LYON: Trois ans après s'être immolé devant le Crous de Lyon, Anas Kournif dit avoir repris "une vie normale" de jeune étudiant militant, malgré de très graves séquelles.
Vêtu d'habits noirs camouflant son corps couvert de cicatrices, et équipé d'une prothèse futuriste à la main droite, le jeune de 25 ans boit un Perrier rondelle dans une guinguette lyonnaise après une manifestation organisée pour la journée de grève interprofessionnelle du 18 octobre.
"C'est important pour moi, je participe toujours à ce genre d'événements", confie-t-il à l'AFP en relevant ses lunettes rondes qui ne cessent de glisser sur son nez rongé par les brûlures.
Très actif depuis ses 15 ans dans la mouvance socialiste, Anas demeure, pour certains, un symbole de la détresse qu'affrontent parfois les jeunes étudiants.
Le 8 novembre 2019 à 14H50, il décide de se donner la mort dans un geste spectaculaire.
"Je suis allé chercher un jerrycan à la station d'à côté, j'ai versé cinq litres d'essence dedans, je me les suis foutus sur la tête et j'ai allumé le feu avec une sorte de briquet-torche", lâche-t- il d'un ton neutre pour dédramatiser son acte qui l'a laissé brûlé au troisième degré, à plus de 75%.
Pourquoi? "Car rien n'allait": burn-out dû à ses intenses activités syndicales en parallèle de ses études, difficultés financières liées à la perte de sa bourse pour avoir échoué trois fois en deuxième année de licence, comportement "très" dépressif aggravé selon lui par une hypothyroïdie...
"J'étais à bout", confie le franco-marocain né à Saint-Étienne. Il cherchait une "manière choc de le montrer" et "quand tu es tout seul, tu as deux options: les assassinats ou les tentatives de suicides en public".
Il écrit alors un "testament politique" pour mettre en avant "les problèmes auxquels les étudiants sont confrontés" et dire "aux gens de continuer de lutter", quand bien même il "décidai(t) d'arrêter".
"Son geste a mis le sujet de la précarité étudiante dans le débat public", estime Magalie, 22 ans, son amie depuis 2018, en insistant sur "la détresse psychologique liée à (leurs) conditions de vie".
"Les études c'est de la survie pour certains étudiants et Anas en a fait les frais. Cette précarité, il l'aura marquée dans sa chair à vie et heureusement qu'il est toujours là pour en parler", ajoute l'étudiante en sociologie à Lyon 2.
«Un enfer»: à Lyon, la galère des étudiants pour se loger
Peu d'offres, loyers exorbitants, appartements insalubres... Trouver un logement à Lyon, une des villes les plus attractives en France, a été "un enfer" pour de nombreux étudiants pour leur rentrée en septembre, certains restant à ce jour sans logement fixe.
"Depuis juillet, je me balade avec ma valise, j'erre chez des amis, j'ai même essayé de trouver un Airbnb mais c'est trop cher et les auberges de jeunesse sont complètes", confie à l'AFP Titouan, un jeune breton de 21 ans, en transit entre deux sous-locations provisoires.
Cette situation "m'empêche d'étudier car au lieu d'aller à la bibliothèque pour travailler mes cours le midi, je visite des appartements", déplore l'étudiant en troisième année dans une école de management.
Petit à petit, Titouan a dû revoir ses critères, dont son budget pour le loyer, qui est passé de 400 à "plus" de 500 euros.
L'immobilier est devenu "très cher" pour les étudiants, notamment car "certains bailleurs ne respectent pas l'encadrement des loyers", mis en place depuis fin 2021 à Lyon et Villeurbanne, pour agir contre les loyers excessifs et contenir les hausses abusives, selon le Comité Local pour le Logement Autonome des Jeunes (CLLAJ) de Lyon, qui suit de près cette "galère".
Selon une récente enquête de l'Unef (Union nationale des étudiants de France) Lyon, la capitale des Gaules est devenue la deuxième ville universitaire la plus chère, derrière Paris, pour louer un studio dans le privé avec en moyenne 600 euros par mois.
Pour la rentrée 2022-2023, "la hausse de loyers pour un studio est de 2,76%, soit bien supérieure à la moyenne nationale", alors que le logement représente déjà 57% du budget mensuel d'un étudiant, alerte l'Union.
