PARIS : Il était monté dans le train Thalys Amsterdam-Paris armé d'une kalachnikov avec près de 300 munitions: au premier jour de son procès devant une cour d'assises spéciale, le Marocain Ayoub El Khazzani a reconnu lundi qu'il comptait commettre un attentat avant d'être maîtrisé par des passagers.
« Vous reconnaissez l'ensemble des faits ? », lui demande le président en début d'après-midi. « Oui, l'ensemble », répond Ayoub El Khazzani, 31 ans, chemise en jean bleue ouverte sur un t-shirt blanc, cheveux noirs attachés en petit chignon.
Pendant la matinée, le président de la Cour est longuement revenu sur la journée du 21 août 2015 et la préparation de cet attentat, piloté par le coordinateur des attentats du 13 novembre de la même année à Paris, Abdelhamid Abaaoud, avec qui El Khazzani était arrivé en Europe depuis la Turquie.
A bord d'un train Thalys Amsterdam-Paris, El Khazzani était sorti des toilettes, torse nu, kalachnikov en bandoulière, après avoir écouté un chant djihadiste sur son téléphone et vérifié que sa caméra marchait bien, pour diffuser une vidéo de l'attaque comme le lui avait demandé Abaaoud, rappelle le président.
Il avait tiré au pistolet sur un passager qui lui avait arraché sa kalachnikov, le blessant gravement, avant d'être maîtrisé par d'autres, dont deux militaires Américains en vacances. Aux enquêteurs, il avait expliqué que ses cibles désignées étaient les Américains uniquement, assurant qu'il savait qu'ils étaient militaires malgré leur tenue de vacanciers.
« Vous reconnaissez les faits pour l'ensemble, pas seulement pour les Américains ? », insiste le président, visiblement étonné.
« Oui, oui », répond El Khazzani, qui tient à s'exprimer en français, ne faisant appel aux interprètes que ponctuellement.
Interrogé pendant l'après-midi sur son parcours avant l'attentat, il a raconté son enfance au sein d'une fratrie de six au Maroc, où son père tenait un club d'athlétisme, avant d'émigrer en Espagne.
El Khazzani, 18 ans, se met à consommer de la cocaïne et vendre de la drogue à Madrid, et est arrêté plusieurs fois. Il découvre ensuite la religion via son frère aîné, qui sera expulsé d'Espagne « pour des propos virulents anti-Occident », souligne le président.
« Un autre monde »
Le jeune homme vivra ensuite de petits boulots en Espagne, puis rejoindra la France début 2014, et la Belgique.
En mai 2015, il décide de rejoindre l'État islamique en Syrie. Sur plusieurs points, sa version change par rapport aux précédentes, collant désormais à celle des enquêteurs. Non, il n'a pas dormi dans la rue à Bruxelles avant de partir en Syrie : il était chez sa sœur.
« Pourquoi aviez-vous menti ? », demande plusieurs fois le président. « J'étais dans un autre monde, j'ai menti sur tout », dit-il en balayant l'air de la main.
Plus tard, le président l'interroge sur ses relations avec ses trois co-accusés.
Bilal Chatra, qui avait joué le rôle d'éclaireur sur la route des migrants entre la Turquie et l'Allemagne pour El Khazzani et Abaaoud, venu piloter la cellule djihadiste depuis la Belgique ? « C'est pas un ami, à la base on ne se connaît pas », dit El Khazzani.
Redouane El Amrani Ezzerrifi, accusé de l'avoir aidé à passer de Turquie en Grèce ? « Jamais croisé ».
Et Mohamed Bakkali, le logisticien présumé des attentats du 13-Novembre, accusé d'avoir convoyé Abaaoud, El Khazzani et Chatra, ce qu'il conteste ? « Jamais vu ».
Selon les enquêteurs, l'attaque du Thalys s'inscrit dans une série d'attaques djihadistes projetées depuis la Syrie et coordonnées par Abaouud : celle, avortée, contre une église de Villejuif, en région parisienne, perpétrée en avril 2015 par Sid-Ahmed Ghlam, récemment condamné à la réclusion à perpétuité, les attentats de novembre de la même année à Paris puis ceux du 22 mars 2016 à Bruxelles.
Les jeunes Américains aujourd'hui ex-militaires de 28 ans, célébrés à l'époque en héros et qui avaient joué leur propre rôle dans un film de Clint Eastwood, seront entendus à partir de jeudi. L'audition en visioconférence du réalisateur américain de 90 ans, prévue pour lundi prochain, reste à confirmer.
Le procès, qui doit durer jusqu'au 17 décembre, s'ouvre dans un contexte de forte menace terroriste en France après trois attentats successifs en un mois.