DUBAI: Joe Biden est membre du Comité sénatorial américain des relations étrangères depuis longtemps, mais la place exacte de la politique étrangère dans la liste des priorités du président américain reste nébuleuse.
De nombreux analystes estiment que si le Moyen-Orient n'est sans doute pas la principale préoccupation de l'administration démocrate pour le moment, les États-Unis n'ont aucun intérêt à renoncer à la région.
Les experts qui ont participé à une session intitulée «Les élections américaines: le retour de la concurrence internationale au Moyen-Orient» anticipent un changement dans les relations entre les États-Unis et le monde arabe.
La table ronde virtuelle de lundi, animée par Ebtesam Al-Ketbi, présidente du Centre des politiques des Émirats, fait partie du septième débat stratégique d'Abou Dhabi.
«Le Moyen-Orient n'est pas une grande priorité pour cette nouvelle administration», a déclaré Paul Salem, président de l’Institut du Moyen-Orient. «Les États-Unis traversent la pire pandémie depuis un siècle, et la pire récession économique depuis la Grande crise des années 1930. La politique étrangère du Moyen-Orient n’a pas été évoqué dans les élections et le public américain n’est pas du tout intéressé par ce sujet».
Il a affirmé que l'administration Biden s’est attachée principalement aux problèmes nationaux et les questions de politique étrangère impliquant la pandémie, le changement climatique, la reprise économique ou même la concurrence avec la Russie et la Chine.
Attirant l’attention sur la première visite à l'étranger du président Donald Trump, et qui avait eu lieu à Riyad, une ville du Moyen-Orient, Salem a déclaré: «Tout cela ne sera pas le cas dans une nouvelle administration Biden».
Ses opinions ont été reprises par Steven Cook, Eni Enrico Mattei membre principal au Conseil des relations extérieures pour les études sur le Moyen-Orient et l'Afrique, qui a déclaré qu'il faudrait six mois ou plus à l'administration Biden pour «étoffer» son approche à l’égard des différents conflits des pays du Moyen-Orient.
Il a déclaré que la première destination de Biden serait probablement le Canada, suivie de l’Europe. «La grande question est de savoir si nous verrons une continuité ou un réel changement dans la politique étrangère américaine au Moyen-Orient», a révélé Cook.
«La tendance la plus probable est de voir beaucoup plus de continuité dans les relations relatives à la région, malgré les revirements importants de la politique étrangère américaine d’une administration à une autre ces dernières années».
En ce qui concerne l'Iran, Cook s'attend à un passage de la «pression maximale» à un réengagement avec la République islamique et à des efforts pour reprendre ou renégocier le Plan d'action global conjoint de 2015, communément appelé l'accord nucléaire iranien.
«C'est un changement très important par rapport au président Trump», a déclaré Cook. «C’est une éventualité à laquelle doivent se préparer les leaders de l’autre côté du Golfe, car ce sera à mon avis au cœur de la politique de l’administration Biden au Moyen-Orient».
FAITS MARQUANTS
Débat stratégique d'Abu Dhabi
- C’est le 7e Débat Stratégique d’Abou Dhabi, qui a a lieu les 9, 10 et 11 novembre.
- Les sujets principaux sont la Covid-19, les élections américaines et l’accord EAU-Israël.
- Les discussions organisées via Zoom sont diffusées en direct sur les réseaux sociaux.
Tout a fait d’accord avec le point de vue de Cook, Salem a confirmé que Biden chercherait probablement à renforcer l’accord nucléaire et à engager des négociations sur la défense antimissile sans oublier «l’ingérence» de l’Iran dans les pays de la région. «Ce dont Biden peut bénéficier, c'est que Trump lui a laissé beaucoup de pression sur l'Iran», a-t-il déclaré.
«Il y a tellement de sanctions qui ne seraient pas annulées avec le retour de l'accord nucléaire, et l’administration Biden pourrait utiliser ce point de pression diplomatique avec l'Iran pour obtenir un meilleur résultat qu'il y a quelques années».
