MARSEILLE: L'éviction vendredi du patron de la police judiciaire pour le sud de la France, au lendemain d'une action de ses troupes contre la réforme de la PJ, a suscité l'indignation générale d'une institution habituellement taiseuse, faisant descendre des centaines de policiers dans la rue.
Eric Arella pilotait depuis sept ans les enquêtes sur la grande criminalité, et notamment sur le narcobanditisme, de Perpignan à Nice en passant par la Corse et Marseille.
"C'est une honte, on lui fait porter le chapeau. Il a toujours été loyal", a indiqué à l'AFP une source de la PJ à Marseille, le syndicat des commissaires s'insurgeant lui contre une "décision brutale et injuste".
"Politique de la terreur", pour un commissaire de police judiciaire en région parisienne, "dictature" pour un enquêteur à Bordeaux, "république bananière", pour le vice-président de l'Association nationale de la police judiciaire (ANPJ), à Lille: les qualificatifs traduisent la colère des policiers.
Pour le syndicat Alternative police, "un cap a été franchi et une réelle fracture s'est produite" entre la PJ et le patron de la police nationale, Frédéric Veaux.
Même stupeur côté justice, où l'Association française des magistrats instructeurs (Afmi) a regretté un "mode de gestion autoritariste", tandis que la Conférence nationale des procureurs a exprimé "sa plus grande préoccupation" concernant la réforme envisagée.
Le limogeage de M. Arella a été confirmé à l'AFP par la direction générale de la police nationale (DGPN): "Comme pour toute réforme, (...) il peut y avoir des désaccords. Mais une telle déloyauté n'est pas acceptable", indiquait-on dans l'entourage de son directeur, M. Veaux, qui n'a visiblement pas apprécié sa réception jeudi à Marseille.
A sa sortie de réunion, dans une ambiance glaciale, il avait été contraint de fendre une haie de quelque 200 policiers opposés à la réforme, bras croisés et silencieux, selon une vidéo transmise à l'AFP jeudi.
Face à une fronde désormais d'ampleur nationale, Frédéric Veaux a d'ailleurs décidé, a-t-on appris dans son entourage, de reporter son déplacement prévu à la PJ de Versailles le 17 octobre. Le même jour, plusieurs appels à manifester ont été lancés par les policiers.
«Je suis PJ»
Dès l'annonce du départ d'Eric Arella, vendredi, des centaines d'officiers ont manifesté leur colère vendredi. A Marseille, ils étaient environ 200 à crier des "bravo", "merci patron" au passage de sa voiture.
Une centaine de policiers à Nice, Montpellier ou Versailles, avec des affiches "Je suis PJ" ou "Je suis Arella" pour certains, 80 à Bordeaux, 70 à Toulouse, des dizaines à Strasbourg, Lille ou Nantes. La colère était généralisée, comme à Nanterre, devant le siège de l'office central de la PJ, où des dizaines d'enquêteurs ont entonné la Marseillaise.
"Les résultats à Marseille sont mauvais, avec des niveaux records d'homicides, alors que les effectifs ont été considérablement renforcés", justifiait-on vendredi dans l'entourage de la DGPN.
Depuis le début de l'année, 25 personnes sont mortes par balles dans les Bouches-du-Rhône dans des dossiers liés au trafic de drogue, selon la préfecture de police. Autant que sur toute l'année 2021.
À Marseille fin juin, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin était pourtant laudatif: "Ici, 60% de ces règlements de comptes sont résolus, (...) un chiffre extrêmement positif puisque, en France, on résout à peu près 30% des tentatives d'homicides".
Une certitude: la réforme de la PJ, portée par Gérald Darmanin et Frédéric Veaux, suscite une énorme réticence.
Le projet prévoit de placer tous les services de police d'un département – renseignement, sécurité publique, police aux frontières (PAF) et PJ – sous l'autorité d'un seul directeur départemental de la police nationale (DDPN), dépendant du préfet.
"Si on demande à des enquêteurs de la PJ de prendre en charge des dossiers qui relèvent de la sécurité publique, on ne sera plus en mesure de faire notre boulot", s'inquiétait vendredi à Toulouse un membre de l'ANPJ. Caroline, cheffe d'une section criminelle à Versailles, a peur "de traiter des rodéos urbains plutôt que des affaires criminelles."
"Cette réforme (...) expose nos concitoyens au crime organisé et aux cartels", selon Thomas, porte-parole de l'ANPJ à Marseille.
"Il y a des difficultés d'organisation dans la police, mais à la PJ ça fonctionne", analyse Jean-Baptiste Perrier, professeur en droit privé et sciences criminelles à l'Université d'Aix-Marseille, en soulignant le caractère exceptionnel de cette mobilisation: "ce sont plutôt des taiseux".
M. Arella sera remplacé par Dominique Abbenanti, actuellement attaché de sécurité à Alger, a-t-on précisé à la DGPN. Eric Arella, lui, sera chargé de mission à la DGPN.