- Souris, cafards, puces de lit -
Pour s'en sortir, Rosalie, 22 ans, a choisi la colocation. Elle a "abandonné l'idée de partir en vacances avec (ses) parents cet été pour visiter des appartements", passé "six heures par jour sur les sites d'annonces" et trouvé un appartement assez central pour 540 euros par mois. "Une bonne affaire", selon elle.
"Le seul problème, c'est que j'ai des souris", raconte l'étudiante en management. Mais "j'ai décidé de vivre avec parce que je n'ai pas envie de recommencer à chercher".
Laura Jeannelle, 18 ans, subit elle aussi la présence de souris. Cette étudiante en première année de langues étrangères appliquées a "honte d'inviter qui que ce soit" et n'a "plus de vie sociale".
"Le dératiseur m'a dit +comment on peut vous louer ça? Il y a des trous partout, la seule solution pour vous, c'est de partir+", raconte-t-elle.
De plus en plus d'étudiants se retrouvent dans des "logements insalubres", selon l'Unef Lyon. Les logements du Crous (Centre régional des œuvres universitaires et scolaires) destinés aux étudiants boursiers, avec des loyers de 255 euros à 500 pour un T1, ont également pointés du doigt.
"Ça a été la douche froide en arrivant sur les lieux", souffle Sophie, 20 ans, logée dans un studio du Crous de Saint-Exupéry pour 500 euros. Douche encrassée et bouchée, WC dysfonctionnels, pas d'eau froide et radiateur cassé, énumère-t-elle.
"J'étais contente de partir de chez mes parents mais là je me suis dit +dans quoi je mets les pieds+?", poursuit cette étudiante en troisième année de licence géographie aménagement. D'autres résidents du Crous se sont plaints auprès de l'AFP de moisissures, cafards, punaises de lit et blattes.
Ces dysfonctionnements sont liés à un problème de "travail mal fait et de matériaux inadaptés", se défend Christian Chazal, le directeur général du Crous de Lyon, "en procès" avec le constructeur de la résidence Saint-Exupéry.
Face à la "forte pression du fait du problème de l'offre de logements", le Crous de Lyon qui gère 42 résidences, soit 9.600 logements -sur un parc national de 175.000- prévoit de construire 2.700 logements d'ici 2026 dans l'académie.
Au niveau national, les 60.000 nouveaux logements annoncés dans le plan lancé par l'État en 2021 sont "en cours de construction", selon le ministère de la Recherche et de l'Enseignement supérieur.
«Vivre ma vie»
Après avoir été "sauvé" par Kevin, "un mec du chantier d'à côté" qui a pris un extincteur pour éteindre les flammes, s'ensuivent la douleur des brûlures, cinq mois de coma artificiel, trois mois de soins continus, le tout ponctué d'opérations - entre 30 et 45 selon lui, "peut-être même plus", hésite Anas.
Il sort de centre de rééducation le 30 avril 2021, pour pouvoir manifester le 1er mai. "Il le fallait, c'était beaucoup trop symbolique. J'ai fait la +manif+, j'avais mal aux pieds car je suis amputé totalement d'un orteil et partiellement de trois autres, mais il n'y a pas eu de problème", assure-t-il.
Aujourd'hui étudiant en L3 en sciences politiques à Lyon 2, ses convictions n'ont pas changé, "sauf sur le handicap", nuance celui qui est redevenu boursier et qui touche désormais l'allocation aux adultes handicapés (AAH).
"Quand on a su qu'il allait revenir, on s'est rapidement organisé pour l'aider à retrouver au mieux une vie d'étudiant et lui donner le plus de chances possibles de réussir dans son projet de formation", témoigne Nathalie Dompnier, présidente de l'université Lumière, évoquant un aménagement des examens de fin d'année, des cours adaptés à ses rendez-vous médicaux et un accompagnement de la mission handicap.
"Je vis une vie normale d'étudiant", confirme Anas, malgré les séquelles.
"Le regard des gens, ça peut être un peu difficile. Dans le métro, ils ont tendance à ne pas s'asseoir à côté de moi", raconte-t-il.
Mais "je n'ai pas laissé ce truc m'abattre et si je m'en suis sorti c'est pour faire quelque chose et vivre ma vie", insiste celui qui se dirige vers le concours d'inspecteur des douanes après un master et qui aimerait créer son propre syndicat et parti politique.