Amnesty a affirmé jeudi que de nombreux civils avaient été tués lors d'un « massacre » perpétré selon des témoins par des forces loyales au parti au pouvoir dans la région éthiopienne du Tigré, où une opération militaire lancée par le pouvoir fédéral a poussé plus de 11.000 personnes à fuir au Soudan voisin.
C'est la première fois qu'un grand nombre de décès civils est rapporté depuis le début, le 4 novembre, de ce conflit qui oppose le gouvernement du Premier ministre Abiy Ahmed au Front de libération des Peuples du Tigré (TPLF), le parti au pouvoir dans cette région dissidente du nord du pays.
M. Abiy affirme avoir lancé cette intervention pour rétablir des « institutions légitimes » au Tigré, après des mois de défiance envers le pouvoir central et une attaque par les forces du TPLF de deux bases de l'armée éthiopienne, ce que ce dernier dément.
« Amnesty International peut aujourd'hui confirmer que de nombreuses personnes, probablement des centaines, ont été poignardées ou tuées à la hache dans la ville de Mai-Kadra (May Cadera), dans la zone sud-ouest de la région éthiopienne du Tigré, dans la nuit du 9 novembre », indique l'organisation dans un communiqué.
L'ONG précise ne pas avoir été en mesure d'identifier elle-même les responsables mais a parlé à des témoins selon lesquels des forces loyales au TPLF étaient à l'origine de ce « meurtre de masse ».
Plus tôt jeudi, M. Abiy, prix Nobel de la paix en 2019, a assuré que l'armée avait « libéré » la zone du Tigré occidental, l'une des six zones administratives que compte la région, en plus de la « capitale » régionale Mekele, située dans l'Est.
M. Abiy a également affirmé que l'armée avait pris le contrôle de la localité de Sheraro, dans la zone administrative voisine.
Le blackout sur les communications dans la région et les restrictions aux déplacements des journalistes rendent difficiles la vérification indépendante des informations.
Si l'étendue des combats et leur bilan sont pour l'heure inconnus, l'armée éthiopienne a affirmé avoir mené plusieurs raids aériens sur des objectifs militaires, notamment « des dépôts d'armes et de carburants ».
La télévision officielle tigréenne a affirmé de son côté que 10.000 soldats de l'armée éthiopienne ont été capturés et que des villes qui étaient « aux mains » du pouvoir ont été reprises.
- Don du sang -
A Addis Abeba, 242 personnes accusées de « complot » au profit du TPLF ont été arrêtées et ces derniers jours « 18 grenades et bombes (...) 174 armes à feu et 4.000 munitions » saisies, a annoncé jeudi à la télévision publique EBC le chef de la police de la capitale fédérale, Getu Argaw.
Le même média a également déclaré que des mandats d'arrêt avaient été lancés contre « 64 individus recherchés pour mise en danger de l'existence du pays », parmi lesquels figure notamment Debretsion Gebremichael, le président du Tigré.
Répondant à l'appel des autorités, soucieuses d'afficher le soutien de la population à l'opération militaire en cours, des centaines d'habitants de la capitale ont commencé jeudi à donner leur sang.
Se pliant à l'exercice, la maire d'Addis Abeba, Adanech Abebe, a affirmé que la population éthiopienne - une mosaïque ethnique - faisait front uni contre le TPLF, parti de la minorité tigréenne (6% des plus de 100 millions d'Ethiopiens). Un soutien difficile à évaluer.
Mais la toute-puissance du TPLF durant les presque 30 ans passés aux commandes des structures politiques et sécuritaires en Ethiopie a créé un fort ressentiment à son égard, notamment au sein des deux principales ethnies du pays, les Oromo et Amhara.
- « Civils pris entre deux feux » -
L'ONU a réclamé jeudi aux autorités éthiopiennes et régionales un « plein accès » humanitaire dans la région du Tigré et que la sécurité soit assurée pour les civils fuyant les combats.
Près de 11.000 Ethiopiens ont franchi la frontière avec le Soudan pour fuir les combats, selon l'agence soudanaise chargée des réfugiés.
Selon un photographe de l'AFP dans la région soudanaise de Hamdaït, frontalière avec l'Ethiopie, les réfugiés, pour la plupart des femmes, des jeunes et des enfants, arrivent en vélo, en rickshaw - un tricycle motorisé ou non -, mais surtout à pied, et semblent totalement épuisés.
Des centaines de personnes attendaient encore côté éthiopien de la frontière de pouvoir traverser la rivière séparant les deux pays. Face à cet afflux, les autorités soudanaises ont rouvert jeudi un camp ayant accueilli dans les années 1980 ceux fuyant la famine en Ethiopie.