ATHÈNES : L'auteur à succès de polars Petros Markaris brosse dans ses œuvres le portrait sévère d'une Grèce en crise avec elle-même et confrontée à ses démons: corruption, fraude fiscale et nationalisme.
«L'intrigue policière dans un polar n'est qu'un prétexte pour raconter une société», assure d'emblée cet octogénaire volubile qui reçoit l'AFP dans son appartement rempli de livres d'un quartier populaire d'Athènes.
Fin observateur de la société grecque, M. Markaris, édité dans une dizaine de langues, souhaite ainsi «comprendre comment, pourquoi et quelles sont les raisons pour lesquelles la société grecque est telle qu'elle est aujourd'hui».
Pour son traducteur en français, Michel Volkovitch, l'écrivain, qui fut le scénariste du réalisateur grec Theo Angelopoulos, décrit la Grèce «de façon pédagogique».
«Il donne une image fidèle de la société grecque pendant la crise, mais aussi celle d'une famille grecque moyenne: celle de Charitos (le commissaire présent dans toutes ses enquêtes, ndlr), qui est centrale dans ses livres», explique le traducteur.
«Il nous glisse dans leurs problèmes du quotidien, dans l'incertitude de la crise. C'est ce qui les rend attachants».
Kostas Charitos, policier haut en couleurs qui mène l'enquête en parcourant Athènes dans tous les sens, est le personnage principal de la «trilogie de la crise» qui a propulsé l'écrivain sur le devant de la scène.
- Corruption, népotisme -
Ses intrigues policières efficaces font apparaître les problèmes de corruption, de népotisme, d'évasion fiscale qui rongent la Grèce, mais aussi l'ascension durant les années de crise (2008-2018) du parti néo-nazi Aube dorée qui s'en est pris à des étrangers.
Sa dizaine de romans policiers a été traduite en 13 langues, y compris en français et en allemand.
Diogenes Verlag, son éditeur en allemand à Zurich, a indiqué à l'AFP que cette trilogie s'était vendue à plus de 270.000 exemplaires dans les pays germanophones.
Le vieil homme s'inquiète pour son pays qui se remet à peine d'une grave crise financière et d'une cure d'austérité draconienne durant lesquelles il a perdu un quart de son PIB.
«Alors même que la population de la Grèce a pu se remettre un peu des effets de la crise, la pandémie et la guerre en Ukraine l'ont fragilisée à nouveau. La Grèce n'a pas eu de chance», poursuit-il.
L'inflation à plus de 9% en octobre après six mois au-dessus de 10% et la flambée des prix de l'énergie font souffrir la population alors que le souvenir de la crise financière, l'une des pires de la turbulente histoire grecque, reste une plaie ouverte.
«A voir ce qu'il se passe en Grande-Bretagne et en Italie, la Grèce n'est finalement pas le pire exemple européen!», nuance toutefois M. Markaris, 85 ans.
L'Italie a récemment élu un gouvernement d'extrême-droite, alors qu'au Royaume-Uni, secoué par le Brexit et ses remous politiques, plus de la moitié de la population souffre des prix élevés de l'énergie et de la nourriture.
Pour lui, les Grecs, qui étaient massivement descendus dans les rues pour manifester leur opposition aux mesures d'austérité durant la crise, n'ont «plus autant l'envie de revendiquer un meilleur avenir» qu'avant.
- Littérature allemande -
Né à Istanbul, de père arménien et de mère grecque, Petros Markaris est arrivé à Athènes en 1964 avant de partir étudier à Vienne et Stuttgart, où il tombe amoureux de la littérature allemande.
Plus tard, c'est lui qui introduira les grands écrivains allemands auprès des Grecs avec ses traductions des œuvres de Bertolt Brecht et de Goethe.
Mais Petros Markaris est surtout connu pour avoir été le scénariste de Theo Angelopoulos pour plusieurs de ses films, dont «L'éternité et un jour», Palme d'or du festival de Cannes en 1998.
En Grèce, il fut aussi le scénariste d'une série policière très populaire.
«Les contacts que j'ai pu établir à cette époque avec le monde de la police grecque m'ont inspiré pour le commissaire Charitos», se souvient l'écrivain.
N'ayant pas vécu en Grèce l'occupation allemande entre 1941 et 1944 ou la guerre civile grecque de l'immédiat après-guerre, M. Markaris considère qu'il a un point de vue «objectif et sans préjugés de la Grèce».
«Je n'ai pas de traumatismes ni d'expériences personnelles qui influencent mon point de vue. Je vois et décrit la Grèce comme je l'ai connue lorsque j'y suis arrivé», assure-t-il.