PARIS: Les déboires de Credit suisse, ébranlé par une série de scandales et dont la valeur en Bourse a été divisée par trois en un an et demi, ravivent le spectre de la première victime d'importance de la crise financière de 2008-2009, la banque américaine Lehman Brothers.
Le Comité européen du risque systémique (CERS), rattaché à la BCE, a lancé fin septembre à la finance européenne un avertissement sans précédent depuis plus de dix ans. Il appelle les banques à se "préparer" à des "scénarios de risques extrêmes" plus probables qu'en début d'année.
Pas de panique, répondent les experts. Selon eux, la deuxième banque helvète et le système bancaire européen dans son ensemble sont mieux armés qu'à l'époque pour faire face à une crise.
Credit Suisse va racheter jusqu'à 3 milliards CHF de titres de créances
La banque Credit Suisse, secouée par des scandales à répétition, compte racheter des titres de créances pour un montant allant jusqu'à environ 3 milliards de francs suisses (une somme équivalente en euros), annonce-t-elle vendredi.
La banque va faire une offre en numéraire sur huit titres de créances sénior libellés en euro ou en livre sterling pour un montant de 1 milliard d'euros, indique-elle dans un communiqué.
Séparément, elle va également faire une offre sur douze titres libellés en dollar pour un montant agrégé allant jusqu'à 2 milliards de dollars.
Ces deux offres, soumises à conditions, courent jusqu'au 3 et 10 novembre, précise-telle.
La banque entend ainsi "profiter des conditions de marché pour racheter de la dette à des prix attrayants", précise-t-elle dans un communiqué.
Credit Suisse est au centre d'intenses rumeurs concernant les projets de son nouveau directeur général pour redresser la banque après des scandales à répétition.
Pourquoi Credit suisse inquiète?
En laissant couler Lehman Brothers en 2008, l'administration Bush espérait faire un exemple, sans en avoir mesuré toutes les conséquences.
La faillite de l'établissement a ainsi laissé penser aux acteurs du marchés que d'autres établissements pouvaient suivre, accentuant les difficultés et nécessitant l'intervention de nombreux Etats. La holding belgo-néerlandaise Fortis a ainsi été démantelée, la filiale belge passant sous le contrôle du français BNP Paribas.
Surtout de nombreux autres établissements, considérés comme "too big to fail" (trop gros pour faire faillite) ont dû être secourus en urgence, au risque d'un effondrement complet du système financier. L'assureur américain IAG ou la banque franco-belge Dexia, qui ne survivra finalement pas à la crise de la dette grecque, ont fait partie des établissements secourus.
Ces sauvetages ont cependant été très coûteux pour les finances publiques et ont amorcé la crise de la dette qui a suivi et débouché sur une cure d'austérité, notamment en Europe.
Nerveux, les investisseurs multiplient les scénarios sur la restructuration de Credit Suisse
Le nouveau patron de Credit Suisse Ulrich Körner doit présenter le 27 octobre son plan stratégique pour redresser une maison secouée par les scandales.
La deuxième banque de Suisse banque n'a pour l'instant rien laissé filtrer de ses projets.
Mais son silence fait gonfler les rumeurs, Credit Suisse faisant partie des trente grandes banques mondiales considérées comme trop grosses pour les laisser faire faillite. Inquiets, les investisseurs multiplient les scénarios.
Augmentation de capital ou cessions d'actifs?
Les rumeurs portent surtout sur une augmentation de capital. Selon Andreas Venditti, analyste chez Vontobel, une levée de fonds devient "de plus en plus probable", a-t-il indiqué dans une note, l'évaluant à 4 milliards de francs suisses (4,1 milliards d'euros).
Mais les investisseurs craignent une importante dilution, l'action ayant perdu quelque 70% de sa valeur depuis la faillite en mars 2021 de la société financière britannique Greensill, qui avait marqué le début de ses déboires.
Pour Carlo Lombardini, avocat et professeur de droit bancaire à l'université de Lausanne, une augmentation de capital aura un goût "un peu saumâtre" pour les actionnaires, "mais ils n'ont probablement pas le choix", a-t-il confié à l'AFP.
La banque va devoir "couper dans le vif", ce qui implique "probablement de redemander des fonds propres aux actionnaires" pour financer les licenciements et frais de restructurations, selon lui.
L'autre option serait de vendre des actifs, tels que les produits titrisés que la banque est en train de soupeser. "C'est un choix cornélien", a reconnu David Benamou, directeur des investissements chez Axiom Alternative Investments, lors d'un entretien avec l'AFP, les revenus futurs de la banque risquant d'en pâtir.
L'an passé, ces produits structurés - qui permettent de transformer des actifs peu liquides en titres pouvant être vendus sur les marchés financiers - faisaient partie des activités qui avaient limité la chute des revenus dans la banque d'investissement.
"Les conditions de marché sont tendues et un vendeur forcé n'obtient généralement pas un prix favorable", souligne aussi M. Benamou.
