BAGDAD: Ni nouveau gouvernement ni budget. Un an après des législatives anticipées organisées en réponse à une contestation populaire, l'Irak a manqué son rendez-vous avec le changement, et la paralysie politique entrave réformes et grands projets d'infrastructures.
Riche en hydrocarbures mais ravagé par des décennies de conflits, le pays a pourtant engrangé cette année des revenus faramineux grâce aux exportations pétrolières. Mais ces richesses dorment dans les caisses de la Banque centrale, où les réserves en devises étrangères ont atteint 87 milliards de dollars.
Car pour investir cet argent, il faudrait un nouveau gouvernement capable de présenter au Parlement un budget, une prérogative que n'a pas l'actuel Premier ministre, Moustafa al-Kazimi, chargé depuis un an de gérer les affaires courantes.
"Tout projet d'infrastructure exige du gouvernement des années de planification financière", dit l'économiste Yesar Al-Maleki. "La situation politique a provoqué une perturbation massive, qui a aggravé la mauvaise réputation de l'Irak auprès des investisseurs".
Depuis les législatives organisées le 10 octobre 2021, en vue de calmer le soulèvement antipouvoir de fin 2019, les barons de la politique n'ont pas réussi à faire élire un nouveau président ni à désigner un Premier ministre.
En filigrane, un bras de fer entre les deux grands pôles de la communauté musulmane chiite, majoritaire en Irak.
D'un côté, l'imprévisible Moqtada Sadr réclame une dissolution du Parlement et des législatives anticipées.
De l'autre, le Cadre de coordination, une alliance de factions chiites pro-Iran incluant les ex-paramilitaires du Hachd al-Chaabi, veut un nouveau gouvernement avant tout scrutin.
«Extrêmement volatile»
L'épreuve de force a atteint son comble le 29 août, quand plus de 30 partisans sadristes ont été tués dans des combats contre l'armée et le Hachd al-Chaabi, intégré aux troupes régulières en 2017.
"La situation reste extrêmement volatile", a déploré devant le Conseil de sécurité l'émissaire de l'ONU en Irak, Jeanine Hennis-Plasschaert: "Trop d'Irakiens ont perdu confiance en la capacité de la classe politique à agir dans l'intérêt du pays".
Si la Banque mondiale (BM) salue des projections prévoyant une croissance économique annuelle moyenne de 5,4% entre 2022 et 2024, elle rappelle les défis à surmonter.
"Plus de retard dans la formation du gouvernement et la ratification du budget 2022 pourraient limiter l'utilisation des recettes pétrolières exceptionnelles (...) tandis que de nouveaux projets d'investissements sont suspendus", selon la BM.
Sans budget 2022, le gouvernement applique les dispositions du budget 2021, établi sur un prix du baril bien plus bas qu'il ne l'est actuellement, soit des dépenses publiques plus restreintes.
Pour parer aux dépenses indispensables, le Parlement a voté en juin une loi fourre-tout sur des financements d'urgence d'un montant de 17 milliards de dollars, permettant notamment l'achat de gaz et d'électricité à l'étranger ou de céréales pour garantir la "sécurité alimentaire".
Ce colmatage "ne permet pas de créer des opportunités de croissance économique et prive (l'Irak) de grands projets stratégiques", explique Mazhar Saleh, conseiller financier du Premier ministre, déplorant "des opportunités perdues".
«Il y a de l'or»
A l'approche de 2023, les autorités pourraient être tentées d'adopter une autre loi de financements d'urgence.
De fait, plusieurs projets lancés par le ministère du Pétrole et des entreprises étrangères pour garantir le torchage du gaz des champs pétroliers "progressent lentement", reconnaît M. Maleki.
En 2021, l'Irak a signé un contrat de 10 milliards de dollars avec TotalEnergies, englobant des installations de récupération du gaz torché et la construction d'une centrale électrique solaire.
Financé en partie par les autorités, ce projet en est à ses débuts. "Le gouvernement s'emploie à lever les obstacles", d'après une source proche du dossier.
Après sa démission en août 2022, l'ex-ministre des Finances, Ali Allawi, qui avait préparé un plan de réformes jamais concrétisé, n'a pas mâché ses mots.
"Les programmes du gouvernement se sont toujours heurtés à la nécessité d'obtenir un accord d'une classe politique fracturée. Tous les appels à la réforme sont contrecarrés par le système politique".
En attendant, dans cet Irak de 42 millions d'habitants, près de quatre jeunes sur dix sont au chômage. Un tiers de la population vit dans la pauvreté, selon l'ONU.
Pour dénoncer la classe politique, le militaire à la retraite Amine Salmane a participé aux manifestations marquant début octobre le 3e anniversaire du soulèvement de 2019.
Le sexagénaire touche une retraite de 274 dollars par mois. Ses deux fils sont au chômage. "Il y a des milliards en Irak, il y a de l'or. Mais les politiciens ne se préoccupent que de leurs poches et de leurs partis."