PARIS: En politique, les pronostics sont encore parfois plus hasardeux qu'en sport. Emmanuel Macron l'a appris à ses dépens, et sait probablement qu'un très hypothétique sursaut de popularité pourrait n'être qu'éphémère en cas de victoire des Bleus dimanche au Mondial.
15 juillet 2018. Le chef de l’État célèbre en Russie, avec les joueurs de l'équipe de France, la Coupe du Monde qu'ils viennent de gagner.
Les observateurs spéculent sur les bienfaits politiques de ce succès, entre regain d'optimisme des Français et une polémique sur la parade au rabais du bus à impériale de Mbappé & Co. le lendemain, sur les Champs-Élysées.
18 juillet 2018. L'affaire Benalla éclate, plongeant Emmanuel Macron dans des abysses d'impopularité.
Quatre ans plus tard, juste avant Noël, des images de liesse seraient bienvenues dans une atmosphère plombée par la guerre en Ukraine, la crise énergétique et l'inflation.
Si les Bleus ramènent la Coupe, cela va créer "un peu d'enthousiasme dans le pays" et "réhausser l'image de la France au niveau international", estime Pascal Boniface, directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).
"Ce sera positif" pour Macron qui sera "le seul président à pouvoir dire qu'il a mené l'équipe de France à deux victoires en Coupe du monde", dit-il à l'AFP. Aucun mérite sportif certes, mais il "aura accompagné l'équipe de France au moment où elle réalise un doublé historique", poursuit cet expert des liens entre ballon rond et géopolitique, relevant que le chef de l’État, supporteur de l'Olympique de Marseille, est "un vrai passionné de football".
Pour Pascal Boniface, c'est donc à la fois "faux de dire que ça n'a pas d'impact" et "illusoire de penser que cela va tout changer".
Éphémère
Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l'université Paris 2, souligne, lui, qu'une troisième étoile mondiale sur le maillot français pourrait "enclencher un tout petit mouvement temporaire de sympathie, un petit effet drapeau, mais c'est l’affaire d'un mois".
D'autant que le début de l'année pourrait vite faire déchanter l'opinion, avec la réforme des retraites et une mobilisation sociale attendue, sur fond de possibles coupures d'électricité et de hausse des prix de l'énergie.
Selon plusieurs économistes interrogés par l'AFP, hormis un effet ponctuel sur les achats de téléviseurs, le Mondial ne devrait guère avoir de retombée flagrante sur la consommation ou le moral des ménages.
Avant même la finale, les oppositions ont en outre lancé une polémique sur l'attitude d'Emmanuel Macron qui, malgré les controverses sur les droits humains au Qatar et l'impact environnemental de la compétition en plein désert, a dit "assumer totalement" ses déplacements à Doha et salué l'organisation de la compétition par le pays hôte.
Des propos qui ont créé la controverse, d'autant que l'émirat est au même moment impliqué dans un retentissant scandale présumé de corruption au cœur du Parlement européen.
L'exception Chirac
Quoi qu'il en soit, l'agenda présidentiel devrait limiter toute velléité de récupération politique: le chef de l’État embraiera dès lundi avec le traditionnel Noël auprès des troupes françaises à l'étranger, sur le porte-avions Charles-de-Gaulle, au large de l’Égypte, avant de se rendre en Jordanie pour un sommet régional.
Il sera absent de Paris quand les Bleus rapportent la coupe, s'ils gagnent. Les joueurs devant ensuite rapidement partir en vacances, aucune réception n'est prévue à ce stade à l’Élysée, contrairement à 2018.
Et contrairement à 1998, quand un autre président, Jacques Chirac, avait, lui, tiré bénéfice de la première victoire de cette France "Black, Blanc, Beur".
"1998 est une exception colossale", souligne Frédéric Dabi, directeur général de l'institut de sondages Ifop. A l'époque, le chef de l’État avait gagné 18 points entre mai et août, "ce qui est énorme", pour atteindre 62% de personnes satisfaites.
Mais la compétition se déroulait dans l'Hexagone. Jacques Chirac, en cohabitation avec un gouvernement de gauche, était "protégé du mécontentement des Français", et, alors qu'il "n'y connaissait rien au foot, ses qualités de proximité et d'empathie avaient joué à plein".
En dehors de cet épisode, selon le sondeur, "les Français font la part des choses, ils décorrèlent complètement le bon parcours de l'équipe de France et l'impact sur l'image du président de la République".