BEYROUTH: Alors que la mondialisation transforme la plupart des aspects de la vie moderne, la nature de la famille et de la vie familiale n'est plus ce qu'elle était il y a seulement dix ans. Les tensions habituelles sur le mariage ont été aggravées par la tendance croissante des personnes à quitter leur famille et leur pays d'origine à la recherche d'un moyen de subsistance.
L'augmentation du nombre de couples qui choisissent de se séparer dans plusieurs pays du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord montre que le monde arabe n'est pas à l'abri de ces changements socio-économiques.
Une étude récente du Centre d'information et d'aide à la décision du Conseil des ministre égyptien a révélé que le Koweït, l'Égypte, la Jordanie et le Qatar sont les pays arabes où le taux de divorce est le plus élevé.
Au Koweït, 48% des mariages se terminent par un divorce, 40% en Égypte, 37,2% en Jordanie, 37,2% au Qatar et 34% dans les Émirats arabes unis et au Liban.
«Certains jours, nous avons jusqu'à 16 cas de divorce dans ce seul tribunal», a déclaré à Arab News le cheikh Wassim Youssef al-Falah, juge de la Charia au tribunal religieux de Beyrouth.
«Le taux de divorce croissant est un phénomène que nous n'avons jamais vu auparavant, bien que nous ne favorisions pas le divorce et que nous nous concentrions sur la réconciliation.»
Les experts estiment que cette tendance est le résultat d'un mélange de pressions économiques, de l'évolution des normes sociétales, de réformes juridiques et, surtout, de l'évolution du rôle des femmes.
«Les femmes n'ont plus le sentiment d'avoir besoin des hommes», a révélé Al-Falah. «De nombreuses épouses se sont présentées devant mon tribunal, refusant tout accord avec leurs hommes parce qu'elles estiment qu'elles sont capables d'être indépendantes et ne veulent pas que les hommes contrôlent leur vie.»
Pendant une grande partie de l'histoire, notamment dans les cultures les plus conservatrices du monde arabe, la place de la femme a longtemps été considérée comme étant à la maison, répondant aux besoins de la famille, tandis que les hommes étudiaient et travaillaient.
Aujourd'hui, à mesure que les pays arabes modernisent leurs économies et réforment leurs systèmes juridiques, les femmes deviennent plus indépendantes, poursuivent de plus en plus souvent des études supérieures, progressent dans leurs carrières et choisissent de se marier et d'avoir des enfants plus tard dans leur vie.
En conséquence, les femmes arabes ont développé une conscience plus aiguë de leurs droits civils, de leurs ambitions personnelles et de leur respect de soi. Elles refusent de plus en plus de tolérer la violence domestique et sont capables de se prendre en charge financièrement.
«Dans le passé, les femmes hésitaient à prendre la décision de demander le divorce, en gardant à l'esprit que cette option n'est pas disponible dans toutes les sectes du Liban et qu'elle est difficile à atteindre dans certaines d'entre elles», a déclaré à Arab News Manal Nahas, une chercheuse dont le diplôme de troisième cycle portait sur la question du divorce au Liban.
«Cependant, les statistiques actuelles compilées par les tribunaux religieux qui traitent du statut personnel des citoyens libanais et des étrangers résidant au Liban reflètent une augmentation des demandes de divorce, notamment celles présentées par les femmes», a-t-elle expliqué.
Cette augmentation est considérée comme un résultat annexe de changements plus larges dans les attitudes sociales.
«La génération actuelle de femmes envisage le divorce différemment», a souligné Nahas. «Les femmes ne sont plus obligées de tolérer les abus comme le faisaient leurs mères et leurs grands-mères.
«Les femmes d'aujourd'hui sont éduquées, elles travaillent et elles occupent des postes élevés dans leurs domaines d'activité. Il existe maintenant une égalité entre les hommes et les femmes. L'âge moyen du mariage pour les femmes dans les décennies d'après-guerre était de 24 ans. Il est aujourd'hui passé à 32 ans à cause du progrès social, des conditions économiques et de la participation des femmes au marché du travail.»
