HATRA, Irak : Flânant parmi les ruines vieilles de 2.000 ans, des dizaines de visiteurs admirent la cité antique de Hatra, dans le nord de l'Irak, où des initiatives locales cherchent timidement à encourager le tourisme et tourner la page des exactions jihadistes.
Construit au IIe ou IIIe siècle avant J.C., le site de Hatra, classé au patrimoine mondial en péril de l'Unesco, se trouve à deux heures de route de Mossoul, ancienne «capitale» du groupe Etat islamique (EI), reconquise en 2017 par les forces irakiennes et une coalition internationale.
L'excursion inédite, organisée samedi par un musée privé de Mossoul, a permis à une quarantaine de visiteurs essentiellement Irakiens de déambuler dans la lumière dorée du crépuscule sur le site archéologique.
Devant des colonnades imposantes coiffées de chapiteaux corinthiens, les touristes prennent des selfies, examinent des reliefs muraux saccagés par les djihadistes.
«C'est le lieu d'une civilisation ancienne. On sent non seulement l'Histoire ancienne, mais aussi les événements des années passées, avec l'EI», confie à l'AFP Luna Batota, une Irakienne de 33 ans venue avec son époux Belge.
La jeune femme vit depuis l'âge de neuf ans en Belgique. C'est sa première visite en 24 ans dans son Irak natal.
A Hatra, elle évoque «des sentiments mitigés: on voit encore des impacts de balles, des cartouches de balles vides».
Important centre religieux et commercial sous l'empire perse des Parthes, la cité de Hatra était dotée d'imposantes fortifications et abritait de magnifiques temples, associant architectures grecque et romaine à des éléments de décor d'origine orientale.
En 2015, l'EI avait publié une vidéo montrant ses combattants y détruire des reliefs muraux, leur tirer dessus et s'attaquer à une statue avec une pioche.
En février dernier, les autorités ont dévoilé sur le site trois sculptures restaurées: un buste grandeur nature d'inspiration romaine, mais aussi des visages sculptés au mur du grand temple.
- «Rempli de touristes» -
Cinq années après la mise en déroute de l'EI, Mossoul et ses environs retrouvent un semblant de normalité, même si la reconstruction souffre de lenteurs et les villes affichent encore les stigmates des combats destructeurs ayant permis de chasser les djihadistes.
L'excursion de samedi à Hatra est la première du genre organisée par la Maison du Patrimoine de Mossoul, musée privé inauguré à la mi-juin. Mais le site attire déjà des touristes individuels, notamment locaux, reconnaît un des organisateurs, Fares Abdel Sattar, ingénieur de 60 ans.
L'objectif de l'initiative: «mettre en avant le patrimoine et l'identité» de Mossoul et sa région de Ninive, dit-il. Mais aussi en faire «une région touristique, au vu des grandes retombées économiques et culturelles».
Après sa montée en puissance en 2014 et la conquête de vastes territoires en Irak et en Syrie, l'EI a été mis en déroute par plusieurs offensives dans ces deux pays. Les forces irakiennes ont proclamé leur victoire fin 2017.
Et dans un Irak qui s'ouvre doucement au tourisme mondial et qui bénéficie déjà du tourisme religieux dans les villes saintes chiites de Kerbala et de Najaf, les autorités sont conscientes de la manne économique qui s'offre à elles.
Toutefois les défis abondent et les infrastructures touristiques représentent un chantier titanesque pour un pays riche en pétrole mais ravagé par des décennies de guerre. Il faut construire des hôtels, voire des aires de repos sur les sites.
«Mossoul, ce n'est pas seulement la guerre, l'EI et le terrorisme», s'extasie à Hatra Beriar Bahaa al-Din, doctorant en anthropologie à l'université britannique d'Exeter. «Mossoul c'est une civilisation, un patrimoine, une culture.»
«Aujourd'hui je suis venu voir cette culture», dit le visiteur de 29 ans. Mais il confie ressentir une certaine «tristesse», reconnaissant que l'accès à Hatra reste difficile, tout en déplorant l'absence de panneaux explicatifs racontant l'histoire du site.
«Ce site imposant devrait être rempli de touristes venus du monde entier», selon lui.