TRIPOLI: Dix ans après la mort de l'ambassadeur américain en Libye lors d'une attaque à Benghazi, Washington tente de peser sur un règlement politique dans le pays toujours en proie au chaos, après s'être mis en retrait.
Le 11 septembre 2012, en pleine guerre civile en Libye, une vingtaine d'hommes armés pénètrent dans le complexe diplomatique à Benghazi (est) avant d'incendier la villa où se trouvaient l'ambassadeur américain Chris Stevens et un employé, Sean Smith. Tous deux meurent asphyxiés.
Les assaillants tirent ensuite au mortier sur un bâtiment utilisé par l'agence de renseignement CIA dans un autre quartier de Benghazi, tuant deux anciens membres des Navy Seals, une force d'élite.
L'assaut, mené onze ans jour pour jour après les attentats du 11-Septembre, provoque un choc aux Etats-Unis: aucun ambassadeur américain n'avait été tué depuis 1979. Plusieurs branches du gouvernement américain se voient reprocher failles et négligences, notamment le département d'Etat alors dirigé par Hillary Clinton
Deux ans après l'attaque et dans un contexte de violents affrontements à Tripoli, les Etats-Unis, à l'instar de nombreux autres pays, ont fermé leur ambassade en Libye en 2014 et ne l'ont pas rouverte depuis.
Ce vide diplomatique et un désengagement du dossier libyen sous l'administration de Donald Trump (2017-2021) y ont laissé les coudées franches à d'autres acteurs, notamment la Russie, l'Egypte et les Emirats, soutiens du camp de l'Est, et la Turquie, alliée du gouvernement de Tripoli.
« Influence »
Mais cela n'a pas empêché Washington d'exercer, "à maintes reprises après 2012, une influence cruciale sur le dossier libyen", décrypte le chercheur et analyste Jalel Harchaoui, spécialiste de la Libye.
"Il y a eu des moments plutôt positifs comme l'accord (sur un gouvernement d'union libyen) conclu sous l'égide de l'ONU à Skhirat (Maroc), en 2015, sur lequel les Américains avaient beaucoup travaillé", affirme-t-il.
Mais il y aussi eu des "moments plus sombres" lorsque Donald Trump avait soutenu l'homme fort de l'Est libyen, le maréchal Khalifa Haftar alors qu'il venait de lancer une offensive pour conquérir Tripoli en 2019, ajoute l'expert.
Deux Libyens capturés par les forces américaines en Libye et jugés aux Etats-Unis, Moustafa al-Imam et Abou Khattala, ont été condamné à respectivement 19 et 22 ans de prison en lien avec l'attaque de Benghazi.
L'assaut était survenu presque un an après la chute du régime de l'ex-dictateur Mouammar Kadhafi, emporté par une révolte appuyée par une intervention internationale controversée sous l'égide de l'Otan, plongeant le pays dans un chaos politique et sécuritaire qui perdure, avec des pouvoirs rivaux dans l'est et l'ouest.
Si de nombreuses chancelleries ont fait leur retour l'an dernier à Tripoli à la faveur d'une sensible amélioration de la situation sur le terrain, l'ambassade américaine travaille toujours depuis Tunis et l'ambassadeur Richard Norland n'effectue que des rares visites dans la capitale libyenne.
Pétrole
Deux gouvernements se disputent le pouvoir depuis mars en Libye: l'un basé à Tripoli et dirigé par Abdelhamid Dbeibah depuis 2021 et un autre conduit par Fathi Bachagha et soutenu par le camp du maréchal Khalifa Haftar.
Des combats ont opposé des milices rivales fin août à Tripoli, faisant 32 morts et 159 blessés, selon un bilan du ministère de la Santé.
Selon une source diplomatique européenne à Tripoli, le maintien de la production pétrolière libyenne à l'abri des turbulences politiques semble être actuellement la principale préoccupation américaine, même si M. Norland ne cesse aussi d'appeler à la tenue d'élections dans le pays, le report des scrutins prévus en décembre 2021 ayant aggravé la crise entre camps rivaux.
M. Norland avait mis en garde en juin les protagonistes rivaux en Libye contre l'utilisation du pétrole "comme arme" dans leurs querelles politiques.
La production pétrolière en Libye a atteint fin juillet 1,2 million de barils par jour, soit sa moyenne quotidienne d'avant un blocus pétrolier imposé entre mi-avril à mi-juillet par des groupes proches du camp de l'Est.
"Il incombe à tous les acteurs externes et internes de se diriger vers des élections présidentielle et parlementaires dès que possible", a déclaré mercredi M. Norland, cité par l'ambassade américaine.