BRUXELLES: Le Parlement européen était sous le choc lundi, contraint de réagir fortement après l'incarcération de l'élue grecque Eva Kaili, une vice-présidente, inculpée pour corruption dans une affaire liée au Qatar qui menace de ternir l'image de l'institution.
Mme Kaili et trois autres personnes ont été écrouées dimanche à Bruxelles, deux jours après avoir été interpellées dans le cadre d'une enquête visant d'importants versements d'argent qu'aurait effectués le pays organisateur du Mondial-2022 pour influencer la politique européenne.
"Ces allégations sont extrêmement préoccupantes. C'est une question de confiance dans les personnes au coeur de nos institutions", a réagi la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, rappelant avoir proposé la création d'une "autorité indépendante" sur les questions d'éthique.
La présidente du Parlement, la Maltaise Roberta Metsola, devrait s'exprimer à 17H00 (16H00 GMT), à l'ouverture de la session plénière mensuelle rassemblant tous les eurodéputés à Strasbourg (France).
Une réunion des présidents de groupes politiques a été convoquée pour évoquer cette enquête judiciaire belge dévoilée vendredi, selon deux sources au sein du Parlement européen.
Eva Kaili n'a pas bénéficié de son immunité parlementaire car l'infraction a été constatée "en flagrant délit", a expliqué une source judiciaire belge, en précisant que des "sacs de billets" ont été découverts dans l'appartement de l'élue socialiste grecque.
La chambre du conseil devra se prononcer sur son maintien en détention, comme sur celui des trois autres personnes écrouées, dans un délai de cinq jours.
«Autorité indépendante»
Doha a démenti de son côté être impliqué dans des tentatives de corruption. "Toute allégation de mauvaise conduite de la part de l'Etat du Qatar relève d'informations gravement erronées", a affirmé samedi un responsable du gouvernement qatari.
Le Parlement européen est en tout cas ébranlé.
"Il va falloir muscler en urgence notre institution pour lutter contre le poison de la corruption", a réclamé l'eurodéputée française Aurore Lalucq, membre du deuxième groupe politique du Parlement, les Socialistes et démocrates (S&D, gauche) dont Eva Kaili a été suspendue dès ce week-end.
L'ordre du jour de cette dernière session plénière de 2022 risque d'être bouleversé par le scandale et le débat prévu mercredi sur "la défense des démocraties contre l'ingérence étrangère" promet d'être agité.
Face au "pire scandale de corruption de l'histoire" du Parlement européen, l'élue française Manon Aubry (La France Insoumise), co-présidente du groupe de la gauche radicale, a "exigé la démission de la vice-présidente prise la main dans le sac, l'organisation d'un débat avec résolution et l'ouverture immédiate d'une commission d'enquête sur les défaillances du Parlement dans cette affaire".
"Il s'agit vraiment d'un incident incroyable qui doit maintenant être élucidé sans équivoque et avec toute la rigueur de la loi", a réagi la ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock, avant une réunion avec ses homologues à Bruxelles.
La cheffe de la diplomatie française, Catherine Colonna, a elle aussi souhaité que "toute la lumière soit faite" sur cette affaire "qui semble être particulièrement grave".
Soupçons de corruption: «la démocratie européenne est attaquée», selon la présidente du Parlement européen
"La démocratie européenne est attaquée", a affirmé lundi la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, exprimant "fureur, colère et tristesse".
"Il n'y aura aucune impunité (...) rien ne sera mis sous le tapis", a-t-elle promis dans l'hémicycle de Strasbourg, en annonçant une "enquête interne" pour examiner tous les faits liés au Parlement européen et faire en sorte que l'institution se réforme.
Mme Metsola s'est montrée très affectée, évoquant "des jours parmi les plus longs de sa carrière".
Mais elle s'est dit convaincue que le Parlement européen sortirait plus fort de la crise.
"Ces acteurs malveillants, liés à des pays tiers autocratiques, ont apparemment utilisé des ONG, des syndicats, des individus, des assistants et des députés européens comme des armes dans le but de soumettre nos processus. Leurs plans malveillants ont échoué", a-t-elle affirmé.
"Nos services, dont je suis incroyablement fière, travaillent avec les autorités judiciaires et policières nationales compétentes pour démanteler ce réseau criminel présumé", a-t-elle dit.
"Nous allons lancer un processus de réforme pour voir qui a accès à nos locaux, comment ces organisations, ONG et personnes sont financées, quels liens ils entretiennent avec des pays tiers, nous demanderons plus de transparence sur les réunions avec des acteurs étrangers", a promis Mme Metsola.
La présidente du Parlement européen souhaite également mieux protéger les lanceurs d'alerte.
"Nous protégerons ceux qui nous aident à dénoncer la criminalité et je m'emploierai à examiner nos systèmes de dénonciation pour voir comment ils peuvent être renforcés", a-t-elle déclaré.
Avoirs d'Eva Kaili gelés
Eva Kaili a été exclue dès vendredi soir du parti socialiste grec (Pasok-Kinal) dont elle était déjà une figure controversée. Ses avoirs ont été gelés lundi par l'Autorité grecque de lutte contre le blanchiment d'argent.
Le Parlement européen compte quatorze vice-présidents issus de différents groupes politiques.
Eva Kaili s'était vue samedi soir retirer toutes les tâches déléguées par la présidente Roberta Metsola dont celle de la représenter dans la région Moyen-Orient.
En cas de "faute grave", les responsables des groupes politiques peuvent, à une majorité de trois cinquièmes, proposer au Parlement de mettre fin à la fonction d'un vice-président. Les eurodéputés doivent ensuite voter cette proposition à une majorité des deux tiers des suffrages exprimés.
En 2011, le Parlement européen avait été secoué par un autre scandale quand trois eurodéputés et anciens ministres - roumain, autrichien et slovène -, avaient été piégés par des journalistes de l'hebdomadaire Sunday Times se faisant passer pour des lobbyistes. Ils avaient accepté de déposer des amendements sur des projets de loi européens, en particulier dans le secteur bancaire, en échange de rémunérations allant jusqu'à 100 000 euros.
Ils ont tous trois été condamnés par la justice de leur pays à des peines allant de deux ans et demi à quatre ans de prison ferme.
Corruption: Orban se moque des déboires du Parlement européen
Le Premier ministre hongrois Viktor Orban se frottait les mains lundi devant le scandale de corruption qui frappe le Parlement européen, toujours prompt à dénoncer les atteintes à l'Etat de droit dans ce pays d'Europe centrale.
"Bonjour au Parlement européen!", a-t-il lancé sur son compte Twitter.
"Et là, ils ont dit qu'ils étaient vivement préoccupés par la corruption en Hongrie", a-t-il ironisé, dans un message accompagné d'une photo de 1981 où l'on voit les anciens présidents américains Ronald Reagan et George Bush rire aux éclats.