Le parlement éthiopien a voté samedi la révocation du parlement régional et de l'exécutif du Tigré, après l'annonce d'une intervention militaire dans cette région du nord du pays qui menace de sécession.
La chambre haute du parlement "a adopté une résolution visant à révoquer l'assemblée régionale illégale actuelle du Tigré et son gouvernement et mettre en place une administration par intérim", a annoncé la radio télévision publique éthiopienne EBC.
La décision du parlement éthiopien est basée sur les dispositions prévoyant la possibilité d'une intervention contre un Etat fédéral qui aurait "violé la constitution et mis en danger le système constitutionnel", selon la EBC.
"L'administration par intérim aura pour mandat de préparer une élection constitutionnellement acceptable et d’appliquer les décisions adoptées par le gouvernement fédéral", a ajouté la télévision publique.
Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a qualifié vendredi d'"opération de maintien de l'ordre" une intervention militaire lancée depuis mercredi dans le Tigré.
Il avait appelé la population à éviter les rassemblements pour ne pas être touchée par les "frappes aériennes".
Prix Nobel de la paix en 2019, M. Abiy a annoncé mercredi le lancement de ces opérations militaires au Tigré, en représailles à l'attaque de bases militaires éthiopiennes sur place.
Les dirigeants tigréens, issus du Front de libération des Peuples du Tigré (TPLF), parti qui a, durant près de 30 ans et jusqu'à l'avènement de M. Abiy en 2018, dominé les structures de pouvoir en Ethiopie, avaient dénoncé un prétexte pour justifier son offensive contre leur région.
Aux termes d'un état d'urgence proclamé mercredi, les troupes fédérales ont notamment pour mission de "désarmer les forces de sécurité de l'Etat régional", avait ajouté le Premier ministre.
Aucune information officielle n'était disponible sur les opérations en cours. La coupure des réseaux internet et téléphoniques au Tigré rendent extrêmement difficile la vérification de la situation sur place.
Des sources diplomatiques ont fait état d'activités militaires sur les principaux axes reliant le Tigré à la région frontalière Amhara et signalé des combats et des tirs d'artillerie sur la route menant à Humera, aux confins du Soudan et de l'Erythrée.
Des mouvements de troupes sont aussi signalés dans la région Afar, également voisine du Tigré.
Pays mosaïque
La tension entre Addis Abeba et le Tigré s'était particulièrement accrue depuis l'organisation en septembre d'élections régionales non reconnues par le pouvoir central.
L'escalade militaire fait craindre un conflit susceptible de menacer la stabilité déjà fragile du deuxième pays le plus peuplé du continent avec plus de 100 millions d'habitants.
Le centre de réflexion International Crisis Group (ICG) a estimé que si "elle n'est pas rapidement arrêtée, l'actuelle confrontation armée (...) sera dévastatrice, non seulement pour l'Ethiopie, mais pour la Corne de l'Afrique toute entière".
L'ICG rappelle que les autorités du Tigré peuvent compter sur "une importante force paramilitaire et une milice bien entraînée, dont les effectifs combinés sont estimés à 250.000 hommes" et "semblent bénéficier d'un soutien significatif des six millions de Tigréens".
Le conflit pourrait mettre à l'épreuve l'unité d'un pays mosaïque ethnique, secoué récemment par des épisodes de violences communautaires, mais aussi la cohésion de l'armée, qui compte de nombreux officiers tigréens.
L'ICG craint également que le conflit finisse par impliquer l'Erythrée, frontalière du Tigré. Le pouvoir d'Asmara, avec qui M. Abiy a conclu une paix historique, est l'ennemi juré du TPLF qui dominait le pouvoir éthiopien durant la guerre frontalière meurtrière entre les deux pays (1998-2000).
Le TPLF accuse M. Abiy - un oromo, ethnie la plus importante en Ethiopie - d'avoir progressivement marginalisé la minorité tigréenne (6% de la population) au sein de la coalition au pouvoir, que le parti a depuis quittée, se positionnant de facto dans l'opposition.