Nahas a indiqué: «En outre, les femmes sont choyées dans le foyer de leurs parents avant de se marier. Par conséquent, il est plus facile pour elles de divorcer que de continuer à vivre dans un climat de mariage insupportable. Dans la société libanaise, le divorce n'est plus considéré comme une marque d'infamie.
«La plupart des parents réintègrent désormais leur fille divorcée au lieu de la rejeter. Il y a eu un changement sociétal. Presque tout le monde connaît le divorce, car ce n'est plus considéré comme une décision difficile à prendre.»
Au Liban, où une grande partie de la population s'est déplacée à l'étranger pour trouver des emplois mieux rémunérés, la difficulté de maintenir une relation à distance semble également jouer un rôle dans la rupture du mariage.
«Mon mari travaille en Afrique depuis de nombreuses années et je vis avec mes enfants au Liban», a déclaré Neemat, 34 ans, à Arab News au tribunal religieux de Beyrouth, où elle demandait le divorce.
«Nous avons décidé de nous séparer à l'amiable, notre vie commune étant devenue insupportable. Il prendra en charge la pension alimentaire pour les enfants et m'a entièrement payé son dû par le biais du paiement conjugal différé.»
Al-Falah a affirmé que ce type de rupture de relation est courant.
«Les mariages les plus ratés sont ceux dans lesquels le mari émigre à l'étranger pour travailler et la femme reste au Liban», a-t-il dévoilé. «Lorsque les conjoints se retrouvent, ils découvrent qu'ils ne peuvent pas vivre ensemble. En général, ces mariages ne durent pas.»
«Cependant, si ce mariage produit des enfants, nous essayons d’arranger la relation entre le couple car nous ne voulons pas nuire aux enfants», a indiqué Al-Falah.
Cependant, toutes les procédures de divorce ne sont pas aussi amicales que celle de Neemat. Al-Falah a déclaré qu'il a traité plusieurs conflits conjugaux extrêmement acrimonieux.
«J’ai commencé à recevoir dans mon bureau des couples où l’un des époux a été victime de violence conjugale aux mains de son conjoint, bien que la violence conjugale à l'égard des femmes soit plus courante», a-t-il estimé.
«Plus on s'éloigne de la ville, plus la violence conjugale devient l'une des raisons du divorce, surtout dans les régions reculées. Nous n'essayons pas d’arranger ce type de mariage car nous ne voulons pas être complices d'un crime.»
Les réformes du statut juridique des femmes au Liban ont fait l'objet d'une attention particulière ces dernières années, avec l'introduction d'un grand nombre de lois destinées à les protéger du harcèlement sexuel et des violences conjugales. Toutefois, les observateurs des droits de l'homme estiment que ces réformes ne vont pas assez loin.
En décembre 2020, par exemple, le Parlement libanais a adopté une loi qui a criminalisé le harcèlement sexuel et défini des mesures pour protéger les dénonciateurs, mais n'a pas respecté les normes internationales de manière à lutter contre le harcèlement au travail par le biais du droit du travail.
Le Parlement a également modifié une loi sur la violence conjugale afin d'en étendre le champ d'application pour inclure la violence liée au mariage, mais pas nécessairement commise pendant le mariage, permettant ainsi aux femmes de demander une protection contre leur ex-mari. Cependant, elle n'a pas criminalisé le viol conjugal.
L'effondrement financier du Liban en 2019 et les effets de la pandémie de la Covid-19 semblent avoir accentué la pression sur les relations, car le niveau de vie a chuté, les gens ont perdu leurs emplois et les ménages ont été contraints de vivre de longues périodes de proximité constante en état de confinement.
«Après la quarantaine causée par la pandémie de la Covid-19, nous avons assisté à une augmentation des demandes de divorce», a révélé Al-Falah. «Certains couples ont découvert qu'ils ne pouvaient pas se tolérer et le fossé qui les séparait est devenu apparent.
«Le taux de demandes de divorce a augmenté après l'intensification de la crise économique; les maris ont cessé de travailler, les banques ont arrêté d'encaisser les dépôts et les prêts immobiliers à taux réduit n'ont plus été accordés.