Quant aux alliés de Washington dans le Golfe, il prévoit différents types de relations, sans la cordialité personnelle qui existait sous Trump. Il croit que les leaders de la région et l’équipe de Biden devraient comprendre la dynamique de ces relations. «Mais il ne fait aucun doute que le partenariat économique, énergétique, sécuritaire et politique avec les principaux pays du Golfe se ne sera pas énormément affecté», a déclaré Salem.
Cook a décrit la relation américano-saoudienne comme importante, mais qui devrait être institutionnalisée et soumise à un processus de politique étrangère mieux adapté aux États-Unis.
En termes de comportement des démocrates vis-à-vis du Royaume, il anticipe un changement de ton. Cela dit, il ne pas prévoit pas que Biden entreprenne de vrais changements de politique alors que les États-Unis font face à une pandémie mondiale, à la pire situation économique depuis les années 1930, à des problèmes raciaux et, surtout, dans un contexte où la population est profondément divisée.
«Les dossiers les plus importants sur le bureau du président concernant les affaires internes suggère le Moyen-Orient n’est certainement pas la priorité», a ajouté Cook.
D’après William Wechsler, directeur des programmes au Centre Rafik Hariri et du programme du Moyen-Orient au Conseil de l'Atlantique, la victoire de Biden profitera à la région car un deuxième mandat de Trump aurait, à coup sûr, accéléré la dynamique d'un retrait américain de la région.
«Biden est, au fond, un internationaliste, un institutionnaliste issu d'une génération plus ancienne qui considère que les intérêts des États-Unis résident dans le Golfe et le Moyen-Orient, dans une vision plus élargie», a-t-il déclaré. «Et c’est ainsi qu’il abordera, sans aucun doute, ces problèmes».
Cependant, en raison de cette perception répandue du retrait américain, Wechsler prévoit que de nombreux autres pays entreront dans un nouveau vide, la Chine étant une grande réalité économique dans la région. Bien que la Chine ne fasse pas encore partie de la géopolitique du Moyen-Orient, il pense vraiment que la situation finira par changer.
«Vous avez trois acteurs non arabes importants, la Russie, l'Iran et la Turquie, qui prennent autant de place dans ce vide autant qu'ils ne le peuvent», a déclaré Wechsler. «Avant, toute tentative de ces acteurs de s'implanter dans la région avait affaire aux puissances arabes traditionnelles au Caire, à Damas et à Bagdad. Malheureusement, aucun de ces pôles n'est en mesure à présent de fournir un leadership de ce calibre. Il reste donc une coalition croissante de pays qui n’ont jamais été de grands acteurs géopolitiques dans la région, et c’est bien sûr, les pays du Golfe et Israëlcapables de bloquer le mouvement (des acteurs non arabes)».
Suggérant qu'une administration Biden serait «sage» d'encourager ce phénomène, Wechsler a répond par l’affirmative.
Les États-Unis ne vont pas se retirer du Moyen-Orient en raison de leurs intérêts, mais plutôt pour se rééquilibrer; les hydrocarbures restant une composante énergétique importante du futur proche. «Les États-Unis n'abandonneront sûrement pas le contrôle de cette région à l'Iran ou à la Chine», a déclaré Salem.
«L’accent mis sur les armes de destruction massive est un problème du XXIe siècle que les États-Unis ne peuvent pas tolérer. De même que le problème du terrorisme reste le principal problème de sécurité nationale. Washington a une présence militaire, économique, diplomatique et politique primordiale au Moyen-Orient, ils sont solidement ancrés ici et n’iront nulle part».
Wechsler verrait un retrait potentiel des États-Unis de la région comme un «désastre total», mais estime que Biden est le meilleur candidat pour ce problème grâce à son expérience de plusieurs décennies. C'est une chance inespérée pour les habitants de la région, surtout dans le Golfe», a-t-il affirmé.
«Les pays du Golfe devraient tenter d’établir une formule de coexistence avec l'administration Biden, rééquilibrer les rôles et les responsabilités pour protéger nos intérêts communs dans la région, et tenter de projeter nos valeurs communes. Ces arguments ont plus de poids chez Biden que chez Trump, et ils aménageraient le terrain pour une nouvelle philosophie du rôle américain dans la région, et pour longtemps».
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com