiant dans l'appareil.
« Nous faisons notre propre analyse », explique-t-il à l'AFP. « Si les passagers sont encore hésitants, ils doivent se rappeler que nous mettons nos familles et nos amis dans ces avions que nous pilotons. Si l'un d'entre nous est aux manettes, tout va bien se passer. »