«Nous assistons à des cas de demandes de divorce pour des couples qui vivent ensemble depuis treize ou vingt ans, ce qui n'était pas le cas auparavant. Nous pouvons dire que les taux de divorce ont augmenté de 35 à 40% dans le tribunal religieux de Beyrouth au cours de cette année», a-t-il spécifié.
Plusieurs pays dans le monde ont signalé des pics de violence conjugale pendant la pandémie et le Liban ne fait pas exception. Les difficultés économiques du pays et les interruptions des procédures judiciaires pendant la crise sanitaire semblent aggraver la situation.
Kafa, une organisation libanaise non gouvernementale créée en 2005 pour faire campagne contre les violences conjugales, a récemment mis en garde contre «les répercussions dangereuses de l'effondrement institutionnel au Liban de la sécurité sociale et familiale».
«La suspension des services des juges au Liban aura un impact négatif sur les femmes et les enfants souffrant de violences domestiques», a déclaré l’organisation.
Kafa a souligné «l'augmentation de la violence conjugale et l'augmentation du nombre d'incidents violents visant les femmes, qui ont conduit au meurtre de trois femmes en une seule semaine».
Les chiffres relatifs au divorce au Liban pourraient être quelque peu faussés par l'utilisation croissante du mariage comme moyen d'obtenir la citoyenneté d'un autre pays, des vagues de jeunes partant à l'étranger à la recherche de meilleures opportunités.
«Il existe un divorce pour ceux dont le mariage était basé sur la convenance», a déclaré Al-Falah. «Par exemple, les maris qui s'installent à l'étranger et veulent épouser une femme étrangère doivent prouver qu'ils ne sont pas mariés dans leur pays d'origine pour qu'ils puissent se marier, puis obtenir la nationalité du pays de leur nouvelle épouse.
«Après avoir obtenu la nouvelle nationalité, ils se remarient avec leur épouse d'origine qu’ils ont divorcé dans leur pays.»
Le Liban est un pays multiconfessionnel. À la suite de la guerre civile de 1975-1990, les communautés religieuses du pays ont accepté de partager le pouvoir par le biais d'une division complexe des autorités et d'institutions distinctes régissant les questions communautaires, notamment le mariage et le divorce.
Les citoyens libanais passent souvent d'une secte à l'autre pour faciliter un divorce. Les couples de la secte maronite, par exemple, dont les tribunaux interdisent l'annulation du mariage sauf dans les circonstances les plus extrêmes, peuvent se tourner vers les sectes catholique ou orthodoxe, qui autorisent l'annulation des mariages.
Ils peuvent même se tourner vers la secte sunnite pour accéder aux procédures de divorce avant de se reconvertir dans leur secte d'origine. Selon la charia, le divorce – connu sous le nom de khol' (droit au divorce des femmes) – est autorisé depuis l'époque du prophète Mohammed.
Obtenir un divorce dans un tribunal religieux sunnite est considéré comme plus facile que dans un tribunal religieux chiite, après que ces tribunaux ont élaboré de nouvelles règles qui relevant l'âge de la garde des enfants, modifié la dot et interdit le mariage des mineurs.
Des groupes de la société civile ont demandé une loi facultative sur l'état civil au Liban. Actuellement, de nombreux jeunes Libanais de toutes les sectes se rendent à Chypre ou en Turquie pour se marier civilement. Les tribunaux civils libanais acceptent d'enregistrer ces mariages mais les autorités religieuses continuent de les rejeter.
Les valeurs familiales sont importantes dans la culture arabe, et les autorités – tant religieuses que laïques – ont tendance à préférer que les parents restent ensemble pour le bien de leurs enfants. Les experts estiment que les conseils conjugaux, une meilleure éducation des jeunes couples, des discussions plus ouvertes sur les relations et même un assouplissement des tabous sociaux entourant les interactions sociales prémaritales entre hommes et femmes pourraient contribuer à réduire le taux global de divorce.
Al-Falah a soutenu que de nombreux divorces sont «le résultat de disputes causées par le fait que le mariage n'a pas été fondé sur des bases solides. Le taux de ce type de divorce est élevé parce que l'éducation que les jeunes reçoivent ne comprend pas de prise de décision appropriée ou d'orientation familiale».
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com