Des cessions permettraient néanmoins à la banque de "gagner du temps jusqu'à ce que l'action se redresse", observent les analystes de Jefferies dans une note, lui permettant d'augmenter son capital plus tard, dans des conditions "plus acceptables".
Cible d'acquisition
En Bourse, la multiplication des rumeurs a fait vaciller le cours de son action qui a touché lundi un plus bas historique à 3,518 francs suisses. Le titre a depuis rebondi, suggérant que les marchés veulent donner "une chance à Credit Suisse de préparer un projet solide", a indiqué Ipek Ozkardesk, analyste chez Swissquote Bank, à l'AFP.
Lundi, sa capitalisation boursière avait fondu à 10 milliards de francs, le directeur des investissements d'Axiom remarquant que la banque devient "une cible très attractive pour des banques qui souhaiteraient acheter une belle franchise en gestion de fortune", un des points forts de Credit Suisse.
"Des banques comme BNP Paribas, qui a un trésor de guerre après avoir vendu Bank of the West, doivent probablement se poser la question", suppute-t-il. Le géant bancaire français a cédé cette filiale pour 16,3 milliards de dollars.
Selon lui, la banque suisse a toutefois les moyens de rester indépendante et un rachat par le géant bancaire français ou une autre banque se heurterait certainement à des questions politiques. "Pour les Suisses, je pense que Credit Suisse doit rester suisse", nuance M. Benamou.
Contactée par l'AFP, BNP Paribas n'a pas souhaité faire de commentaire.
scénario du pire
Lundi, les discussions se sont enflammées sur Twitter au point de parler d'un "moment Lehman Brothers", la banque américaine dont la faillite avait été le déclencheur de la crise financière de 2008.
Les analystes ont rapidement balayé ces rumeurs, rappelant que la banque dispose de solides fonds propres et que la Suisse ne laisserait pas cette banque d'importance systémique faire faillite.
En 2008, la Confédération avait volé au secours de sa concurrente UBS en mettant en place avec la banque centrale un fonds destiné à liquider ses actifs toxiques.
Pour l'instant, une intervention de l'Etat reste cependant une hypothèse "farfelue", juge M. Benamou, compte tenu des liquidités que les grandes banques doivent mettre de côté suite aux réformes du secteur bancaire depuis la crise financière.
Son ratio de fonds propres durs (CET1), qui mesure les sommes à mettre de côté pour tenir le choc en cas de crise, se situait fin juin à 13,5%, soit très légèrement moins que HSBC Holdings mais davantage que BNP Paribas, les plus grandes banques en Europe.
Quelles leçons ont été tirées de 2008-2009 ?
Sous la pression du régulateur européen, les banques ont fait d'importants efforts cette dernière décennie afin d'être plus solides en cas de crise.
Elles doivent par exemple justifier d'un niveau minimal de capital plus important destiné à éponger les éventuelles pertes. Ce ratio de fonds propres durs, aussi appelé CET1, est l'œuvre des travaux du comité de Bâle, en Suisse.
Credit Suisse affichait lors de ses résultats de mi-année, publiés fin juillet, un ratio de solvabilité de 13,5%. A titre de comparaison, il est de 12,2% pour BNP Paribas, 14,93% pour l'italienne Unicredit et 13% pour Deutsche Bank.
Ce ratio de capital qui permet de faire face à des pertes inattendues s'est "fortement renforcé" après la crise de 2008, assure le responsable de l'équipe banque Paris de l'agence de notation Moody's Alain Laurin, et la manière de le calculer a été amendée dans un sens plus restrictif.
L'Autorité bancaire européenne soumet aussi cinquante grandes banques du continent à des tests de résistance. Les résultats du dernier exercice, publiés fin juillet 2021 montraient que les établissements étaient bien en mesure d'encaisser sans trop de casse une grave crise économique.
Faut-il craindre un nouvel effet domino?
Les experts contactés par l'AFP se veulent pour l'instant rassurants.
Premièrement, Credit suisse "reste un établissement financier solide", affirme Guillaume Larmaraud, associé en charge des services financiers chez Colombus Consulting.
Ensuite, même en cas de crise, "la solidité financière des banques est extrêmement forte, les leçons de 2008 ont été bien apprises", estime auprès de l'AFP Vanessa Holtz, responsable pour la France de Bank of America.
En cas de défaillance d'un acteur bancaire, le continent européen "dispose désormais d'un cadre" pour le sortir de l'ornière, quelle que soit sa taille, complétait en février la présidente de la banque espagnole Santander Ana Botín, aussi présidente du lobby européen des banques.
Et si, en ultime recours, les gouvernements étaient tentés de sortir le portefeuille pour sauver un établissement, contrairement à la situation d'avant 2008, un cadre prévoit dans un premier temps de faire payer les actionnaires ou les plus gros créanciers.
Les banques cotisent également à un fonds européen qui doit éviter de présenter une facture trop lourde aux contribuables.