WASHINGTON: Dans les mélodrames qui accompagnent parfois les élections américaines, le premier rôle revient souvent à une actrice anonyme: la machine à voter. Reviendra-t-elle semer la controverse aux législatives mardi? En tout cas, les républicains radicaux la descendent déjà en flammes.
Ces républicains, amateurs de scénarios complotistes, prônent un retour au bon vieux comptage manuel des bulletins même si, selon les experts, celui-ci génère davantage d'erreurs et de délais lors du dépouillement.
Au moins deux comtés ruraux, chacun dans un Etat électoralement pivot - l'Arizona et le Nevada, ont récemment autorisé le comptage manuel des suffrages. Ils ont justifié leur décision par la défiance suscitée localement par les urnes électroniques.
Cette mesure prise dans le comté de Cochise et le comté de Nye s'inscrit dans un contexte de défiance alimentée depuis 2020 par les accusations infondées d'une fraude généralisée à la présidentielle, émanant du camp de Donald Trump.
L'ex-président républicain et ses alliés ont en particulier critiqué les matériels de vote utilisés pour enregistrer et compter les voix, en affirmant notamment que des logiciels avaient été conçus à l'étranger.
Rage contre les machines
Mais passer au comptage manuel n'est pas anodin et exige du temps, expliquent les spécialistes qui s'inquiètent d'un risque accru d'imbroglios.
"Ces changements de dernière minute dans le Nevada et l'Arizona instaurent des conditions chaotiques qui favorisent les erreurs et sapent la confiance, notamment car c'est plus compliqué pour le public de surveiller", assure à l'AFP Pamela Smith, présidente de l'organisation apolitique Verified Voting.
La branche du Nevada de l'American Civil Liberties Union, grande organisation américaine de défense des libertés, a la semaine dernière assigné en justice le comté de Nye, dans l'espoir de le voir revenir sur sa décision de comptage manuel.
L'offensive républicaine anti-machines à voter dépasse cependant largement les frontières de ces deux comtés.
Kari Lake, la candidate républicaine au poste de gouverneur de l'Arizona, a engagé une action devant la justice fédérale pour que l'Etat écarte les machines tabulatrices, "potentiellement non sécurisées" et qui selon elle "privent les électeurs de leur droit d'avoir leur vote compté et enregistré selon un processus exact, vérifiable, légal et transparent".
Mme Lake n'a pas fourni de preuves étayant ces accusations et a été déboutée. Elle a fait appel.
Les recherches sur le sujet semblent lui donner tort: par exemple, une étude publiée en 2018 dans l'Election Law Journal, portant notamment sur l'élection de 2016 dans l'Etat du Wisconsin, a montré que les comptages électroniques "étaient, dans l'ensemble, davantage exacts".
Crainte de l'imbroglio
"Les machines de comptage fournissent exactitude, efficacité et rapidité au processus de traitement des voix", souligne également Gregory Miller, cofondateur de l'organisation OSET Institute. Selon lui, le comptage manuel fait planer le risque d'un "chaos provoqué".
Regrettant d'être régulièrement éreintées publiquement, des entreprises spécialisées dans les opérations de vote ont déposé une série de plaintes en diffamation contre des militants pro-Trump et des médias conservateurs.
Parmi ces sociétés, Dominion Voting System, qui avait fourni des machines à voter à une grosse vingtaine d'Etats pour l'élection de 2020, a assigné Fox News en justice, exigeant 1,7 milliard de dollars de dommages-intérêts. Dominion a affirmé que la désinformation "virale" à son encontre avait "gravement nui" à ses activités autrefois florissantes et que ses employés avaient "été suivis, harcelés, et fait l'objet de menaces de mort".
A quelques jours seulement du 8 novembre, les inquiétudes se renforcent en tout cas. "Il existe un risque grave que l'élection dégénère en des revendications incalculables de la part de négateurs et de ceux qui cherchent à instiller la crainte, l'incertitude et le doute", avertit M. Miller.
"Il est possible que les résultats des élections de mi-mandat ne soient pas établis avant des mois", a-t-il ajouté.
Aux Etats-Unis, personne n'a oublié le gigantesque imbroglio du comptage des voix en Floride lors de la présidentielle de 2000, qui opposait le républicain George W. Bush au démocrate Al Gore.
Au coeur de la polémique se trouvaient des machines souvent anciennes, utilisées pour lire des fiches perforées, dont les trous avaient parfois été mal percés.